Céramique, la fin d’un « four » ?

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 20 décembre 2007 - 776 mots

La céramique contemporaine sort de son ghetto grâce au changement de mentalité des collectionneurs et l’incursion d’une jeune génération de plasticiens.

Jusqu’à novembre dernier, l’œuvre la plus chère de l’artiste américain Jeff Koons était une céramique représentant Michael Jackson et son chimpanzé Bubbles, vendue pour 3,8 millions d’euros par Sotheby’s en 2001. En 2003, l’heureux lauréat du Turner Prize en 2003 fut le céramiste Grayson Perry. Attention aux effets de loupe ! Ces deux événements isolés pourraient faire croire à une soudaine vogue de la céramique. N’allons pas plus vite que la musique. Si la céramique contemporaine sort indéniablement de son purgatoire depuis deux à trois ans, le chemin d’une reconnaissance totale reste toutefois encore long.

Une qualité comparable au design, pour un prix moindre
Arquée sur les hiérarchies entre beaux-arts et arts décoratifs, la France n’a longtemps prêté qu’un regard distrait à ce matériau. Le décalage est grand entre le nombre important de céramistes en activité et la faible quantité de lieux de diffusion, malgré les efforts de la Biennale de Vallauris. Cette apparente atonie n’a pas empêché la Galerie Pierre de s’installer avec succès dans le Marais, ou la courageuse galeriste Clara Scremini de défendre vaillamment les arts du feu.
Néanmoins, faute d’un marché très dynamique, les prix des céramistes français, comme Robert Deblander ou Claude Champy, restent bien éloignés de ceux de leurs confrères américains. Le pape américain de la céramique, Peter Voulkos, atteint des sommes à faire pâlir d’envie l’Hexagone. En mai 2005, une de ses œuvres s’est adjugée pour 69 500 euros chez Wright à Chicago. D’autres pièces naviguent entre 20 000 et 34 000 euros en ventes publiques. De leur côté, les tasses étranges aux couleurs saturées de Ron Nagle se négocient entre 10 000 et 17 000 dollars. 
Depuis quelque temps, la céramique sort du domaine réservé des spécialistes grâce à l’entrée en lice de nouveaux acheteurs. « Les collectionneurs d’art contemporain et de design forment 80 % de ma clientèle. L’idée du matériau ou du type de cuisson intéresse moins ces amateurs, que la forme et la beauté intrinsèque des objets », observe le galeriste bruxellois Pierre-Marie Giraud, révélé voilà deux ans au Pavillon des Antiquaires et à Art Brussels. L’intérêt de ces nouveaux collectionneurs a permis de faire évoluer sensiblement les tarifs pratiqués en France. Ainsi des pièces de la Canadienne Kristin Mc Kirdy, qui, voilà cinq ans, valaient entre 1 500 et 2 000 euros, se négocient aujourd’hui entre 7 000 et 9 000 euros. « Mes prix restent bien loin de ceux pratiqués dans le design ou l’art contemporain, alors qu’en terme de qualité, nous sommes sur un terrain d’égalité », observe Pierre-Marie Giraud. Le galeriste n’en ajoute pas moins : « je n’aime toutefois pas qu’on fasse sortir la
céramique de son ghetto, en lui mettant un faux nez pour le faire passer pour de l’art contemporain. »

La céramique réhabilitée dans l’espace privatif
L’amalgame est d’autant plus aisé que, après Lucio Fontana et Miguel Barcelo, les plasticiens se frottent avec jubilation à cet art du feu. À la Manufacture nationale de Sèvres, 60 % de la production est consacrée à celle des créateurs actuels contre 35 % voilà quatre ans. De Geneviève Asse à Huang Yong Ping, en passant par Yayoi Kusama et Bertrand Lavier, les plasticiens de renom ont défilé pour donner corps à trente-neuf projets. « Il y a un essoufflement de la gamme traditionnelle bleu de Sèvres, observe David Caméo, directeur de la Manufacture. Tout ce qui est pièce de cabaret marche encore, mais les services de table se vendent de moins en moins à une clientèle privée. Notre nouvelle clientèle est moins hermétique aux arts décoratifs et à l’idée du multiple. Ce sont des gens qui veulent vivre avec les pièces. La céramique a été réhabilitée dans l’espace privatif. »
Aussi, lors de sa participation au Salon du collectionneur,  la Manufacture a vendu sans ciller cinq exemplaires de L’Homme de Bessines de Fabrice Hyber pour 20 000 euros. Le potentiel de développement de ce marché de niche est d’autant plus grand que des pièces intéressantes d’artistes contemporains restent encore accessibles à partir de 2 000-3 000 euros.

Repères

- Peter Voulkos (1924-2002). Ce céramiste californien d’origine grecque s’est fait connaître dans les années 1960 par ses formes puissantes et vigoureuses, interprétées comme un écho en sculpture de l’expressionnisme abstrait. - Claude Champy (né en 1944). Avec Robert Deblander, Champy est sans doute l’un des céramistes français les plus connus dans le monde. Son travail joue sur la beauté de l’émail et la tension de la matière. - Ursula Morley Price (née en 1936). Adepte de formes en corolles, lointaines réminiscences des roses des sables, cette céramiste britannique obtient des plissés d’une finesse déconcertante.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°598 du 1 janvier 2008, avec le titre suivant : Céramique, la fin d’un « four »”‰?

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