Histoire

Bâle au centre du monde

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2016 - 968 mots

Des raisons historiques, géographiques et économiques permettent de comprendre
comment la ville suisse devient chaque année en juin la capitale du marché de l’art.

« UBS » : lorsqu’on le questionne sur les raisons du succès d’Art Basel, Harry Bellet martèle spontanément les initiales de l’Union de banques suisses. Mais le journaliste du quotidien Le Monde, grand spécialiste de la foire et de la ville, nuance aussitôt : « La part de l’évasion fiscale a existé et favorisé les choses, mais elle n’est pas fondamentale. » Car l’économie ne permet pas seule de comprendre la force de frappe de Bâle, cette ville moyenne (recensant environ 180 000 habitants) devenue « la Mecque » du marché de l’art. Comptent aussi la géographie et l’histoire. Bâle fut en effet, au début du XIIIe siècle et pendant longtemps, la seule ville sur le Rhin à avoir un pont, celui que le prince évêque Heinrich von Thun fait construire en 1225. La cité devient un carrefour commercial incontournable entre l’Italie et le Nord, Bruges et Anvers en tête, puisque le Rhin n’est navigable qu’à partir de Bâle. En aval, ce sont les fameuses chutes du Rhin de Schaffouse. Aujourd’hui encore, l’aéroport de Mulhouse-Bâle est l’un des rares à desservir trois pays : la France, l’Allemagne et la Suisse. Au XVe siècle, l’art de l’imprimerie est introduit dans la ville et une université est créée qui va attirer Erasme. Humanisme, développement culturel et essor économique vont susciter la naissance de deux manifestations, la Foire de printemps et la Foire d’automne. Le concept de foire semble inscrit dans les gènes de Bâle…

La ville du premier musée public

Mais si Bâle est un nœud commercial, elle est aussi un nid de collectionneurs. Et là encore dans une tradition séculaire. Hans Holbein le Jeune arrive dans la ville en 1515. L’artiste sera d’ailleurs très vite collectionné par l’humaniste Boniface Amerbach puis par son fils et son petit-fils. Avec le rachat de cette collection en 1661, la ville ouvrira alors ce qui deviendra le premier musée public au monde. Cela explique qu’aujourd’hui le Kunstmuseum (1936) possède la deuxième plus grande collection, soit une quinzaine d’œuvres, du peintre allemand après celle de la reine d’Angleterre. Le musée va profiter du développement de l’industrie pharmaceutique – car Bâle, c’est également cette économie-là – et des dons et dépôts des Hoffmann-LaRoche. La famille se montrera si généreuse qu’elle sera à l’origine, au travers de la Fondation Emanuel Hoffmann (créée par Maja Hoffmann), et de la Fondation Christoph Merian, du Gegenwartskunst Museum, inauguré en 1980 et exclusivement consacré à l’art contemporain. Le musée pourvu, la Fondation va contribuer, avec l’aide de Maya Oeri, à la création du Schaulager en 2003, dont la conception est confiée aux architectes Herzog & de Meuron. La ville se passionne en effet pour l’architecture, comme en témoignent les différentes réalisations des plus grands noms, Mario Botta pour le Musée Tinguely, Renzo Piano pour la Fondation Beyeler, Frank Gehry pour le Vitra Design Museum… Si l’on ajoute à cela les ports francs suisses et le secret bancaire, tous les ingrédients étaient réunis pour faire d’Art Basel ce qu’elle est devenue. Pourtant, quand Hans Beyeler, avec la collaboration de deux autres galeristes, Trudi Bruckner et Balz Hilt, crée la première édition de la manifestation en 1970, ils n’étaient pas nombreux à y croire. Mais la foire va marcher avant d’ouvrir un nouvel et important chapitre au tournant des années 1990.

Les années 1990, l’ère Rudolf
Lorsqu’il prend la direction d’Art Basel en 1991, Lorenzo Rudolf estime le nombre de très gros collectionneurs bâlois à douze en cette fin des années 1980. C’est-à-dire quasiment autant, à la même époque, que dans toute la France. Il s’est appuyé sur ce constat, local, et sur le principe que l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Autrement dit, que pour avoir les meilleures galeries du monde, il fallait faire venir les plus grands collectionneurs internationaux, lesquels, par leur présence, devaient attirer en retour les galeries encore hésitantes. Rudolf a alors pris son bâton de pèlerin et Samuel Keller, qui était alors son chargé de relations publiques et de la presse, par la main. Ensemble, ils sont allés à la pêche aux collectionneurs étrangers, multipliant les visites de foire dans le monde entier et leur présence dans les vernissages. Petit à petit, les collectionneurs américains ont commencé à venir, la « machine » Bâle était relancée. Car juste après la guerre du Golfe, au début des années 1990, les galeries ne se bousculaient pas au portillon. Il n’y avait d’ailleurs plus de liste d’attente pour obtenir un stand. Tout va cependant se remettre peu à peu en place. En quittant Art Basel en 2000, pour aller diriger la Foire du livre de Francfort, Rudolf lègue à Samuel Keller à la fois sa place et le projet de bouture à Miami, que ce dernier lancera en décembre 2002. Différée d’un an à cause des attentats du 11-Septembre, la foire Art Basel Miami Beach ne fera que renforcer la marque « Art Basel » et fidéliser les collectionneurs.

La foire comme un moment festif
Avec un sens de la communication et de la diplomatie hors pair, Samuel Keller va développer et faire évoluer le concept même de la manifestation. Sa conduite de Bâle l’amène notamment à sortir la foire de ses murs et à en faire un moment festif, multipliant les soirées et événements divers, un principe gagnant qui sera d’ailleurs repris par la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) parisienne quelques années plus tard. À son départ, en 2007, pour prendre la direction de la Fondation Beyeler, près de Bâle, Keller choisira lui-même son successeur, Marc Spiegler, toujours en poste aujourd’hui. Art Basel est depuis devenue la foire la plus importante au monde et, avec Miami et Hongkong (depuis 2013), une très grande marque internationale.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Bâle au centre du monde

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