FOIRE

Art Karlsruhe, plus près des collectionneurs

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 28 février 2018 - 1124 mots

Loin de la ferveur et de la course aux records qui anime le marché de l’art, la foire internationale d’art moderne et contemporain tisse ses liens auprès d’une clientèle réceptive à la nouveauté et la scène créative locale.
Karlsruhe. C’est dans une ambiance bon enfant que s’est déroulée la quinzième édition d’Art Karlsruhe. Dans le contexte d’une des régions les plus riches d’Allemagne, les 215 galeries participantes, dont un quart seulement d’étrangères, ont envisagé les affaires avec sérénité. Des stands aux tarifs relativement peu élevés (entre 140 et 190 euros du mètre carré) ont pu en outre contribuer à détendre une atmosphère souvent plus nerveuse en cette période de concurrence accrue du marché. La concentration dans la région des collections privées et publiques parmi les plus riches d’Allemagne n’y est certainement pas non plus étrangère. Pourtant, à la différence de ses consœurs et voisines Art Basel et Art Cologne, la foire du Bade-Wurtemberg ne vise pas une élite internationale de collectionneurs, curateurs et institutions. C’est plutôt une bourgeoisie locale fortunée qui constitue le cœur de cible de la foire. Cette clientèle décomplexée vis-à-vis des standards du marché le sera d’autant plus qu’ici, la plupart des prix sont affichés sur les cartels.

La foire poursuit deux lignes, d’une part les classiques de la modernité et d’autre part l’art contemporain. Dans la première catégorie, la galerie Thole Rotermund Kunsthandel (Hamburg) sort du lot avec de belles aquarelles d’Emil Nolde affichées entre 84 000 et 195 000 euros. Côté découverte, cette galerie présente des découpages sur papier des années 1920 d’une artiste locale, Gretel Haas-Gerber (1903-1998), qui semblent anticiper formellement sur les silhouettes de l’artiste afro-américaine Kara Walker (petits formats entre 800 et 2 800 euros). La galerie Bailly (Genève et Paris) présente pour sa part une petite gouache de Nicolas de Staël pour 40 000 euros ou encore une acrylique sur panneau de Victor Vasarely pour 35 000 euros. Clara Al Sidawi, collaboratrice de la galerie, explique que « c’est la première participation de la galerie à Art Karlsruhe. Aujourd’hui les collectionneurs ne se déplacent plus comme auparavant, ainsi qu’on a pu le voir dernièrement sur Tefaf. Alors il est nécessaire de multiplier les salons pour aller à leur rencontre ». Cécile Charron de la galerie Charron (Paris) revient quant à elle pour la quatrième année consécutive. Elle apprécie sur ce salon « la spontanéité des collectionneurs ouverts à la nouveauté et qui achètent volontiers à des galeries qu’ils ne connaissent pas ». Un son de cloche assez différent de ce que l’on entend habituellement à propos des collectionneurs allemands. La galeriste parisienne a amené dans ses bagages un portfolio en sept feuilles de Cy Twombly vendu à l’ouverture de la foire pour un montant de 70 000 euros. Renate Bender (Munich) présente quant à elle des œuvres de Carlos Cruz-Diez affichées entre 225 000 et 325 000 euros. Pour cette galeriste qui répond présent depuis dix ans, l’intérêt de cette foire réside « dans la diversité des propositions, la taille des stands et l’ambiance familiale ».

Les nouveaux médias totalement absents
Pour ce qui est du contemporain, peu de pratiques conceptuelles ou expérimentales et surtout, pas de nouveaux médias. Une situation étrange alors que la ville abrite le ZKM, centre d’art consacré aux nouveaux médias le plus important d’Allemagne. Britta Wirtz, directrice générale de la manifestation, le regrette : « Malheureusement, il n’a pas été possible d’établir ici un marché correspondant. » Brigitte March, galeriste de Stuttgart, fait partie des rares à passer outre cette limitation. Elle présente un bel ensemble de Timm Ulrichs, un artiste conceptuel allemand de la génération de Joseph Kosuth et Lawrence Weiner. Cinq « tableaux » sont alignés sur une cimaise, présentant le mot Bild (image en allemand) : un ensemble conçu en 1966, matérialisé par des adhésifs découpés (29 750 euros). Les bourses plus modestes se contenteront de la « copie », qui elle est présentée sur une toile autonome, paraissant plus vraie que l’original (7 250 euros pour une édition de 12).

Dans cette section contemporaine, beaucoup de médiums traditionnels. La foire a d’ailleurs une section consacrée à de grands projets sculpturaux essaimés sur l’ensemble du parcours. On y retrouve par exemple la Théière de Joana Vasconcelos, dont on avait pu voir un exemplaire dans les jardins de Versailles, ainsi qu’à la Monnaie de Paris l’automne dernier. 380 000 euros suffisaient pour acquérir cette royale lubie auprès de la Galerie Scheffel (Bad Homburg). La pièce a reçu le prix de sculpture Wilhelm Loth doté de 20 000 euros. Meyer Riegger (Karlsruhe et Berlin), qui a son berceau à Karlsruhe, fait partie des galeries les plus influentes d’Allemagne. Elle participe pour la deuxième année consécutive avec une sélection de son programme, notamment de belles peintures de Miriam Cahn (entre 20 000 et 55 000 euros). Jochen Meyer, cofondateur de la galerie, explique son engagement sur le salon « par son identification à la région et afin de soutenir une initiative locale ». Ce bon connaisseur de la scène allemande souligne l’importance de la place de l’art dans une société dans laquelle « jouer au golf, rouler en Mercedes et collectionner de l’art sont des éléments de socialisation déterminants pour une bourgeoisie née du miracle économique de l’après-guerre ». Rappelant le rôle clé du fédéralisme, il souligne les spécificités d’une scène locale portée entre autres par une importante école régionale des beaux-arts. Ce à quoi s’ajoutent les importantes institutions locales, toutes représentées sur la foire. Pia Müller-Tamm, la dynamique directrice de la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe, reconnaît qu’Art Karlsruhe a le mérite « d’attirer de très nombreux visiteurs qui correspondent aussi au public de la Kunsthalle ». L’historienne de l’art souligne la dimension franco-allemande de ce public. Cet aspect fait écho à l’exceptionnelle collection des princes de Bade dont elle a la charge et qui est très ouverte sur l’art français. Le Badischer Kunstverein, qui est un des plus anciens d’Allemagne, fête quant à lui son bicentenaire en 2018. Sa directrice Anja Casser en fait la promotion sur un stand tout argenté, façon Factory : « entre autres manifestations nous reviendrons cette année sur l’histoire féministe du Kunstverein ». Enfin, le Musée Frieder Burda de Baden-Baden présente une sélection de ses collections sur un grand stand où l’on croise des œuvres de Pablo Picasso, Andreas Gursky, Sigmar Polke, Gerhard Richter, Rodney Graham, etc. Patricia Kamp, qui représente l’institution, rappelle que « le retour au local dans un contexte globalisé est aujourd’hui déterminant ». S’engager dans un soutien pour cette scène est une nécessité pour son institution. Mais la belle-fille du collectionneur allemand Frieder Burda, qui a récemment ouvert son Salon Berlin (une antenne du musée dans la capitale fédérale), ne perd certainement pas de vue l’extrême polarisation d’un pays où la richesse est concentrée au sud et à l’ouest alors que la créativité et les processus de validation demeurent en partie du côté de Berlin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : Art Karlsruhe, plus près des collectionneurs

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