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Art Basel, trop lisse, trop sage

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2014 - 771 mots

Des ventes nombreuses, des œuvres de qualité : la foire suisse n’a pas failli à sa réputation lors de sa 45e édition. Mais le trop grand formatage commercial bride la créativité des pièces exposées.

BALE - Pour chercher de la matière émotive à Bâle cette année, le mieux était de rejoindre un hall isolé dans lequel avait pris place le remarquable événement « 14 Rooms », imaginé par Hans Ulrich Obrist et Klaus Biesenbach. Dans une structure close se distribuaient autour d’un couloir central quatorze petites pièces fermées par des portes en miroir, à l’intérieur desquelles autant d’artistes avaient installé des dispositifs liés à la performance.

Car pour le reste, c’est un sentiment des plus mitigés qu’a laissé la 45e édition d’Art Basel, qui s’est tenue du 19 au 22 juin. Comme à l’accoutumée, le commerce s’y est très bien comporté. « Le premier jour a été un tsunami ! » relatait, satisfaite, Esther Schipper (Berlin), qui s’est notamment défaite de nombreuses œuvres de Gabriel Kuri et d’un belle AIDS Painting de General Idea affichée à 110 000 euros. Dès le matin du deuxième jour, très nombreux étaient d’ailleurs les réajustements d’accrochages, trahissant ici et là des remplacements d’œuvres cédées la veille.
Les grosses pièces ont été à la fête, celles de Jeff Koons notamment, à 5 millions de dollars (3,6 millions d’euros) pour l’une chez David Zwirner (New York) et 4 millions de dollars pour l’autre chez Gagosian (New York). Car, ainsi que relativisait un galeriste, « le commerce se porte bien mais marche surtout pour les noms qui sont sous les projecteurs ! »

En outre, qui dit grosses pièces ne dit pas nécessairement qualité. Comme l’an dernier, « Unlimited » a fait assez pâle figure. Le secteur comprenait beaucoup d’œuvres imposantes certes, mais fort peu d’entre elles étaient véritablement marquantes, n’étaient-ce une belle installation de Cathy Wilkes (The Modern Institute, Glasgow), les quatre peintures monumentales de Philippe Decrauzat (Mehdi Chouakri, Berlin), ou le très beau Carl Andre de la Documenta de Cassel de 1982. Au final, loin de la découverte d’œuvres excitantes, l’impression était plutôt celle du remplissage.

Manque d’inspiration
Or c’est bien ce qui est ressorti de l’ensemble : l’image d’un événement sans beaucoup de relief, d’où peu d’œuvres émergeaient de l’ensemble et où nombre d’entre elles se ressemblaient. Si, comme toujours, il était possible de trouver en nombre de la marchandise de belle qualité, le tout trahissait un cruel manque d’inspiration chez la plupart des acteurs. Rares étaient en effet les accrochages de haute volée comme celui de Cabinet (Londres), intitulé « Horrible System », réunissant Pierre Klossowski, Ed Atkins et Mark Leckey, ou le solo show enchanteur d’Alex Katz chez Peter Blum (New York). Notable était aussi la proposition de Jocelyn Wolff (Paris) mêlant la jeune Élodie Seguin (à 9 000 euros) à Hans Schabus et Franz Erhard Walther, dont un tableau de 1962 était proposé à 1 million d’euros. Le stand de Franco Noero (Turin) était aussi remarquable, avec une sculpture au plafond de Lara Favaretto et une très belle tapisserie de Francesco Vezzoli cédée pour 220 000 dollars, mêlant des motifs de Josef Albers et de Frank Stella et arborant un titre quelque peu programmatique : Abstracts decorate !

« Very commercial »
L’un des commentaires les plus fréquemment entendus dans les travées pour qualifier le salon était « very commercial », ce qui dans la bouche des professionnels comme des amateurs n’est jamais à entendre comme une qualité. Certains se montraient plus mordants encore. « J’ai l’impression d’être dans une foire d’ameublement où tout est pensé pour décorer la maison, mais je ne vois pas de projets, ni de pensée, ni d’émotion », déplorait ainsi un collectionneur. D’ailleurs Gisèle Linder (Bâle) n’a pas hésité à satisfaire à cette fameuse figure de l’œuvre d’art à accrocher au-dessus du sofa, puisque trônait lamentablement sur son stand une belle toile blanche de François Morellet coupée par un néon et accrochée derrière… un canapé du même coloris !

Rares étaient ainsi les marchands à avoir pris des risques, multipliant à l’inverse le nombre de travaux de moyen format, facilement « écoulables » et permettant de faire tourner rapidement la caisse enregistreuse ; ce qui ressemble à s’y méprendre à une position défensive permettant d’assurer ses arrières.

Même le rez-de-chaussée n’a pas permis de pousser trop de cris d’enthousiasme, raréfaction de la marchandise moderne oblige. Peu de pièces à hauteur de la formidable sculpture de Germaine Richier chez Dominique Lévy (New York) ou de la fantastique Blue Painting d’Ad Reinhardt datée 1951-1953 proposée par David Zwirner ont paru mémorables. Une édition à oublier donc, en attendant 2015…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Art Basel, trop lisse, trop sage

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