Arabesque et confort

Une méridienne d’Arbus chez Patrick Fourtin

L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 640 mots

Vers 1930, la crise financière fait réfléchir les riches. Faut-il continuer à dépenser tant d’argent pour avoir l’air pauvre ? L’aventure moderniste, commencée dix ans plus tôt en imposant ses espaces nus, ses tubes, son verre et ses compositions géométriques, commence à faire « daté ». L’Union des artistes modernes qui se constitue en 1929 est la preuve qu’il faut resserrer les rangs et que les puristes, pour reprendre le nom d’une pièce d’Édouard Bourdet de 1937, vont connaître des « temps difficiles ». « Nous avions, ma femme et moi, expérimenté dans notre petite maison d’Hyères plusieurs innovations modernes qui se sont révélées déplorables », aimait à raconter dans les années 1980, le vicomte Charles de Noailles. Il évoquait le château Saint-Bernard, premier chantier
de Rob Mallet-Stevens qu’il devait continuer d’agrandir tout seul, avec un architecte local, monsieur David, pour la plus grande joie des cinéastes qui y tournèrent Biceps et Bijoux ou Le Château de Dé.
En 1932, Charles de Beistegui commence à être fatigué de son « penthouse » construit par Le Corbusier sur les Champs-Élysées. Le béton du maître est agrémenté de poufs capitonnés, de miroirs vénitiens, de lustres en cristal de roche et de nègres en porcelaine. La vilaine petite cheminée, coincée entre une fenêtre et une porte, est habillée de palmettes de stuc.
C’est le retour de l’ornement, des styles, du ludique.
Proche, en 1925, des créateurs de la Compagnie des arts français, autour de Louis Süe, André Arbus, fils d’ébéniste et ancien des Beaux-Arts de Toulouse, reprend les formes classiques qu’il étire, simplifie, combine, avec une allégresse qui s’affirme à chaque Salon des artistes de décorateurs à partir de 1931 : « Voici revenu le règne de la grâce. Le mouvement de pendule qui a toujours fait succéder les styles souples et ornés aux styles précis et rigides nous permet de concevoir enfin
un monde où tout n’est pas mécanique, nickelé et glacial », écrit-il dans Art et Industrie. Ce faisant, Arbus ne fait que revenir aux sources de toute modernité : le néoclassicisme.
L’exposition« Le Corbusier avant Le Corbusier » l’a bien montré ainsi que les premières œuvres de Gropius et de Mies. À Vienne l’actuelle exposition sur la Wiener Werkstätte rappelle que les incunables du design héritent du simplisme ludique du Biedermeier. Quoi de plus moderne qu’une étagère de
la fabrique Danhauser ?
La méridienne de la galerie Fourtin est l’aboutissement d’un travail d’épure qu’Arbus développe à partir du Salon d’automne de 1930 et qu’il présente dans sa galerie L’Époque, joli nom pour dire qu’on est d’aujourd’hui sans céder aux dictatures du « moderne » ou des « styles ». Arbus est bien de son époque, et par là, il est proche de la nôtre parce qu’il n’a pas vieilli. Le début des années 1930 est peut-être son meilleur moment, avant que les bronzes d’Androusov, les commandes officielles et les allusions stylistiques ne l’emportent sur son indépendance d’esprit. Avant que la sculpture et l’art contemporain n’ouvrent à son œuvre la dernière ligne droite. D’un modèle à l’autre, l’idée se précise, s’épure, l’audace l’emporte sur la référence. Arbus donne à la chaise longue de madame Récamier une silhouette d’arabesque : simple courbe qui touche à peine le sol et propose pour la sieste les rondeurs rassurantes du capiton. « Tout dans un », comme disait la réclame des meubles à transformations : la grâce et l’élégance d’une ligne libre et le confort du rembourrage. Union libre qui renvoie les grincheux de tous bords à leurs principes et qui a valeur de manifeste. La méridienne aurait plu à Edgar Poe qui cherchait pour ses rêveurs des sièges où rien n’accroche l’œil et qui savent se faire oublier à force de perfection.

La méridienne d’Arbus est visible à la galerie Patrick Fourtin, 9 rue des Bons Enfants, Paris Ier, tél. 01 42 60 12 63.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Arabesque et confort

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