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Art Basel aux prises avec la valeur des œuvres

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2016 - 950 mots

Cette belle édition du salon suisse, véritable baromètre du marché de l’art, a imprimé un tempo plus lent
et mesuré, que souligne un recentrage du marché vers des valeurs plus sûres.

BÂLE - « L’art contemporain est devenu tellement cher ! », s’exclamait une visiteuse lors de l’inauguration de la 47e édition d’Art Basel, qui s’est tenue du 16 au 19 juin et a regroupé 286 galeries en provenance de 33 pays. Si la collectionneuse a bien conscience que se promener dans les travées de la foire suisse conduit toujours les plus fortunés des amateurs à bourse délier, quelque chose la tracasse : « Il y a tellement de foires, de galeries et d’artistes, qu’il est de plus en plus difficile de se faire une véritable idée de la corrélation entre la qualité et le prix demandé. » Cette question, celle de la valeur des œuvres ou du juste prix, de plus en plus de collectionneurs ou d’acheteurs semblent avoir commencé à se la poser avec plus d’acuité qu’auparavant. Peut-être même fut-elle la cause de la nette césure, en termes de fréquentation, qui s’est opérée lors de l’inauguration entre les deux niveaux de la manifestation : celui dévolu à l’art contemporain, en haut, resté relativement calme et en tout cas loin de la foule compacte qu’on y voit ordinairement, et celui du moderne et contemporain classique, en bas, lui extrêmement fréquenté.

La jeunesse perd la cote
Cher l’art contemporain ? Ce n’est pas que l’art moderne ou les artistes devenus cultes ou déjà classiques ne le soient pas : chez Robert Mnuchin (New York) étaient demandés 2,8 et 3,5 millions de dollars pour deux pièces au sol de Carl Andre, toutes deux datés de 1968 ; ou sur « Unlimited » une colossale toile de Frank Stella de 1970 proposée par Marianne Boesky (New York), Dominique Lévy (New York) et Sprüth Magers (Berlin), vendue à un collectionneur chinois, s’affichait à presque un million du mètre : 14 millions de dollars pour 15 mètres de long ! Chez beaucoup d’acheteurs semble s’être installée l’idée que dépenser plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des jeunes pousses aux références encore minces et loin d’avoir fait leurs preuves était sans doute disproportionné. Ce qui conduit de plus en plus à freiner la course et la spéculation autour de la jeunesse. Surtout lorsque, comme à Art Basel, l’histoire frappe à la porte et conduit de nombreux acheteurs à privilégier désormais une certaine sécurité dans leurs acquisitions.

Le secteur « Feature » a notamment été remarquable dans le registre d’une redécouverte de maîtres un peu oubliés ou d’œuvres méconnues de noms incontournables, comme James Cohan (New York) proposant des œuvres anciennes et rares de Robert Smithson, en particulier trois dessins de 1964 et deux « tableaux-sculptures » de 1965 réalisés avant que l’artiste ne se lance à la conquête de l’extérieur. De même Frank Elbaz (Paris) a fait revivre l’ambiance de la Beat Generation version San Francisco avec un accrochage passionnant mêlant Bruce Conner, Jay DeFeo et Wallace Berman, avec des prix entre 10 000 et 250 000 dollars. Ailleurs dans la foire, il était possible de repartir de chez Esther Schipper (Berlin) pour « seulement » 75 000 euros avec une robe en store vénitien (1975) de « General Idea », la dernière disponible, qui fut utilisée lors de plusieurs performances par ces artistes mythiques et inclassables, tandis que deux portraits par Francis Picabia –  qui bénéficie d’une formidable rétrospective au Kunsthaus de Zürich – étaient disponibles chez Natalie Seroussi (Paris) pour moins d’un million d’euros chacun.

Un démarrage peu véloce

Surtout le salon est apparu assez confus, donnant à voir différentes réalités, signe d’une période troublée à l’heure d’un ralentissement du marché consécutif aux tensions et incertitudes économiques et politiques. Ainsi peu de galeries, malgré la belle qualité générale des œuvres, ont offert des stands avec des accrochages faisant preuve  d’originalité et beaucoup ont privilégié des œuvres de moyens formats, en très grand nombre. Jouer la version XL s’est d’ailleurs parfois révélé contre-productif, comme avec les deux énormes sculptures de Mark Manders sur le stand de Zeno X (Anvers), dont la taille disproportionnée a fait passer à la trappe la subtilité qui d’ordinaire caractérise ce travail. En outre, d’un point de vue commercial Art Basel a offert plusieurs tempos. Si des galeristes comme Guido Baudach (Berlin), Mehdi Chouakri (Berlin) ou Jan Mot (Bruxelles), qui s’est notamment défait d’un rare tableau géométrique de Lawrence Weiner (1967) parti rejoindre un musée privé au Japon, se félicitaient d’avoir fait le premier jour leur meilleure ouverture depuis leur présence à Art Basel, d’autres ont trouvé les débuts bien poussifs. Le directeur d’une grande enseigne ayant plusieurs antennes en Europe relatait ainsi : « Le démarrage est bien plus lent que les autres années et des œuvres importantes que nous aurions dû vendre tout de suite sont encore là [le deuxième jour], mais elles finiront par partir. » Ce qui a été vérifié par de nombreuses galeries, parfois de taille très importante, qui, bien qu’ayant enregistré de bons résultats, ont relevé des débuts inhabituellement tranquilles, mais aussi des prises de décisions bien moins rapides de la part des acheteurs.

Réaliste, un autre constatait : « L’activité en galerie s’est considérablement réduite, pour ne pas dire réduite à néans, et heureusement que nous vendons bien ici. Mais si ça ne marche pas à Bâle, ça ne marche nulle part de toute façon. »

La qualité et le niveau des transactions, de même que le fléchage des achats vers des valeurs plus ou moins sûres, c’est notamment à cette aune que seront scrutées les foires d’automne, et Frieze London en particulier, dont le caractère désormais entre-deux pourrait pâtir d’une réorientation du marché.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Art Basel aux prises avec la valeur des œuvres

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