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Bolloré, la passion des manuscrits

L'ŒIL

Le 1 février 2002 - 753 mots

Après la dispersion de la bibliothèque de Charles Hayoit cet automne, Sotheby’s se positionne en force sur le marché de la bibliophilie en proposant le 12 février prochain à la galerie Charpentier, celle de Gwenn-Aël Bolloré, disparu l’an dernier.
Cet industriel breton, vice-président de l’affaire familiale du même nom, passionné de livres, a réuni une éblouissante bibliothèque. Sans thème et sans à priori, cet ensemble peut se définir comme une histoire de l’avant-garde artistique et littéraire de la seconde partie du XXe siècle. Le collectionneur, après la Seconde Guerre mondiale, fréquente les cénacles qui regroupent libraires et écrivains, poètes et peintres.
Il y rencontre Henri Matarasso, ce découvreur de talents dont on a dispersé la collection de tableaux l’an dernier. Mécène au grand cœur, il co-édite L’Arrache-Cœur de Boris Vian puis soutient les éditions La Table Ronde et le groupe des Hussards. Ils sont quatre : Antoine Blondin, Michel Déon, Jacques Laurent et Roger Nimier. Parallèlement, il fait travailler les relieurs les plus inventifs. Parmi eux Henri Mercher, qui réalisa pour lui une soixantaine de reliures d’une grande créativité. La pièce phare de la vente ? Le manuscrit autographe de Nord acheté directement à Céline. « Céline, dit Roger Nimier, se veut chroniqueur mais il décrit l’Allemagne de la débâcle comme Dante visitait les cercles de l’Enfer ». C’est le seul manuscrit de cet ouvrage publié en 1960, un an avant la mort de l’écrivain. L’ouvrage est habillé par Heni Mercher d’une reliure d’une grande audace et l’estimation est à la hauteur du trésor : 400 à 600 000 euros. Il sera l’objet de toutes les convoitises et la comparaison sera intéressante avec le manuscrit du Voyage au bout de la nuit préempté par la Bibliothèque Nationale pour 1,8 million d’euros le 15 mai dernier à  Drouot-Montaigne (étude Piasa). En second lieu, on trouve Les Chants de Maldoror de Lautréamont, illustré par Dalí en 1934. Un sommet en matière d’illustré moderne, assure l’expert Jean-Baptiste de Proyart, exécuté à la grande époque de Dalí, le plus beau des livres surréalistes. L’exemplaire est enrichi de 27 dessins originaux, de gravures signées et datées. Estimation entre 220 et 380 000 euros. Au menu encore, un ensemble de 64 ouvrages de Michaux, un habitué du Manoir au bord de l’Odet. Les deux hommes partaient alors en voilier à la découverte des côtes armoricaines et de l’archipel de Glénan : « un paysage de commencement du monde », disait le peintre poète. Dans le lot figurent 15 pages d’écriture « mescalinienne » composées par Michaux sous l’emprise de la mescaline, un hallucinogène qui fait glisser l’écriture vers une ébauche de dessin. On en attend 60 à 90 000 euros. A côté, trois manuscrits de Roger Nimier d’une extrême rareté dont celui des Enfants tristes annoncés entre 50 et 60 000 euros. Parmi les rencontres privilégiées de l’après-guerre, il y eut aussi celles avec Anouilh, Léo Ferré ou Alphonse Boudard. Enfin, Gwen-Aël Bolloré était lié avec son voisin breton, le provoquant Jean Edern Hallier. Dans la vente, il y a le célèbre pamphlet L’Honneur perdu de François Mitterrand, exemplaire non censuré, avec un envoi de l’auteur et habillé d’une reliure en... peau de saumon de l’Odet. A coup sûr, les amateurs vont se précipiter.
PARIS, Sotheby’s, galerie Charpentier, 12 février.

On a retrouvé la main de Géricault
Une fois de plus, Drouot est le théâtre d’une découverte insolite : une main en bronze de Géricault. Retrouvé par l’expert Marie-Claire Cotinaud dans une collection privée, ce souvenir émouvant surgit du néant. On ignorait son existence, on savait seulement que la main de l’artiste avait été moulée deux heures avant sa mort en 1824. On imagine la scène : le peintre entouré de ses amis tend sa dextre, il a encore la force d’écrire dans le plâtre chaud « A tous ceux que j’aime, adieu », puis il expire. Une étiquette donne le nom du mouleur, un certain Bouché.
Ce plâtre avait disparu. Il a refait surface en 1924 lors d’une exposition Géricault. Mais d’épreuve en bronze, point, or la voilà aux enchères. Comment la dater ? Très simplement : le nom du fondeur Quesnel est inscrit dans le bronze. Ce n’est donc pas une édition tardive. Quel prix donner à la main de Géricault ? Difficile à dire en l’absence de tout point de comparaison, 23 à 30 000 euros. peut-être. Une chose est sûre, les musées s’agitent et les collectionneurs aussi. Les appels en provenance des Etats-Unis et d’Allemagne sont, dit-on, nombreux.

- Paris, Etude Pescheteau-Badin, Godeau, Leroy, 6-7 février.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°533 du 1 février 2002, avec le titre suivant : Bolloré, la passion des manuscrits

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