Espagne

Arco et l’écosystème madrilène

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2016 - 750 mots

En dépit d’un niveau de transaction encore un peu faible, la foire est maintenant bien installée dans le paysage européen en raison notamment d’une offre inédite et plus ouverte à l’Amérique du Sud.

MADRID - D’une élégance folle, le petit stand de Zeno X (Anvers) mêlait de petits tableaux de Michaël Borremans avec quelques sculptures de Mark Manders. Juste en face, de nouvelles œuvres d’Éric Baudelaire, toutes en jeu de transparence entre textes et images tirés du Journal Le Monde, faisaient mouche chez Juana de Aizpuru (Madrid), tandis que le stand de Marian Goodman (New York) était habillé d’une très belle sélection d’œuvres de John Baldessari, quand Tino Sehgal en occupait l’intérieur plongé dans le noir.

De nombreuses de galeries étaient de retour à Madrid cette année, après de longues années d’absence parfois, dix pour Franco Noero (Turin) par exemple. La raison du retour pour certaines ? La 35e édition d’ARCOmadrid, qui s’est tenue du 24 au 28 février. Trente-trois enseignes ont été invitées par la foire à célébrer cet anniversaire en orchestrant sobrement des dialogues sur leurs stands : une initiative remarquable et remarquée.

Une foire ouverte
Ce qu’ont pu découvrir tant le public que les professionnels venus arpenter les allées était une foire sérieuse, agréable, avec quelques « déchets » mais en petit nombre, et où il était possible de trouver des œuvres solides. Une foire géographiquement très ouverte, la seule du Vieux Continent à dévier largement de l’axe Europe-États-Unis, et où la province n’est pas honteuse. Une foire enfin où il est encore possible – ouverture géographique oblige évidemment – de faire de nombreuses découvertes, particulièrement dans une section « Solo Projects » très réussie, mais pas seulement. Fort notable était également la très importante présence de travaux à contenu politique, dans des proportions sans doute jamais vues dans aucun autre salon.

Pas venue depuis 1998, Nathalie Obadia (Paris) relevait : « Je n’ai plus envie de faire de foires au Moyen-Orient pour le moment, la situation y est instable et on se rend compte qu’on s’autocensure dans ce qu’on y montre. Je reviens donc à Madrid qui est un bel endroit, la foire est bien organisée et je suis épatée par la qualité de la clientèle. On y voit peu d’artistes américains, ce qui en fait une bonne alternative à Miami pour les collectionneurs latinos. » La qualité de la clientèle, c’est aussi ce que notait Alix Dionot-Morani chez Crève-cœur (Paris) : « Il n’y a pas ici la même pression mercantile que dans les grandes foires et les amateurs ont plus de temps pour regarder le travail des artistes. »

Gare à l’embonpoint
Dans ce concert, la perfection pourtant n’est pas. En premier lieu la foire est ample. Avec cette année 221 galeries (contre 218 en 2015) et 236 stands – par le jeu de doubles participations dues à l’anniversaire – il serait malvenu que le salon reprenne progressivement de l’embonpoint, alors que c’est sa reprise en mains accompagnée d’une cure d’amaigrissement, il y a six ans, qui a permis d’en faire la manifestation qualitative et excitante qu’elle est aujourd’hui. D’un point de vue commercial également, beaucoup trouvaient le rythme des transactions assez mou. Et un participant européen qui a mis la foire a son calendrier depuis 2011 affirmait : « J’y ai toujours travaillé et vendu à des collectionneurs de nombreuses nationalités, mais les plus difficiles sont les Espagnols, qui commencent à peine à me dire bonjour ! » Un sentiment partagé par de nombreux confrères.
Les collectionneurs espagnols, Guillermo Romero Parra (Para & Romero, Madrid), certes à domicile, y croit : « le marché à Madrid va continuer à croître car une nouvelle génération de galeries travaille avec une nouvelle génération d’artistes soutenus par de jeunes collectionneurs, qui ont de l’argent et viennent à l’art contemporain avec l’intention de poursuivre une tradition du collectionnisme espagnol. Madrid est en outre la porte de l’Amérique latine et beaucoup de grosses fortunes viennent s’y installer, vénézuéliennes par exemple », analysait-il.

Mais le succès de la foire manifestement s’inscrit dans un cercle vertueux, dans lequel les galeries dialoguent avec des institutions aux programmes solides comme le Centro de Arte Dos de Mayo et bien entendu la locomotive qu’est le Museo Reina Sofía, dont la qualité des expositions en fait l’un des meilleurs musées européens d’art contemporain. Ce que relevait également Guillermo Romero Parra : « La Reina Sofía est le moteur de ce mouvement, grâce à sa programmation d’une grande sophistication intellectuelle, hors des modes et du marché. Cela a contribué à modifier le public des galeries et son goût, et c’est pour nous un appui important. » Voilà une situation que l’on pourrait qualifier d’écosystème madrilène de l’art contemporain.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Arco et l’écosystème madrilène

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