Foire & Salon

Ce que vous verrez à la Fiac… des prises de risques maîtrisées

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 1833 mots

PARIS

Contraintes d’espace, de temps, de budget…, les galeries présentes à la Fiac doivent prendre en compte de nombreux paramètres, et laisser de côté des formes d’art qui ne rentrent pas dans le cahier des charges d’une foire.

Les visiteurs de la Fiac qui souhaitent en conserver un souvenir feront cette année l’acquisition d’un catalogue au format inhabituel. Conçu comme un coffret rassemblant quelque deux cents affiches (une par exposant) assorties d’un texte, ce livre-objet en édition limitée numérotée se veut un collector. Le consulterait-on dans dix, vingt ou cent ans, il offrirait une photo de l’art en 2018. Ou, du moins, de l’art présent sur une foire internationale ayant eu lieu cette année-là à Paris. Ce qui ne va pas sans certaines lacunes…
 

L’équilibre des forces

Car, que verra-t-on, en octobre, à la Fiac ? D’abord, des valeurs sûres. Entre trophées et trouvailles, cette 45e édition comportera comme chaque année une proportion attendue d’art moderne. Clou de l’exposition consacrée par la Galerie Le Minotaure aux tendances à l’abstraction des années 1920-1940, un relief exceptionnel de Jean Arp daté de 1926 retiendra certainement l’attention. Les collectionneurs seront également attirés par la galerie suisse Gmurzynska. De retour après six ans d’absence, la galerie a confié à l’organisateur de défilés de mode Alexandre de Betak la scénographie de son stand, dédié à l’usage du feu dans l’art du XXe siècle (avec quelques-unes des « peintures de feu » de la série initiée en 1961 par Yves Klein).

Attention, à ce propos, au retour de flamme : Georges Mathieu, décédé en 2012, revient à la mode. Il est présent sur au moins deux stands : celui de Daniel Templon, qui lui a consacré son exposition de rentrée, et celui d’Applicat-Prazan. Ce dernier a choisi de rendre hommage à l’œil du critique d’art et commissaire d’exposition Michel Tapié, prétexte à réunir douze tableaux d’artistes de son « écurie » : de Dubuffet à Wols, en passant par Fautrier et Mathieu, donc. Dada, surréalisme et avant-gardes du XXe siècle, de Picabia à Broodthaers, la Galerie 1900-2000 se contentera pour sa part de réviser sagement ses classiques. Afin d’envisager l’histoire sous un autre angle, on flânera donc plutôt du côté de Bergamin & Gomide. Nouvelle venue sur la foire, l’enseigne de São Paulo met en avant les artistes du Grupo Frente, précurseurs brésiliens de l’abstraction géométrique.

Les poids lourds de l’art contemporain seront là, bien sûr, pour assurer le spectacle. Il sera haut en couleur sur le stand de la Galerie Gagosian, investi par Katharina Grosse, qui présentera, entre autres, une sélection de grandes œuvres sur papier. Placé cette année encore face à l’entrée, Perrotin accueillera le visiteur avec un ensemble impressionnant d’œuvres de Xavier Veilhan. Du Napolitain Alfonso Artiaco au New-Yorkais David Zwirner, les grandes galeries internationales aligneront ainsi le long des allées la production de quelques-uns de leurs artistes stars.

Mais gageons que la foire saura aussi ménager des découvertes hors des sentiers battus. Venue de Stockholm, la Galerie Andréhn-Schiptjenko accrochera sur ses cimaises des toiles de la jeune peintre suédoise Elisabeth Frieberg. Du côté de Dublin, la Galerie Kerlin défendra, entre autres, l’artiste irlandais Willie Doherty. Et c’est un artiste de 93 ans, Krishna Reddy, qui créera peut-être la surprise dans l’espace de la galerie indienne Experimenter. Car la prime ne va pas au jeunisme sur cette édition 2018 qui compte plusieurs expositions monographiques autour de figures âgées, comme celle de Maryan S. Maryan (né en 1927) chez Venus New York, dont l’œuvre picturale fait écho à une biographie saisissante. Quant à la Galerie Blum & Poe, c’est à un artiste décédé, le peintre américain au style expressionniste Robert Colescott, qu’elle a décidé de donner un coup de chapeau.

