Droit

Droit d’auteur : Qu’est-ce qu’une performance ?

La performance artistique consolide sa reconnaissance juridique grâce aux héritiers d’Yves Klein

Par Hélène Brunel · Le Journal des Arts

Le 1 février 2012 - 840 mots

PARIS [03.02.12] - Par décision du Tribunal de grande instance de Paris, le 20 mai 2011, la société Éditions Jalou a été condamnée pour contrefaçon, après avoir édité en décembre 2008, dans un numéro spécial du magazine « L’Officiel », « une série de mode, remake d’un happening légendaire des années 1960».

Les héritiers d’Yves Klein (1928-1962), son fils et sa femme, lui reprochaient d’avoir publié, sans autorisation et sans mention du nom de l’artiste ou du titre de ses œuvres, plusieurs photographies reprenant les caractéristiques essentielles de deux de ses performances célèbres. Ils estimaient que l’utilisation des photographies contrefaisantes à des fins promotionnelles avait porté atteinte à la substance même de ces œuvres performatives et constituait une violation des droits moraux et patrimoniaux de leur auteur. Leur sommation de retirer de la vente la parution incriminée étant demeurée sans effet, les ayants droit de l’artiste assignèrent les Éditions Jalou en contrefaçon de droits d’auteur. Pour que ce délit puisse être caractérisé, il faut en rapporter une double preuve : celle de l’existence des droits d’auteur bafoués et celle de la réalité des actes de contrefaçon allégués. Il est donc fréquent que le contrefacteur cherche à établir l’absence de qualité d’auteur du demandeur, afin que ce dernier n’ait pas d’intérêt à agir. Or, selon l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), sont protégées par le droit d’auteur « toutes les œuvres de l’esprit quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination », pourvu qu’elles soient des créations originales. Aussi, la défenderesse a-t-elle tenté de contester l’originalité des performances. Le tribunal, qui retient que ces performances sont des œuvres chorégraphiques (protégeables par le droit d’auteur en vertu de l’article L112-2, 4° du CPI), « lesquelles peuvent être définies comme des actions artistiques relevant à la fois de l’art contemporain et du spectacle vivant », va dès lors s’efforcer d’en dégager les principales caractéristiques. « L’originalité des performances revendiquées réside, en l’espèce, dans la combinaison des éléments qui les caractérisent (le décor, la mise en scène, les accessoires, les costumes, et le mode opératoire), qui leur confère une physionomie propre et traduit un parti pris esthétique reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur ». Celles-ci doivent donc bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, en conclut le tribunal.

20 000 euros d’indemnités
« Cette décision est le reflet de la société. Elle témoigne de l’évolution des mentalités et de l’acceptation de la performance. Ce qui devrait permettre sa normalisation et sa protection juridiques, puisque la performance est enfin reconnue comme un art à part entière par le droit d’auteur », commente Maître Philippe Zagury, l’avocat des héritiers d’Yves Klein, avant de préciser que cette décision est désormais insusceptible de recours. Une reconnaissance juridique de la performance artistique comme genre autonome avait été esquissée en décembre 2010, lorsque le réalisateur Pierre Coulibeuf, chargé de concevoir l’adaptation audiovisuelle de l’une des performances scéniques de Marina Abramovic, avait été condamné par le Tribunal de grande instance de Paris pour contrefaçon. Les juges avaient alors reconnu à l’artiste le statut de coauteur du film réalisé à partir de son œuvre, écartant ainsi les qualifications de comédienne ou de coscénariste avancées par la défense. En 2004, dans l’affaire Alberto Sorbelli, la cour d’appel avait également défendu « l’auteur d’une performance ».  À l’époque, Sorbelli revendiquait la qualité de coauteur des photographies réalisées par Kimiko Yoshida lors de l’une de ses performances. Toutefois, dans ces deux cas, la contrefaçon résultait d’une collaboration entre le performeur et le réalisateur ou le photographe, en vue de fixer l’œuvre et de la commercialiser. Ce qui n’est pas le cas dans le présent litige. En cela, l’affaire Yves Klein peut être rapprochée de l’affaire Bettina Rheims, laquelle fut condamnée en 2008 pour avoir contrefait une œuvre conceptuelle de Jakob Gautel. Mais là encore, cette décision jurisprudentielle se voulait plus protectrice de l’auteur que du performeur. Ici, le tribunal sanctionne la contrefaçon, considérant que la « finalité commerciale à caractère publicitaire » des photographies litigieuses bénéficiait « incontestablement » à l’éditeur, lequel ne saurait prétendre « sans une certaine contradiction » qu’il ne peut y avoir de confusion avec les œuvres revendiquées, ni atteinte à leur exploitation ou à leur intégrité. Le contrefacteur est, par conséquent, condamné à payer aux héritiers de Klein les sommes réclamées, soit un euro au titre de leurs droits patrimoniaux et 20 000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Anthropométries

Le « happening légendaire » auquel il est fait référence dans cette affaire de contrefaçon s’intitule Anthropométrie de l’époque bleue. C’est avec cette « action » qu’Yves Klein initiera la performance en France. On est en 1960 à la Galerie internationale d’art contemporain de Paris. Alors que des modèles féminins au corps enduit de peinture – son International Klein Blue – inscrivent leur empreinte sur la toile, l’artiste questionne la pérennité de l’objet en art. Deux ans plus tard, l’année de sa mort, il expose au Centre d’essais de Gaz de France ses anthropométries du feu, ici aussi contrefaites.

Légende photo

Yves Klein et un des modèles lors de la performance Anthropométrie de l'époque bleue à la Galerie internationale d'art contemporain, Paris, le 9/03/1960, courtesy YKA. © Photo : Shunk-Kender/Roy Lichtenstein Found.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : Droit d’auteur : Qu’est-ce qu’une performance ?

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