Le torchon brûle entre l’archevêché et une congrégation madrilène qui se disputent la propriété d’une collection de tapisseries flamandes

Par Amélie Du Fretay · lejournaldesarts.fr

Le 26 novembre 2013 - 790 mots

MADRID (ESPAGNE) [26.11.13] – L’archevêché de Madrid souhaite récupérer un ensemble de 23 tapisseries flamandes léguées à une congrégation espagnole par une riche madrilène au milieu du XIXe siècle. Mais la confrérie n’entend pas se laisser déposséder ainsi de ce trésor, qu’elle comptait louer afin de mener à bien ses œuvres. La Cour suprême devrait mettre un terme à ce conflit judiciaire qui a rouvert d’anciennes plaies.

La cour Suprême devrait mettre fin dans les prochains jours à un feuilleton judiciaire qui déchire depuis des années l’archevêché de Madrid et la Congrégation Santa Rita de Casia au sujet d’une collection de tapisseries flamandes léguée à l’association en 1869. Le cardinal Antonio María Rouco Varela réclame à sa présidente Rosa Maria Barranco Río le droit de récupérer les tapisseries pour orner la cathédrale de la Almuneda à Madrid, ce qu’elle refuse catégoriquement arguant que la confrérie est seule propriétaire de ces biens, et qu’elle doit pouvoir en disposer librement ainsi que les louer pour mener à bien ses œuvres de bienfaisance. La collection compte une vingtaine de tapisseries du XVIIe et du XVIIIe siècle, dont certains cartons auraient été dessinés par Pierre Paul Rubens, pour une valeur de 30 000 euros chacune selon une évaluation de Sotheby’s.

La Congrégation Sainte Rita de Casia, affiliée à l’église royale de la Conception de Calatrava, est fondée en 1834 autour de la reine Isabelle II et compte alors de nombreux membres de la noblesse. En 1869, elle reçoit un legs de Victoria Oliva comprenant cette collection de tapisseries. Cette riche madrilène n’ayant pas de descendance et épousant la cause de la Congrégation - secourir les femmes en détresse et maltraitées - prévoit expressément de transférer la propriété de cette collection, qui ne peut être aliénée. Mais elle suscite très vite la convoitise de l’Eglise. Ce sont d’abord les chanoines de l’église d’Alcalà de Henares qui cherchent à s’approprier les tapisseries, en profitant de la guerre pour les saisir. Mais les juges donnent alors raison à la congrégation.

40 ans après, c’est l’archevêché qui revient à la charge, au moment de l’inauguration de la nouvelle cathédrale de Madrid, la Almuneda, consacrée par Jean-Paul II en 1993. L’archevêque Suquía demande à la Congrégation Sainte Rita de Casia de déposer les œuvres dans la cathédrale afin de la décorer pour cette occasion. Mais il essuie à nouveau un refus catégorique de la confrérie. Succédant à Suquía en 1994, Antonio María Rouco Varela renouvelle officiellement la demande et profite d’un moment de fragilité de l’association pour faire pression. En effet, la confrérie est affaiblie et ne compte plus beaucoup de membres. Ils hésitent, mais semblent néanmoins résister, considérant que la confrérie est libre de disposer de ses biens. En 2000, Rosa Maria Barranco Río est élue à sa tête pour remettre à flot la congrégation, renouveler ses membres, et restaurer les tapisseries. La Confrérie souhaite en effet les louer pour subvenir à ses charges, financer ses actions, et aider les femmes maltraitées. Le cardinal María Rouco Varela revient à nouveau à la charge mais en vain.

Devant ce refus, il décide alors en 2004 de dissoudre l’association par décret, considérant que cette association dépend de l’Eglise, et de saisir ses biens pour désobéissance envers la hiérarchie ecclésiastique. Selon Rosa Maria Barranco Río, la confrérie est parfaitement habilitée à refuser la demande de l’archevêché, puisqu’elle seule possède les tapisseries. En outre, elle ne saurait être dissoute de manière arbitraire. Elle ne pourrait faire l’objet d’une telle mesure que si elle ne comptait plus que trois membres ou qu’elle rompait avec le dogme.

La directrice porte alors l’affaire devant les tribunaux ecclésiastiques. Le Tribunal de la Signature de Rome donne raison à l’ecclésiastique, et délivre un rapport ordonnant la transmission des tapisseries à l’archevêché. Néanmoins, l’affaire étant ensuite portée devant les tribunaux civils, le tribunal de Madrid rejette en première instance la demande du cardinal María Rouco Varela, considérant que l’association est soumise exclusivement au droit civil, ce qui rend le rapport de l’Eglise inopérant. En seconde instance, la 14e section de la juridiction de Madrid casse cet arrêt en donnant raison à l’archevêque, considérant que les œuvres dépendaient bien de l’Eglise ce que conteste formellement la présidente au journal El País : « C’est un scandale et une spoliation. Rouco n’a jamais délivré aucun titre de propriété officiel de ces œuvres. Et les statuts sur lesquels se base le jugement sont faux. » Rouco aurait fait valoir des statuts de 1993 pour pouvoir dissoudre la congrégation, qu’il aurait lui-même rédigé, et que selon elle, l’association n’aurait jamais signé.

En attendant le jugement de la cour Suprême, la Congrégation Sainte Rita de Casia a lancé une pétition adressée au Pape François sur www.change.org pour mobiliser l’opinion publique sur cette affaire.

Légende photo

Antonio MarÁ­a Rouco Varela - Archevêque de Madrid - © Photo Jüppsche - 2006 - Licence CC BY-SA 3.0

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