La peinture actuelle sera aussi présente, et l’on pourra donc juger de sa vitalité, qu’il s’agisse de Derrick Adams chez Anne de Villepoix, de Nicole Eisenman chez Anton Kern, ou, dans un tout autre registre, délicat et onirique, des toiles de Genieve Figgis à la Half Gallery.
 

Sculpture et architecture

Peut-on accrocher une sculpture au mur ? Parfois… C’est le cas de certaines compositions de Robert Bittenbender chez Lomex (New York), fascinantes accumulations d’objets trouvés, voire de détritus. Entre rebuts industriels et rébus poétique, les assemblages du sculpteur tôt disparu Richard Baquié (1952-1996) dialogueront chez Cortex Athletico avec les œuvres d’Anita Molinero. Baquié-Molinero, un tandem bâti a posteriori, une référence pour une génération d’artistes, de Neïl Beloufa à Thomas Teurlai, de Jean-Alain Corre à David Douard. La sculpture a la cote, on en fera le constat du Petit Palais au secteur Lafayette, où le travail de Liz Craft, chez Truth and Consequences sera immédiatement repérable. Elle trônera en majesté dans le jardin des Tuileries, peuplé pour quelques jours de totems stupéfiants, pièce monumentale de Thomas Schütte ou, montrée par Kamel Mennour, apparitions minérales signées d’Alicja Kwade, la vedette du stand de la 303 Gallery.

À côté de ces médiums classiques et même de l’architecture, exposée place de la Concorde, de modules en habitacles nomades, de Jean Prouvé à Kengo Kuma, la Fiac fait un peu de place à des catégories d’art moins faciles à vendre. Ainsi, le public sera invité à jouer son rôle dans des œuvres participatives comme celle, inédite, de l’artiste coréenne Haegue Yang ou celle, déjà vue à la Biennale de Berlin, de Dora García (Army of Love).
 

Performances, interventions…

Les performances ont désormais leur programmation spéciale, « Parades for Fiac », cette année très ouverte à la danse. Parfaitement dans l’air du temps, les questions de genre seront, elles, abordées lors de conférences en « Conversation Room » et donneront à cette édition sa touche d’actualité. On pourra même s’aventurer, sur le secteur Lafayette dans une installation immersive évoquant l’intérieur d’une boîte de nuit gay. La thématique « genrée » se retrouve jusque dans l’inspiration du Cinéphémère, une sélection de films courts d’artistes irrigués par des références à l’écologie ou au « racisme environnemental ». Au programme, des histoires sur des catastrophes passées, présentes et futures.

La vidéo, enfin, sera à l’honneur avec un « mapping » projeté tous les soirs sur la façade du Grand Palais. Ce n’est pas tout : sur l’avenue Winston-Churchill, on verra même un camion de pompiers américain des années 1960 – jaune et tacheté de goudron, il fait partie d’une installation de Theaster Gates. Mais aussi un arc-en-ciel couché au sol par le duo Lang & Baumann. Et, peut-être, un drone véhiculant un message énigmatique en vrombissant à basse altitude. À quelques minutes à vol d’oiseau de l’Élysée, cette performance signée Renaud Auguste-Dormeuil devra cependant bénéficier d’une autorisation spéciale de la Préfecture. Il a d’ailleurs fallu renoncer à installer place de la Concorde la Smog Free Tower du designer Daan Roosegaarde qui promettait, sur quelques mètres carrés, de rendre l’air de la capitale un peu plus respirable.
 

Des pratiques peu compatibles avec le tourbillon de la Fiac

Sans doute ce vaste panorama laisse-t-il de côté certaines formes d’art, qui ne rentrent pas dans le cadre de la Fiac. Dérouler un kilomètre de rubans dorés en pleine ville ? C’est le genre de défi que peut relever la Biennale de Dakar ou, début octobre, la Nuit blanche, qui étirera le Super Kilomètre du Studio UY077 entre les Invalides et les Champs-Élysées. Difficile d’imaginer la même opération en plein jour pendant la Fiac. L’art n’est jamais non plus à l’abri du scandale, surtout lorsqu’il empiète sur l’espace public. L’an dernier, le Louvre avait refusé que le suggestif Domestikator, de l’Atelier Van Lieshout, soit exposé dans le jardin des Tuileries. Cette fois, c’est pour de prosaïques raisons de financement que l’installation évoquant un espace de cruising gay (drague gay) signée de l’artiste grec Andreas Angelidakis (Galerie The Breeder) ne se matérialisera sans doute pas dans l’enceinte de la foire.

