Droit

Le droit de suite français (1)

Reconnu mais réformé par l’Union européenne

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 1035 mots

Créé en 1920 par le législateur français sensible aux difficiles conditions de vie des artistes, le droit de suite en matière de propriété littéraire et artistique peut se définir comme « un droit pécuniaire né pour associer l’artiste à la spéculation sur son œuvre ».

Conçu dès son origine pour permettre à l’artiste de bénéficier de l’augmentation de la cote de son œuvre, l’exercice du droit de suite est cantonné aux ventes aux enchères publiques. Pourtant, en 1957, le législateur français avait souhaité étendre le mode d’exercice en l’ouvrant aux ventes réalisées par l’intermédiaire d’un commerçant. Faute de parution du décret d’application de la loi, cette disposition est restée lettre morte. Ainsi les ventes réalisées par les marchands d’art ou par les galeristes ne sont pas impliquées au regard de l’exercice du droit de suite.

Ce droit présente des caractéristiques uniques qui le distinguent des droits d’exploitation, tels que par exemple les droits de reproduction. Le droit de suite ne peut, tout d’abord, être cédé : sa vente ou sa donation est ainsi proscrite. Droit protégé pendant toute la durée de vie de l’artiste et pendant soixante-dix ans après son décès, il s’applique de fait aux œuvres plastiques ou graphiques originales d’art moderne et d’art contemporain.

L’originalité des œuvres s’apprécie, en pratique, de façon différente selon leur type. Par exemple l’originalité des gravures, des tapisseries a été définie selon les termes d’un accord conclu entre la Chambre nationale des commissaires-priseurs et les représentants des artistes tandis que celle des sculptures l’a été au regard de dispositions fiscales et réglementaires. La question de l’appréciation de l’originalité s’est posée de façon plus accrue pour les arts dits décoratifs.

La jurisprudence a apporté une réponse dans une affaire rendue au sujet de l’œuvre de Jean Dunand (meubles, objets) pour laquelle les commissaires-priseurs ne prélevaient pas le droit de suite lors des ventes par adjudication. La cour de cassation, par un arrêt remarqué rendu le 13 octobre 1993, a privilégié la conception intellectuelle de l’œuvre au détriment d’une approche exclusivement matérielle. Ainsi, l’œuvre sera présumée originale si l’empreinte et la personnalité de l’artiste s’expriment de façon évidente permettant alors d’affirmer que celle-ci a été exécutée de la main même de l’artiste ou selon ses instructions. Sans pour autant fabriquer lui-même, Jean Dunand avait effectivement choisi dans ses ateliers la forme, les matériaux, les techniques de façonnage, les couleurs des œuvres. Il ne s’agissait donc pas de reproductions.

L’originalité de l’œuvre ne faisant pas de doute, l’artiste, ou ses ayants droit, peut alors informer l’adjudicateur français de sa volonté de faire valoir ce droit en lui demandant de prélever la somme correspondant à 3 % du prix de vente.

Le droit français a fortement inspiré la Commission européenne qui, pour la première fois, a reconnu le droit de suite en élaborant une directive adoptée le 27 septembre 2001. Fruit de compromis et d’âpres négociations dus à l’opposition de pays tels que la Grande-Bretagne, cette directive a pour objectif d’assurer aux créateurs un niveau de protection uniforme et de garantir le fonctionnement harmonieux du marché de l'art en évitant les délocalisations des ventes au sein de l’Union. Elle représente une avancée pour ses partisans, en posant le principe d’un droit de suite incessible et inaliénable au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale. Elle fixe des règles auxquelles les États ne pourront déroger.

Ainsi, le droit de suite aura vocation à s’appliquer à tous les actes de revente dans lesquels interviendront des professionnels du marché de l’art, tels que les salles de vente, les galeries d’art et, d’une manière générale, tout commerçant d’œuvres d’art. Les États pourront cependant porter atteinte à ce principe à condition que le vendeur ait acquis l’œuvre directement de l’artiste moins de trois ans avant sa revente et que le prix de celle-ci ne dépasse pas 10 000 euros. Ceci correspond au cas des galeries qui achètent directement des œuvres à des artistes peu connus et qui se chargent de leur promotion auprès du public.

À la différence du droit français, la directive établit une liste des œuvres d’art originales concernées par le droit de suite : tableaux, collages, peintures, dessins, gravures, estampes, lithographies, sculptures, tapisseries, céramiques, verreries et photographies, s’il s’agit de créations exécutées par l’artiste lui-même ou d’exemplaires originaux. L’exemplaire original est défini comme une œuvre exécutée en quantité limitée par l’artiste, sous sa responsabilité ou autorisée par lui, et numérotée ou signée. La question se pose alors de savoir si des estampes réalisées sous le contrôle des ayants droit d’un artiste décédé seront considérées comme exemplaires originaux.

Le seuil de déclenchement du droit de suite ne pourra être supérieur à 3 000 euros : au législateur français de fixer un seuil « acceptable » tant pour les auteurs que pour les professionnels de l’art, étant précisé qu’il est aujourd’hui de 15,24 euros. Enfin, la fixation de taux dégressifs de prélèvement du droit de suite par tranches de prix de vente hors taxes, inconnue du système français, ira de 5 % à 0,25 %, avec un plafond de perception du droit de suite à 12 500 euros.

Les États ont jusqu’au 1er janvier 2006 pour intégrer ces nouvelles dispositions ; ceux qui n’appliquaient pas le droit de suite ont jusqu’au 1er janvier 2010, voire jusqu’au 1er janvier 2012. Si les partisans du droit de suite se réjouissent de sa consécration européenne, tout en reconnaissant l’absence de règles sur les ventes aux enchères sur internet, les opposants ne manquent pas de souligner le risque d’une délocalisation du marché de l’art vers les États-Unis ou au Japon, pays où ne s’exerce pas le droit de suite.

Le droit de suite en France

En France, le taux applicable est de :

- 4% pour la tranche du prix jusqu’à 50 000 euros
- 3% pour la tranche du prix comprise entre 50 000,01 euros et 200 000 euros
- 1% pour la tranche du prix comprise entre 200 000,01 euros et 350 000 euros
- 0.5% pour la tranche du prix comprise entre 350 000,01 euros et 500 000 euros
- 0.25% pour la tranche du prix excédant 500 000,01 euros.

Le montant du droit de suite est plafonné à 12 500 euros.

Source : site de l'ADAGP

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Le droit de suite français (1)

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