Foire & Salon

Turin

Artissima au risque du politique ?

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2016 - 759 mots

Quoique encore trop grande, la foire d’art contemporain regagne en vigueur dans un contexte turinois politiquement troublé mais culturellement dynamique.

TURIN - Que faire à Turin au début du mois de novembre ? Déguster de la truffe bien entendu, dont la capitale du Piémont regorge en cette saison, mais aussi consommer de l’art contemporain, qui infuse dans la ville au moment où se tient Artissima, même si la municipalité semble progressivement se désengager du champ culturel.
2015 déjà avait vu l’abandon d’une tradition bien ancrée, celle du financement par la Fondazione Torino Musei – qui englobe à la fois les musées de la ville et la foire – d’expositions concomitantes au salon afin d’accroître la dynamique locale autour de l’art contemporain. de récentes secousses ont agité la structure publique. Sa présidente, Patrizia Asproni, a démissionné pour cause de désaccord, semble-t-il, avec des propos aux relents populistes de la nouvelle maire de Turin, Chiara Appendino, âgée de 32 ans et issue du mouvement 5 Étoiles. Cette dernière a fait savoir que les expositions des musées municipaux n’étaient pas assez populaires à son goût. Une démission qui déjà retarde le processus de nomination du(de la) prochain(e) directeur(trice) d’Artissima, un titre remis en jeu tous les trois ans. Candidate à sa propre succession, Sarah Cosulich Canarutto, qui n’a pas démérité, devra-t-elle s’incliner face à des considérations de basse politique ? Réponse dans quelques semaines.

Pour sa 23e édition, qui s’est tenue du 4 au 6 novembre, le salon a regagné en nervosité après une édition 2015 un peu terne, même si son dynamisme demeure freiné par cet embonpoint qui lui nuit et a déjà été souligné dans ces colonnes : 193 exposants répartis sur 20 000 mètres carrés, c’est beaucoup trop, surtout dans un moment où le paysage des foires d’art contemporain risque de connaître des bouleversements. La période d’inflation sans borne qu’ont connu les foires sur le plan mondial commence en effet à montrer ses limites.
Malgré donc un certain nombre de galeries dont l’absence n’aurait nullement été nuisible, Artissima s’est surtout distinguée par ce qu’elle sait faire de mieux : proposer des choses que l’on ne voit pas ailleurs, ou peu, pour cette raison que la majorité des exposants ne sont pas ceux présents dans les grands rendez-vous qui dominent le marché. Consacré aux redécouvertes, le secteur « Back to the Future » a de nouveau fait dans l’excellence, entre les œuvres des années 1980 un rien grinçantes dans leur texture de Patrick Saytour (Bernard Ceysson, Paris) ; les performances et sculptures en latex hyper sexualisées de Renate Bertlmann (Richard Saltoun, Londres) ; l’abstraction lorgnant vers la bande dessinée de Sadamasa Motonaga (De Primi Fine Art, Lugano) ; les miroirs déformés et les images d’ondes de télévison de Lars Fredrikson (In Situ-Fabienne Leclerc, Paris)…

La section principale n’était pas en reste, avec globalement une remarquable qualité dan les accrochages et beaucoup de surprises, comme de rares photographies d’une performance de 1985 de Gregor Schneider sur le stand de Guido Costa (Turin) ou l’exploration du langage comme forme à travers du papier millimétré découpé par le regretté Ulises Carrión (Walden, Buenos Aires). De même la cohabitation entre les galeristes Samy Abraham (Paris) et Rolando Anselmi (Berlin) se révélait-elle à la fois nerveuse et réussie.

Conjuguée à la belle santé de la programmation des institutions et fondations turinoises (« Carol Rama » présentée à la GAM, « Wael Shawky » à la Fondazione Merz et au Castello di Rivoli, « Josh Kline » à la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo), Artissima a montré qu’elle demeure la foire d’art contemporain de référence en Italie. Les récentes initiatives milanaises en effet ne sont pas – encore – parvenues à bousculer l’ordre établi. Et voir s’installer pour la première fois dans la ville un petit salon « off » fut le signe d’une évidente vitalité. DAMA, qui, à l’instar de Paris Internationale a pris place dans un édifice ancien du centre-ville, en l’occurrence un somptueux palais encore décoré de peintures murales, n’a regroupé que dix galeries jeunes voire très jeunes – certaines ayant été fondées en 2015 – avec quelques belles propositions, comme les paysages abstraits de Priscilla Tea exposés par Neumeister Bar-Am (Berlin) ; la peinture terreuse et naturelle de Magda Skupinska, à voir chez Maximillian William (Londres) ; une vidéo de Calixto Ramírez chez Yautepec (Mexico) ; ou une grande sculpture de Yu Honglei chez Antenna Space (Shanghaï).

Il serait regrettable qu’Artissima patisse dans le futur de décisions politiques hasardeuses, car c’est une part de l’attractivité de Turin qui serait alors remise en cause.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Artissima au risque du politique ?

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