Histoire - Art contemporain

Le jour où… Warhol a sérigraphié Marilyn

Par Pierre Wat · L'ŒIL

Le 21 décembre 2017 - 601 mots

Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.

5 août 1962 Marilyn Monroe est morte. Je l’ai entendu à la radio, ce matin.
6 août Sa photo s’affiche partout, à la une de tous les journaux, dans les kiosques, sur les murs, sur l’écran de la télévision. J’aime bien ce côté répétitif. Plus on regarde exactement la même chose, plus elle perd tout son sens, et plus on se sent bien, avec la tête vide. Je me sens bien.
10 août Je repense à Marilyn. Je me sens proche d’elle, surtout depuis qu’elle est morte. L’éditorialiste du New York Times a écrit qu’elle était un symbole de notre temps. Moi aussi je suis un symbole de notre temps, de notre culture, exactement comme les fusées ou la télévision. Je cherche une idée.
11 août J’ai trouvé. Ça m’est venu à l’instant, en découpant une photo d’elle dans le journal. Une belle photo publicitaire comme je les aime, qui avait été faite pour la promotion de Niagara. Elle était si parfaitement belle dans ce film. Et puis, cette photo a une qualité merveilleuse : elle est connue ! J’adore tout ce qui est connu, les personnages célèbres, les héros de bandes dessinées, les bouteilles de Coca… Toutes ces choses modernes formidables. Dans le futur, chacun aura droit à quinze minutes de célébrité mondiale.
12 août J’ai fait une sérigraphie d’après la photo de Marilyn, et je l’ai reproduite 50 fois sur deux toiles accolées. Je vais peindre toutes celles qui sont sur la toile de gauche avec des couleurs vives. Il y aura du jaune, du rose, du vert, ça sera très gai. La toile de droite sera en noir et blanc, avec l’image qui s’efface peu à peu.
13 août Si je peins de cette façon, c’est parce que je veux être une machine, et je pense que tout ce que je fais comme une machine correspond à ce que je veux faire. Ce serait formidable si plus de gens employaient la sérigraphie, de sorte que personne ne saurait si mon tableau est vraiment le mien ou celui d’un autre.
16 août J’ai fini. Je m’ennuie. Il faudrait que je trouve une nouvelle idée. Demain peut-être.
20 août Toujours cet ennui. La barbe ! J’ai regardé quelques anciens travaux. Ça ne va pas mieux. Je pourrais peut-être faire quelque chose avec des bouteilles de Coca…
21 août Ce qui est formidable dans ce pays, c’est que l’Amérique a inauguré une tradition où les plus riches consommateurs achètent en fait la même chose que les plus pauvres. On peut regarder la télé et voir Coca-Cola, et on sait que le Président boit du Coca, que Marilyn Monroe buvait du Coca et, imaginez un peu, soi-même on peut boire du Coca. Un Coca est toujours un Coca, et même avec beaucoup d’argent, on n’aura pas un meilleur Coca que celui que boit le clodo du coin. Tous les Coca sont pareils et tous les Coca sont bons. Marilyn Monroe le savait, le Président le sait, le clodo le sait, et vous le savez.
22 août Mon diptyque a plu à mon galeriste. Il m’a dit qu’on allait gagner beaucoup d’argent. Il était content. Tant mieux. Je n’ai jamais compris pourquoi, quand on meurt, on ne disparaît pas tout bonnement. Tout pourrait continuer comme avant, à la seule différence qu’on ne serait plus là. J’ai toujours pensé que j’aimerais avoir une tombe sans rien dessus. Pas d’épitaphe, pas de nom. J’aimerais en fait qu’on lise dessus : « fiction ».

« Être moderne : le MoMA à Paris »,
jusqu’au 5 mars 2018. Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, Bois de Boulogne, Paris-16e, www.fondationlouisvuitton.fr

« Pop art, Icons that Matter, Collection du Whitney Museum »,
jusqu’au 21 janvier 2018. Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, Paris-7e, www.museemaillol.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°708 du 1 janvier 2018, avec le titre suivant : Le jour où… Warhol a sérigraphié Marilyn

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