Foire & Salon

ANALYSE

Biennale, chronique d’un déclin annoncé

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2021 - 1061 mots

PARIS

Autrefois fleuron du marché français, le salon a fait les frais d’une succession d’erreurs stratégiques commises depuis plus d’une décennie par le Syndicat national des antiquaires, son organisateur.

Le stand de l'antiquaire Cahn (Bâle) à La Biennale 2021 © Ludovic Sanejouand
Le stand de l'antiquaire Cahn (Bâle) à La Biennale 2021.
© Ludovic Sanejouand

Paris. « Beaucoup d’erreurs successives et collectives ont été commises par le passé », reconnaît volontiers Henri Jobbé-Duval, directeur artistique de l’édition 2021 de La Biennale, et organisateur reconnu de foires – il a notamment participé aux développements de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) et d’Art Paris. À l’origine de ces erreurs, l’absence de refonte du système d’élection du président du Syndicat national des antiquaires (SNA). « Instaurer un scrutin de liste sur le modèle du CPGA (Comité professionnel des galeries d’art) aurait garanti une direction homogène. Au SNA, chaque président se présente individuellement et ensuite le bureau vote. Il y a donc une forte opposition, ce qui rend la gouvernance plus difficile », affirme le galeriste Georges-Philippe Vallois, ex-président du Comité. La tension a été portée à son comble avec le putsch de juillet 2014, lorsque le président Christian Deydier est évincé par le conseil d’administration. « Les petits marchands ont voulu prendre le pouvoir, estimant qu’eux aussi avaient le droit de participer à la Biennale », se souvient un acteur du marché.

Une démocratisation nécessaire ?

« À l’époque, sur 400 adhérents, il y avait trois listes. La liste 1 réunissait les grands marchands éligibles à la Biennale (environ 80). La liste 2 constituait une liste d’attente (autour de 50 noms) et le reste n’était pas éligible », précise le marchand Benoît Sapiro, aujourd’hui vice-président du CPGA. « En 2012, le salon d’honneur du Grand Palais a été ouvert aux plus petits marchands. Déçus car peu visités, leur colère a commencé à monter. Trop tard, le ver était dans le fruit. Or, tout le monde n’est pas éligible à la Tefaf [prestigieux salon d’art et d’antiquités à Maastricht, NDLR] et ça ne fait grogner personne. » Après le débarquement du président, le SNA axe sa politique sur une nécessaire démocratisation de la Biennale, démocratisation qui apparut peu compatible avec le positionnement du salon. « Les grands marchands tirent les petits et non l’inverse. Il peut y avoir de petits marchands à la Biennale mais les grands devaient rester majoritaires », affirme Georges-Philippe Vallois.

Puis le nouveau président Dominique Chevalier (élu à la fin de l’année 2014) décida de l’annualisation du salon sous couvert de baisser les coûts et concurrencer Tefaf. Les grands marchands – à peine 20 % des membres du SNA – s’y opposèrent fermement. « Nous voulions que la Biennale reste un salon à part, pour lequel les marchands gardaient des pièces exceptionnelles pendant deux ans », se souvient Benoît Sapiro. Votée en juin 2015, cette mesure a agi comme un détonateur et accéléré le départ d’adhérents prestigieux du SNA. Selon certains, cette annualisation a été mal organisée. « Il eût fallu la préparer et d’abord s’assurer de la présence des grands marchands, alors que certains étaient déjà partis », observe Georges-Philippe Vallois. « Elle est arrivée trop tard ! », déplore quant à lui l’organisateur de salons Jean-Daniel Compain, ex-D. G. du pôle culture, luxe et loisirs de RX France (anciennement Reed Expositions). « Le champ a été laissé libre aux salons concurrents annuels. Immanquablement, vous perdez en puissance et surtout, vous perdez au fur et à mesure des exposants. »

Pour Henri Jobbé-Duval, il fallait deux événements distincts quand la Biennale a retrouvé les espaces du Grand Palais en 2006 : « Les enseignes prestigieuses faisaient la Biennale tous les deux ans en septembre au Grand Palais, et pour les plus petits marchands on conservait le Salon du collectionneur tous les ans au Carrousel, à une autre date. »

Un positionnement obsolète

Avec le déclin de spécialités autrefois phares comme le XVIIIe siècle, « il aurait fallu opérer une mue dès le début des années 2000 », estime Benoît Sapiro. Et faire entrer massivement l’art contemporain. À l’époque, le SNA bloque sur ce point, comme s’il refusait l’avenir et le renouvellement générationnel. Une erreur stratégique au moment où l’on constate que le mélange des genres est en train de permettre au marché de reconquérir de jeunes collectionneurs avec des objets anciens. Des galeristes comme Daniel Templon ou Dominique Lévy ont bien fait un bref passage, mais c’était trop tard, les marchands de même calibre n’étaient déjà plus là. Quant aux grands joailliers, « leur départ a cassé la dynamique », a reconnu Mathias Ary Jan, le vice-président du SNA. Mécontents de la façon dont ils ont été traité par le SNA, ils ont fait une croix sur la Biennale, privant celle-ci d’une partie de ses riches visiteurs.

Externalisation de l’organisation

« Il fallait professionnaliser ce salon, se décharger sur un organisateur externe. Ce n’était pas le rôle du SNA de choisir la couleur des murs et des moquettes », affirme Benoît Sapiro. « Organiser des salons, c’est un métier. Pour réussir, il faut de l’expérience et un savoir-faire. Mais ça, le SNA ne veut pas l’entendre. La Fiac et Paris Photo sont dans les trois grandes marques mondiales aujourd’hui ! », relève Jean-Daniel Compain. Après son départ de RX France, celui-ci avait rejoint la Biennale de 2016 en tant que directeur général : « Tout m’a été reproché alors j’ai vite claqué la porte en disant : vous n’écoutez rien, vous allez tuer la Biennale ! » Toutes les tentatives pour externaliser l’organisation – dont celle de Reed en 2015 – ont jusqu’ici échoué.

La concurrence grandissante de Tefaf n’a pas non plus été prise en compte. À sa création en 1988, personne ne croyait à ce salon, à cause de la localisation géographique de Maastricht. Pourtant, faute de se remettre en question, les concurrents comblent leur retard et rattrapent la Biennale. Mettre en place une sélection très stricte, comme cela se pratique à Tefaf, aurait ainsi été salutaire. « Avec un comité digne de ce nom, c’est-à-dire des personnalités qui connaissent parfaitement le marché. Pas des clients mais des marchands, et des grands, reconnus internationalement ! », lance l’un des membres du board de Tefaf. Mais aussi avec des figures institutionnelles majeures, le président-directeur du Louvre par exemple. « Si l’un d’entre eux me dit, tu devrais participer à ce salon, je vais franchement y réfléchir », concède Georges-Philippe Vallois.

Aujourd’hui, plusieurs marchands qui avaient voté l’annualisation le regrettent, à l’instar d’Alexis Bordes, qui siège au conseil d’administration du syndicat : « Je me rends compte que c’était une erreur. Nous avons banalisé un événement et ôté le désir des collectionneurs qui attendaient deux ans. » Beaucoup d’acteurs du marché aimeraient ainsi faire table rase…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°579 du 10 décembre 2021, avec le titre suivant : Biennale des antiquaires, chronique d’un déclin annoncé

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