Allemagne - Restitutions

Le parquet allemand apporte des précisions dans la spectaculaire découverte de biens spoliés par les nazis

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · lejournaldesarts.fr

Le 6 novembre 2013 - 845 mots

BERLIN (ALLEMAGNE) [06.11.13] - 1 406 œuvres, dont un grand nombre d’œuvres spoliées par les nazis, ont été saisies au printemps 2012 en Bavière dans l’appartement du fils du marchand d’art Hildebrand Gurlitt. Parmi ces œuvres figurent des œuvres jusqu’ici inconnues réalisées par de grands maîtres tels que Chagall et Otto Dix.

L’hebdomadaire allemand Focus a révélé dimanche 3 novembre qu’un nombre important d’œuvres d’art ont été saisies dans l’appartement du fils d’un marchand d’art, Hildebrand Gurlitt, en Bavière. Ce marchand d’art a été pendant le nazisme à la fois victime du régime en raison de ses origines juives et de sa passion pour l’art moderne, avant d’être chargé de vendre à l’étranger les œuvres « d’art dégénéré » confisquées par les nazis en 1937. Il avait déclaré que sa collection avait été détruite pendant les bombardements de Dresde en 1945.

Le parquet d’Augsburg, qui avait dans un premier temps refusé de s’exprimer sur l’affaire, a finalement tenu une conférence de presse le 5 novembre. Il apparaît ainsi que 1 406 œuvres ont été saisies en février 2012, et non en 2011 comme le magazine allemand l’avait dans un premier temps affirmé, au domicile de Cornelius Gurlitt : 121 œuvres avec cadres, et 1 285 non encadrées. Y figurent notamment des œuvres de Picasso, Chagall, Marc, Nolde, Spitzweg, Renoir, Macke, Courbet, Beckmann, Matisse, Liebermann, Dix.

Selon Focus, la valeur de ces biens approcherait un milliard d’euros. 300 de ces œuvres relèvent de « l’art dégénéré », et 200 autres seraient sur la liste des œuvres officiellement recherchées.

L’affaire remonte à 2010 : Cornelius Gurlitt avait éveillé les soupçons des douaniers lors d’un contrôle de routine dans un train entre la Suisse et l’Allemagne. Les œuvres d’art étaient stockées dans son appartement à Munich, sur des étagères bricolées manuellement, parmi des détritus, des cartons, et des boîtes de conserves empilées du sol au plafond, pour certaines périmées depuis les années 80. Toutes les fenêtres de l’appartement, hormis une, étaient condamnées. Cornelius Gurlitt, actuellement âgé de 80 ans, est inconnu des administrations allemandes et n’a apparemment jamais exercé de profession. Il vivait en vendant régulièrement des œuvres de la collection cachée de son père, décédé en 1956.

Cornelius Gurlitt, dont le lieu de résidence est actuellement inconnu, ne fait pour l’instant que l’objet d’une enquête pour évasion fiscale. Ces investigations sont protégées par le secret d’enquête, ce qui explique en partie que l’affaire n’ait pas été ébruitée auparavant, et ne l’aurait pas été sans les fuites publiées par Focus.

Meike Hoffmann, professeur de la Chaire « Art dégénéré » à l’Université Libre de Berlin, enquêtait en toute discrétion depuis un an et demi sur la provenance de ces œuvres. Le butin ne se limite pas aux modernes classiques, mais comporte également des œuvres datant du XVIe au XIXe siècle, dont un Canaletto. Lors de la conférence de presse, elle a également révélé l’importance historique de cette découverte : l’existence de certains chefs-œuvre, d’Otto Dix et Chagall entre autres, était jusqu’ici inconnue.

L’hebdomadaire Der Spiegel affirme que le gouvernement fédéral allemand était au courant depuis plusieurs mois de cette saisie. Markus Stöztel, avocat qui représente plusieurs descendants juifs dans l’affaire des biens spoliés par les nazis, a déclaré que ce silence était contraire à l’accord international signé en 1998, dit « Déclaration de Washington », qui prévoit de rendre publique la découverte d’œuvres d’art spoliées. Il exige une publication précise de toutes les œuvres concernées.

La déclaration de Washington ne s’appliquant pas aux particuliers, les biens saisis appartiennent juridiquement toujours à Cornelius Gurlitt, qui n’a aucune obligation juridique de rendre les biens spoliés, seulement une obligation morale.

11 oeuvres du "trésor" de Munich détaillées par Meike Hoffmann, experte en "Art dégénéré"

 

  • Canaletto (1697-1768), gravure, vue de Padoue
  • Carl Spitzweg (1808-1885), dessin, "Das musizierende Paar" (couple de musiciens), présent dans le catalogue raisonné
  • Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938), gravure sur bois en couleur, avec un motif de femme, provenance : musée de Mannheim
  • Max Beckman (1884-1950), peinture de Zandvoort, présent dans le catalogue raisonné
  • Franz Marc (1880-1916), gouache, "Landschaft mit Pferden" (paysage avec des chevaux), provenance: musée de Moritzburg
  • Gustave Courbet (1819-1877), "Jeune fille à la chèvre". Deux versions de l'œuvre existent et sont toutes deux répertoriées dans le catalogue raisonné. D’après Mme Meike Hoffmann, celle de Munich a été achetée aux enchères en 1949
  • Marc Chagall (1887-1985), gouache, scène allégorique, non répertoriée au catalogue, provenance incertaine
  • Henri Matisse (1869-1954), huile représentant une femme assise, non répertoriée au catalogue. Le tableau daterait du milieu des années 1920. Saisi dans un coffre de Libourne (France) en 1942 par l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, (ERR) unité du IIIe Reich commandée par Alfred Rosenberg dont la mission était de de piller l'Europe des oeuvres d'art pour constituer un musée nazi
  • Max Liebermann (1847-1935), peinture, deux cavaliers sur la plage
  • Otto Dix (1891-1969), lithographie en couleur représentant une femme âgée. Provenance incertaine. De nombreux dessins et gravures de Dix provenant des saisies d'"Art dégénéré" dans les musées allemands ont été retrouvés à Munich
  • Otto Dix, Autoportrait, jusqu'à présent inconnu. Devrait dater de 1919
Source AFP

 

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