PUBLI-EDITO

Interview croisée de Laure d’Hauteville (fondatrice de Menart Fair) et Joanna Chevalier (directrice artistique)

« L’engagement est une première caractéristique des artistes du MENA »

Par Christine Coste · lejournaldesarts.fr

Le 7 mai 2021 - 712 mots

PARIS

Entre la Française, libanaise de cœur, et la Libanaise, installée à Paris depuis 1976, la complicité se poursuit depuis les dernières éditions de Beirut Art Fair. Échange de regards.

Joanna Chevalier, directrice artistique, et Laure d’Hauteville, fondatrice et directrice de la Menart Fair. © Irène de Rosen
Joanna Chevalier, directrice artistique, et Laure d’Hauteville, fondatrice et directrice de la Menart Fair.
© Irène de Rosen

Quelles sont les spécificités artistiques des pays du MENA ? 

Joanna Chevalier : Dans ces régions géopolitiquement perturbées, où la liberté de parole est contrainte, l’engagement est une première caractéristique des artistes du MENA. L’intérêt pour la peinture en est une autre. Contrairement à ­l’Europe où elle a été longtemps négligée, la peinture a en effet toujours été très appréciée et demeure importante dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb, que ce soit pour les artistes, les galeries, les musées ou les collectionneurs. Bien sûr, les pays du Golfe émergents n’ont pas la même histoire que l’Occident ; leur tradition picturale est surtout liée aux signes, faisant référence au désert. Il est donc important de contextualiser les pratiques artistiques, particulièrement dans cette région du monde où l’École de Paris a énormément influencé les pays sous protectorat, comme le Liban et le Maroc, tandis qu’en Syrie, en Iran ou en Irak, des mouvements distincts de cette école ont vu le jour.

Laure d’Hauteville : L’histoire de l’art moderne et contemporain au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord diffère de celle de ­l’Occident. Contrairement à la France, qui n’a pas connu les mêmes périodes de guerre, l’art moderne des pays du Levant correspond aux années 1950-1980. La scène levantine s’annonce très virale. Partout, l’art devient une expression pour le changement dans cette région connue pour son instabilité et sa politique compliquée. Une nouvelle génération d’artistes, bien formée et très ouverte aux pratiques contemporaines de l’art grâce à la globalisation, s’acharne à réclamer sa place dans l’histoire mondiale de l’art, en apportant sa part de l’héritage régional ainsi que son appartenance au présent. Une tendance « globale » à suivre avec intérêt. Ces régions traitent également la couleur différemment d’un pays à un autre. Les artistes syriens sont ainsi davantage dans des tons sombres que les Marocains, pour qui les oranges, les marrons, les ocres sont plus lumineux et plus chauds, éclatants, en lien avec le désert. Chez les ­Libanais ou les Jordaniens, les couleurs vives déclinent d’autres nuances, d’autres contrastes. Au Liban ou en Iran, le bleu est de son côté très présent dans la peinture. 

Peut-on discerner actuellement des tendances ? 

J. C. Les notions de patrimoine et d’héritage sont importantes. Les artistes qui interrogent leur identité et leurs origines sont nombreux. L’écriture tient à cet égard une place spéciale. 

L. d’H. En particulier la calligraphie, historiquement très importante dans l’art des pays du MENA. La poésie et les références littéraires tiennent une place centrale dans la création artistique, quand elles ne la fondent pas. Etel Adnan, par exemple, est une poétesse et une écrivaine avant tout. Simone Fattal a, elle, créé une maison d’édition. Quant au Libanais ­Khalil Gibran, connu en Occident pour son œuvre littéraire, il est aussi peintre et dessinateur. 

J. C. L’ellipse et l’onirisme irriguent les représentations. Une douce mélancolie transparaît également souvent dans les regards. 

La fraternité entre les artistes semble également importante… 

L. d’H. L’entraide est effectivement importante, car certains pays ne disposent pas de la logistique institutionnelle que l’on connaît en Europe. Se fédérer, se regrouper est parfois le seul moyen de survivre pour les artistes. Et puis l’individualisme n’existe pas dans ces régions. L’entraide va de soi. 

J. C. Les artistes se connaissent. Ils montent des expositions en commun. Joana Hadjithomas m’a ainsi contactée pour que je regarde les artistes que nous pourrions aider. Les galeries agissent elles-mêmes comme des centres d’art. Cette émulation peut s’apparenter à celle connue en Europe et aux États-Unis dans les années 1960-1970.

Quels développements envisagez-vous d’ores et déjà pour Menart Fair ? 

L. d’H. En décembre 2021, Bruxelles devrait accueillir une autre édition de la même taille. Certes, Bruxelles est à 1 h 30 en TGV de Paris, mais il s’agit pour nous d’aller à la rencontre du plus grand nombre de personnes afin de montrer le foisonnement et la diversité des scènes artistiques du Maghreb et du Moyen-Orient. Quant à Beirut Art Fair, la crise sanitaire et la situation économique au Liban m’ont conduite à la mettre en sommeil. Je la réveillerai dès que ce sera possible et mènerai de front les deux foires. 

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