Certes, parvenir chaque année à faire exister une gigantesque plateforme marchande autorise quelques concessions à un art moins commercialisable, telles les performances ou les œuvres participatives. Mais les galeries, pour lesquelles la participation à la Fiac représente un budget important, font des arbitrages raisonnables. La recherche d’un retour sur investissement peut rendre prudent. Passée du secteur Lafayette au secteur général, l’enseigne kosovare LambdaLamdaLamda apprécie ainsi de jouer dans la cour des grandes, tout en constatant que ses frais de stand ont sensiblement augmenté. À Marseille, sur Art-O-Rama, elle a montré en septembre une pièce sonore de l’artiste norvégienne Hanne Lippard, une installation de 70 m2 plongée dans la pénombre. À la Fiac, elle optera pour un accrochage diversifié, plus classique et potentiellement plus rentable.

De fait, les créations sonores semblent absentes de la foire, qui a renoncé à « Sound by the River », son parcours spécial le long des berges de Seine. Et d’ailleurs, pourrait-on imaginer à la Fiac des dispositifs aussi ténus que ceux, par exemple, de l’artiste Dominique Petit-gand ? Cette saison, son installation Les Voix blanches occupe les espaces de transition du théâtre de Gennevilliers (en partenariat avec la Galerie Édouard-Manet). On y visite aussi Les Heures creuses, une pièce pour théâtre vide à apprécier dans les interstices de la programmation, pour goûter l’émotion fugitive qu’accompagne l’intrusion dans une salle déserte… Sous le dôme du Grand Palais transformé en flipper géant de l’art, sans doute ce type d’œuvres serait-il difficilement audible.

Si l’attention requise par certaines pratiques est peu compatible avec le tourbillon de la foire, le climat d’urgence qui y règne n’est pas non plus favorable aux protocoles lents. On pense aux œuvres évolutives et éphémères, en perpétuelle mutation, de Michel Blazy. Ou aux protocoles de Lois Weinberger, remarqué l’an dernier à Kassel et à Athènes lors de sa deuxième participation à la Documenta. Weinberger a fait des plantes rudérales sauvages son terreau artistique. Déracinées ou ensemencées par la nature afin de réincorporer le sol, elles deviennent des métaphores des flux migratoires. La Galerie Salle Principale, qui représente à Paris l’artiste autrichien, a ainsi annexé un bout de friche, à l’angle des rues de Thionville et des Ardennes, pour y laisser croître un de ses Portable Gardens, composé de sacs de terre où prospèrent les « mauvaises herbes ». Même si, en diversifiant les sites d’expositions, la Fiac s’efforce de montrer tous types de pratiques, on peut également s’interroger sur sa capacité à montrer une œuvre aussi délibérément inclassable que Electronic City d’Emmanuel Lagarrigue. Adaptée du texte du dramaturge allemand Falk Richter, sa pièce hybride, empruntant à l’art contemporain, au théâtre et au cinéma, se « joue » sur huit écrans transparents au milieu desquels les spectateurs sont invités à circuler. Ce lauréat 2017 des Audi Talents, metteur en scène autant qu’artiste sonore, vidéaste et sculpteur, revendique cette ambitieuse transdisciplinarité.

Comment, aujourd’hui, embrasser tous les champs des possibles de l’art ? En juin dernier, la douzième édition de la « biennale nomade » Manifesta, qui se tient à Palerme jusqu’au 4 novembre 2018, s’est ouverte sur une performance publique de l’artiste italienne Marinella Senatore. Enfants, danseurs, prostituées, handicapés mentaux… : sa procession, joyeusement protestataire, a défilé dans les rues, guidée, en tête de cortège, par des aveugles. Troublant ? C’est sûr. Mais ne rêverait-on pas parfois de perdre aussi nos repères à la Fiac ?

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Ce que vous verrez à la Fiac… des prises de risques maîtrisées

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