L’histoire de l’art en jachère

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 921 mots

Après bien des atermoiements, l’Institut national d’histoire de l’art pourrait ouvrir ses portes en 2001 dans les locaux laissés vacants par la Bibliothèque nationale. Mais certains craignent un nouveau report du projet tant que le statut et le budget du nouvel établissement n’auront pas été arrêtés.

Le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, a annoncé en janvier que l’Institut national d’histoire de l’art (Inha) ouvrirait en 2001 dans les locaux de la Bibliothèque nationale (BN) laissés vacants rue de Richelieu et rue Vivienne après le transfert des collections à Tolbiac. Le projet revient de loin. L’historien de l’art André Chastel avait le premier, dans un rapport en 1984, constaté le déclin de l’histoire de l’art en France. En 1993, la création de l’institut souhaitée par Jack Lang échoue de peu pour des raisons juridiques et des échéances électorales. Un an plus tard, après la décision de transférer à Tolbiac les imprimés et périodiques de la BN, le projet est relancé pour aboutir à celui défendu aujourd’hui par Michel Laclotte, ancien directeur du Louvre, qui dirige la Mission de préfiguration de l’Inha. "L’Institut sera un des moyens de redonner de l’énergie à l’histoire de l’art en France, souligne Michel Laclotte. Il répondra aussi à une attente en province, qui ressent le besoin d’un organisme central". Dans un précédent rapport écrit avec Françoise Benhamou en 1992, l’universitaire Pierre Encrevé constatait "la grande dispersion des chercheurs" et leurs "conditions de travail généralement misérables". "Actuellement, en histoire de l’art, si l’on veut réaliser un travail de recherche personnel, il faut se rendre à Washington, Munich ou Londres, même quand il porte sur des artistes français", déplore Michel Laclotte.

Modèles à l’étranger
Le projet actuel vise avant tout à développer la notion de campus et offrir des locaux dignes de ce nom à des institutions souvent mal installées. L’Inha accueillera notamment rue Vivienne l’École du Patrimoine, l’École des Chartes, les séminaires de troisième cycle des universités Paris I, Paris IV et Paris X. Les instituts d’enseignement et de recherche resteront maîtres de leurs enseignements. Il s’agira davantage d’une cogestion de l’institut que d’une direction commune, la sensibilité de chacun étant respectée. "Il y aura échanges et collaboration, et des programmes communs seront mis en place. On peut aussi envisager une revue commune", précise Michel Laclotte qui souhaite faire de l’Inha l’égal de ses modèles à l’étranger, si ce n’est plus : "L’Institut Courtauld de Londres, riche de l’incomparable photothèque Witt, n’a qu’une bibliothèque réduite (il est vrai que celle du Victoria & Albert Museum est aussi complète que possible), et la Fondation Getty en Californie ne dispense pas d’enseignement".

L’accent sur l’art français
"L’Inha devrait favoriser l’unification de la profession et rapprocher les conservateurs des universitaires, car les frontières sont aujourd’hui très étanches", remarque Pierre Encrevé. Il souhaite ainsi que de manière plus régulière un chercheur puisse organiser une exposition et, inversement, un conservateur diriger un séminaire. Ce dernier regrette pourtant que le projet actuel réduise l’institut aux arts plastiques, alors que dans son propre projet, il devait être celui de tous les arts (cinéma, danse, théâtre, musique, archéologie…) et encourager l’interdisciplinarité : "Les liens entre le cinéma et l’art contemporain sont par exemple évidents. Les artistes vidéo en sont la preuve. Il faut briser la rigidité des barrières disciplinaires. En réunissant les gens, on fait évoluer les disciplines".
C’est autour de la documentation que Michel Laclotte souhaite fédérer les énergies. L’absence d’une documentation "handicape fortement la recherche en histoire de l’art" en France, remarque-t-il. L’accent sera mis sur l’art français, et notamment sur les secteurs qui sont absents ou peu traités dans les institutions existantes : bibliographie rétrospective de l’art français, collections et marché de l’art français, architecture et décor intérieur, XXe siècle (dans les domaines moins bien couverts par la documentation du Musée national d’art moderne à Beaubourg). D’autre part, une section iconographique, débordant le seul art français, sera créée ultérieurement.

Bibliothèque nationale des arts
La documentation et la bibliothèque seront installées rue de Richelieu. La bibliothèque, qui comptera près d’un million de volumes, proposera aux lecteurs les ouvrages de quatre bibliothèques spécialisées dans l’histoire de l’art : la bibliothèque centrale des Musées nationaux, celles de l’École des Chartes et de l’École des beaux-arts, et la Bibliothèque d’art et d’archéologie-Fondation Jacques Doucet, transférée rue de Richelieu en 1993. Dans le projet actuel, les six départements "non déménageurs" de la BN (les estampes, les cartes et plans, les manuscrits occidentaux et orientaux, la musique, les monnaies et médailles et les arts du spectacle) n’ont pas été séparés du reste de la BNF installée à Tolbiac, contrairement au projet de 1992. "Pourtant, si ces départements étaient réunis en un seul ensemble avec la Bibliothèque nationale des arts, les bases d’une documentation seraient réunies", précise Pierre Encrevé. Et certains craignent que des conflits d’espace naissent de cette cohabitation.

300 millions de francs
La rénovation côté Vivienne pourrait commencer au printemps 1998 et le bâtiment utilisé en l’an 2000. Mais les travaux côté Richelieu ne débuteront pas avant que les locaux soient intégralement libérés, et la bibliothèque ne pourra ouvrir qu’en 2001. Le coût des travaux devrait s’élever à 300 millions de francs. L’Institut, qui est sous la tutelle des ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur, pourrait devenir un Établissement public administratif ou un Groupement d’intérêt public. Malgré les engagements du ministre de la Culture, des incertitudes continueront de peser sur le projet tant que le statut ne sera pas fixé et le budget de fonctionnement arrêté. Les nouvelles échéances électorales en 1998 peuvent en effet tout remettre en cause.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : L’histoire de l’art en jachère

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