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Les artistes vivants de l’Outsider Art Fair

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 3 octobre 2017 - 1123 mots

En mettant en avant ses racines historiques par un hommage au collectionneur Daniel Cordier, l’Outsider Art Fair souligne la légitimité, mais aussi la vitalité de la création en dehors des circuits classiques.

Tandis que les plus grands collectionneurs d’art contemporain se pressent à la Fiac, l’Outsider Art Fair (OAF), née à New York, célèbre sa cinquième édition parisienne. Pour l’occasion, cette foire annuelle dédiée à l’Art brut et autodidacte met en lumière les racines historiques de ces arts des marges par un hommage au galeriste et collectionneur Daniel Cordier, donateur de cinq cents œuvres au Centre Georges Pompidou entre 1973 et 1989. « À l’occasion de la cinquième édition de la foire à Paris, nous trouvions important de porter un regard sur le passé et sur l’émergence de l’Art brut sur le plan international. Daniel Cordier a largement contribué à cette histoire et au développement de ces réseaux », explique Becca Hoffmann, directrice de l’Outsider Art Fair. De fait, l’art « outsider », conceptualisé par les Anglo-Saxons dans les années 1970, à partir de l’Art brut théorisé par le peintre Jean Dubuffet en 1945 dont ils élargissent le spectre à l’ensemble de la création autodidacte ou populaire, apparaît de plus en plus enraciné dans le paysage artistique. L’importance des artistes vivants exposés à l’Outsider Art Fair en témoigne.

Ainsi, la galerie La Fabuloserie Paris, tout juste ouverte par Agnès et Sophie Bourbonnais, filles du collectionneur d’art autodidacte Alain Bourbonnais, met notamment à l’honneur le Français Michel Nedjar, dont les poupées furent collectionnées par Dubuffet. Mais si ce dernier compte parmi les figures historiques – et contemporaines ! – de l’Art brut, des artistes repérés par les galeristes dans de petites galeries, des centres de soin, par le bouche à oreille ou au hasard de leurs rencontres ne cessent d’émerger. Ainsi, le Tchèque Luboš Plný, représenté par Cavin Morris à l’OAF – et par ailleurs par le galeriste parisien Christian Berst. Cet artiste, dont les dessins anatomiques avaient été dénichés par le collectionneur Bruno Decharme dans une petite galerie praguoise, participe cette année à la Biennale de Venise – tout comme l’Américain Dan Miller, cet autiste fréquentant le Creative Growth Art Center, en Californie, dont les dessins formés par des couches d’écritures illisibles sont entrés dans les collections du MoMA. Venues des quatre coins du monde pour l’OAF, les œuvres des artistes outsiders – de la Néo-Zélandaise Susan Te Kahurangi King à l’Indonésien Noviadi Angkasapura, en passant par la Suissesse Christine Sefolosha ou la Belge Solange Knopf, ne cessent de surprendre.

Questions à... Becca Hoffmann

Directrice de l’OAF

L’art « outsider » connaît-il la même vitalité en Europe et aux États-Unis ?
Cette vitalité dans les réseaux artistiques et les musées m’apparaît aujourd’hui similaire de part et d’autre de l’Atlantique, dans un contexte de globalisation – avec toutefois plus de Henry Darger, James Castle et MartÁ­n RamÁ­rez aux États-Unis, et plus d’Aloïse Corbaz, Augustin Lesage et Carlo Zinelli en Europe. Elle a connu une croissance importante ces dernières années : citons les expositions Henry Darger au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et Judith Scott au Brooklyn Museum, mais aussi les éditions de 2013 et de 2017 de la Biennale de Venise – cette dernière incluant les œuvres de Dan Miller, Luboš PlnÁ½, Judith Scott et Frank Walter. Ces gestes de reconnaissance ont éveillé la curiosité des collectionneurs d’art moderne et d’art contemporain, et favorisé l’essor d’un marché spécialisé. La foire participe à cette mouvance, avec pour mission de nourrir cet intérêt croissant.

Comment déniche-t-on, aujourd’hui, un artiste outsider ?
Les artistes outsiders créent en dehors de la dynamique de la demande et du marché. Un exemple parmi les artistes exposés à la foire ? Gil Batle, emprisonné à cinq reprises durant vingt ans, dont l’expérience des prisons américaines se reflète dans les scènes qu’il grave sur les œufs d’autruche. Son galeriste, Norman Brosterman, fut introduit à cette œuvre par le frère de l’artiste… qu’il avait rencontré par hasard.

4 200 €
Solange Knopf. C’est pour apaiser sa douleur de vivre et exorciser ses démons que Solange Knopf a commencé à dessiner. Ses dessins oniriques peuplés d’yeux, de plantes, de constellations, ont attiré l’attention des galeristes qui l’exposent en Europe et aux États-Unis depuis 2003. Exposée à l’Outsider Art Fair depuis 2012 par la célèbre galerie Cavin-Morris – qui avait remarqué un de ses dessins postés sur Facebook ! –, cette amoureuse de poésie symboliste sera cette année à l’honneur sur le stand de la galerie belge Antoine Ritsch-Fisch. Ses prix ont augmenté de 15 % depuis 2012.
Galerie Cavin-Morris (New York)

9 200 €
Dan Miller. Depuis une trentaine d’années, Dan Miller, autiste, fréquente le Creative Growth Art Center, dans la baie de San Francisco en Californie. Il y a développé sa création – superposition de couches de mots écrits les uns sur les autres au crayon, au stylo, à la peinture ou au feutre. Exposées pour la première fois à l’OAF à New York en 2005, ses œuvres font désormais partie de la collection du MoMA. « Ses prix ont évolué comme ceux de n’importe quel artiste contemporain », observe Tom di Maria, directeur du Creative Growth Art Center. Ils s’échelonnent aujourd’hui entre 1 650 € pour les plus petits dessins et 12 500 €. Les quatre grandes pièces présentées à la Biennale de Venise cette année atteignant 16 500 €.
Creative Growth Art Center (Oakland)

- de 13 500 €
Gil Batle. Incarcéré pendant plus de vingt ans, Gil Batle a acquis une reconnaissance internationale : sur des œufs d’autruche, cet artiste qui vit désormais sur une île des Philippines sculpte avec une étonnante délicatesse la violence de son expérience carcérale. Cette œuvre met en scène une histoire de la prison californienne de Folsom. « Dans une prison, il y a des travestis et des proxénètes. Les travestis ont besoin d’une protection, et ils la reçoivent en général des proxénètes qui profitent de leur vulnérabilité », raconte Gil Batle. Ici, un proxénète assassiné pour avoir essayé « de recruter les “travelos” d’un proxénète établi… Beaucoup d’histoires ont circulé sur l’identité de son meurtrier… mais personne n’a été arrêté », confie l’artiste.
Galerie Norman Brosterman (New York)

1 500 €
Christine Sefolosha. Est-ce un arbre ? Un animal fantastique à plusieurs têtes ? L’œuvre de Christine Sefolosha, exposée pour la première fois à l’Outsider Art Fair, est profondément marquée par sa vie en Afrique du Sud, pendant 9 ans, où elle a découvert l’art et les coutumes zouloues, shagaans et ndébélées, entre christianisme et tradition animiste. Ses œuvres peuplées de bêtes et d’esprits, montrées dans une exposition monographique à la Halle Saint-Pierre à Paris en 2007, oscillent aujourd’hui entre 1 500 et 8 000 €.
Galerie Les Yeux fertiles (Paris)

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : Les artistes vivants de l’Outsider Art Fair

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