Les arts de l’Afrique

Par Henri-François Debailleux · L'ŒIL

Le 29 août 2017 - 1039 mots

Le Musée du quai Branly inaugure une passionnante exposition sur les arts de l’Afrique équatoriale Atlantique qui insiste sur les principales qualités des productions de cette vaste région.

1- Le suintant
Chez les Fangs du Gabon, il y a deux types de figures de reliquaire : celles qui ont la statue complète, c’est-à-dire avec le corps, et celles, comme ici, où il n’y a que la tête. Les unes et les autres étaient fixées sur un panier à crânes ou à ossements, comme autant de reliques censées protéger le clan. À l’exemple de cette figure (ancienne collection Paul Guillaume, 1891-1934), les yeux, faits avec des perles de verre ou des boutons en cuir, sont un élément primordial. Vecteurs de pouvoir, ils rendent le visage vivant et témoignent de sa capacité à agir pour exaucer un vœu. Pour renforcer ce sentiment de vie, de présence, les têtes fangs ont souvent cet aspect brillant, noir luisant, dû à leur fameuse patine suintante, généralement constituée d’un mélange de résine, de vin de palme, de charbon dont on les imprégnait longuement. Avec la chaleur, ces substances ressortent du bois, comme s’il transpirait. Voilà pour l’explication rationnelle. À moins qu’il ne s’agisse vraiment de la sueur d’une statue animée…
2- Le plus célèbre
Ce célèbre masque fang du Gabon est régulièrement considéré comme l’un des plus beaux au monde. Il y en a trois dans l’exposition. André Derain en possédait un autre, non présenté ici, mais plus petit. Car ce qui frappe en premier lieu c’est leur taille importante (69 cm pour celui-ci), leur blancheur due à l’utilisation du kaolin, leur aspect très longiligne et leur splendide harmonie formelle qui rappelle les visages de Modigliani. Attribué à la société du Ngil, ce type de masques avait une double fonction : ils étaient utilisés lors de rituels d’initiation, mais également lors de rituels de justice pour désigner ceux qui avaient commis des actes répréhensibles, vol, adultère, voire meurtre. En somme, derrière cette sérénité et ce bel équilibre formel avec ses grandes courbes et longs ovales se cache un véritable justicier capable de pratiquer l’inquisition avec menaces, atrocités et autres tortures. Un programme peu réjouissant et nettement moins doux que les formes sculptées.
3- L’unique au monde
On dit de ce masque à six yeux kwele du Gabon, unique au monde, qu’il est « Le masque Lapicque », puisqu’il a appartenu à Charles Lapicque. Auparavant, il avait été collecté par Aristide Courtois et était passé dans la collection de Charles Ratton, puis, après Lapicque, par celles de Madeleine Rousseau et André Fourquet. Il a donc un très beau pedigree, ce qui est très important en arts premiers, puisque la connaissance du parcours d’un objet en donne la traçabilité, et donc l’authenticité, voire la datation. Les masques de cette région évoquent la plupart du temps les animaux de la forêt, gorille, antilope, ou comme celui-ci un éléphant. Le génie du sculpteur est ici d’avoir fait de la trompe une ligne droite de part et d’autre de laquelle sont creusées trois paires d’yeux, fermés, ouverts ou mi-clos, en signe d’omni-voyance. Mais on peut y lire aussi les yeux de l’éléphant ouverts au milieu, les oreilles en haut et les défenses en bas, ou encore un sexe féminin. La preuve que des moyens plastiques simples peuvent être une source infinie d’interprétations.
5- L’imposant…
Avec ses textiles, peaux, plumes et grelots, ce masque Nzebi rappelle que certains masques pouvaient être portés comme un vêtement par des habitants de petite taille. Une fois sortis de la forêt ou de la savane, ils rentraient dans le village en le faisant danser, virevolter de façon dynamique, voire hystérique et même violente avec, en option, des torches embrasées. Le masque devait d’autant plus impressionner qu’il se révélait comme manifestation d’une force surnaturelle censée régir et canaliser un certain nombre d’actions, de pouvoirs, d’ordres non personnalisés puisque venant de l’extérieur de l’unité sociale. À la fois puissance anonyme et imprévisible – il peut aussi bien empoisonner que prendre l’esprit pendant les rêves ou réserver des sorts insoupçonnés – le masque, derrière sa présence abstraite, est envisagé comme une entité sociopolitique et joue un rôle de catharsis au sein du groupe et de ses crises. D’où l’importance de sa réussite esthétique : plus il est beau, plus il fascine, subjugue et s’impose.
6- Le polychrome
Ce masque féminin ne sortait qu’à l’occasion de la cérémonie des funérailles d’une jeune femme, d’où la grande douceur de ses traits, et notamment les lèvres. Le splendide travail de sculpture de la coiffure rappelle à quel point le soin porté à la chevelure est important en Afrique. Ce masque était destiné à être porté par un membre de la communauté perché sur des échasses. D’où sans doute la déformation du sommet de la tête liée à des questions de perspective puisqu’il était vu par en dessous. La position sur échasses supposait habitude et agilité, ce qui constituait une source de jalousie. Un certain nombre de participants essayaient donc de le faire tomber pour le ridiculiser, d’autres au contraire le protégeaient. Au début du siècle dernier, ce type de masque a beaucoup intéressé les artistes, et notamment Picasso, qui après la monochromie du marbre ou du bronze, découvraient alors la puissance de la sculpture polychrome.
4- Le très ancien
Au nombre de cent cinquante environ, les objets kotas sont, avec les fangs, les plus nombreux représentés dans cette exposition. Parmi eux, cette figure de reliquaire mahongwé, datée entre 1640 et 1670, est l’une des plus anciennes connues au monde. Si ces objets remontent ainsi à plusieurs siècles, c’est essentiellement parce qu’ils sont réalisés en cuivre ou en laiton – de conservation plus facile que le bois – ces matériaux que les différents groupes de la région récupéraient sur les bateaux portugais qui faisaient naufrage. Pourquoi le cuivre ? Parce qu’une fois poli, strié et sculpté en forme de pelle ou de tête de serpent naja, il reflétait la lumière du feu, faisait vibrer les flammes et donnait ainsi l’impression de prendre vie. Comme une puissance irradiante, comme l’éclat d’une auréole, comme le rayonnement de l’or pour ériger et rendre l’ancêtre encore plus présent lors des cérémonies cultuelles. Ses yeux exorbités, faits avec des objets de récupération, affirment encore son existence et sa personnalité.

« Les forêts natales. Arts de l’Afrique équatoriale atlantique »,
du 3 octobre 2017 au 21 janvier 2018. Musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37, quai Branly, Paris-7e. Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 19h, jusqu’à 21h les vendredi et samedi, 22h le jeudi. Tarifs : 10 et 7 €. Commissaire : Yves Le Fur. www.quaibranly.fr
Sous la dir. d’Yves Le Fur,
Les forêts natales,
Actes Sud, 384 p., 55 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : Les arts de l’Afrique

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