Droit

Le droit de suite (2)

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 706 mots

Coupable de tous les maux, le droit de suite est devenu l’alibi par excellence pour justifier l’atonie du marché français dans le domaine moderne et contemporain. Qu’en sera-t-il avec la nouvelle directive européenne ?

Le droit de suite est l’un des plus fructueux puisque les perceptions de l’ADAGP dans ce domaine s’élevaient à 3 millions d’euros en 2002. Malgré ce handicap, la société de ventes Artcurial effectue avec brio près de 60 % de son chiffre sur ce segment. « Le taux de 3 % en vigueur jusqu’en 2006 est embêtant, mais ce ne sont pas ces 3 % qui font la différence. Il suffit de faire un travail professionnel. Pour 95 % de la marchandise, il n’y a pas de réelle incidence commerciale. Pour des œuvres importantes, on rogne sur d’autres frais pour être compétitif. Certains utilisent ce droit comme excuse », estime Martin Guesnet, directeur du département Art contemporain d’Artcurial. Le droit de suite n’a pas totalement intimidé Christie’s France qui a effectué trois ventes cette saison. Une collection présentant un ensemble postimpressionniste a obtenu 1,2 million d’euros en septembre 2002. La collection d’un amateur attaché à la seconde école de Paris s’est intégralement vendue pour 2,5 millions d’euros en avril dernier. La vente test de la collection d’art contemporain de Castelbajac en juillet a enfin recueilli 687 140 euros. Il est vrai que le postimpressionnisme, la seconde école de Paris ou encore la figuration des années 1980 sont incontestablement plus adaptés au marché français qu’aux scènes anglo-saxonnes. Sur ces segments, le droit de suite ne justifie pas une délocalisation des ventes.

Dans les tranches de prix basses ou très élevées, l’incidence du droit de suite devrait être amorti par le futur barème dégressif. Selon une simulation effectuée par l’ADAGP sur la base des droits perçus en 2001, 70 % des ventes s’avèrent inférieures à 3 000 euros (prix de vente minimal à partir duquel les œuvres seraient à l’avenir soumises au droit de suite) contre 1,06 % supérieur à 350 000 euros. Si ce seuil de 3 000 euros est conservé en France, une grande partie des œuvres circulant sur le marché échapperait à la redevance. L’instauration d’un montant plafond de perception de 12 500 euros permet aussi d’atténuer l’impact sur les œuvres de grande valeur. L’extension du droit de suite aux pays de la Communauté européenne d’ici le 1er janvier 2006 pourrait enfin rééquilibrer la place parisienne par rapport à Londres, théâtre européen des ventes d’art contemporain. Certes l’Angleterre bénéficie d’un moratoire jusqu’en 2010. On peut aussi parier sur son manque d’empressement pour l’application de cette mesure et son éventuel recours à la clause de révision. Les représentants français de Christie’s et Sotheby’s n’excluent toutefois pas une nouvelle donne sur le long terme. « Le marché de l’art sera toujours bicéphale. Mais, ce ne sera plus New York et Londres, mais New York et l’Europe » prévoit François Curiel, président du directoire de Christie’s France. Laure de Beauvau Craon, présidente de Sotheby’s France, se veut plus réservée : « Nos grandes ventes resteront centrées à Londres et à New York car il n’est pas bon de morceler le marché. Les gens s’habituent depuis un an et demi à vendre et à acheter en France. Il suffit qu’un client décide de faire une grande vente en France pour échauffer les esprits. Il y aura sans doute une redistribution des cartes d’ici 2010. »

Si les maisons de ventes oscillent entre une position effarouchée et un pragmatisme de bon aloi, le ton d’Anne Lahumière, présidente du comité des galeries d’art, est à juste titre plus véhément. Chargées de la découverte et de la valorisation des artistes, les galeries prennent un risque supérieur aux maisons de ventes qui ratifient un succès scellé sur le premier marché. L’extension du droit de suite aux transactions en galeries sera préjudiciable pour ces structures à l’économie parfois fragile. Rappelons que les plasticiens issus de pays tiers ignorants du droit de suite, notamment les Américains, ne seront pas concernés par ce dispositif. La concurrence entre artistes français et étrangers n’en sera que plus âpre. Au lieu d’ânonner la cantilène sur l’absence des artistes français sur le plan international, essayons de ne pas les priver d’une visibilité ne serait-ce qu’hexagonale !

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Le droit de suite (2)

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