Ventes aux enchères

Le double pari audacieux de Damien Hirst

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 28 août 2008 - 739 mots

LONDRES (ROYAUME-UNI) [28.08.08] - Damien Hirst mettra en vente le 15 septembre prochain chez Sotheby’s, 223 œuvres récentes pour un montant estimé de 85 millions d’euros. L’enjeu est double, les conséquences peuvent être catastrophiques.

Damien Hirst devantson 'Veau d'Or' %26copy; D.R

En mettant en vente aux enchères chez Sotheby’s Londres, le 15 septembre prochain, ses derniers travaux, l’artiste anglais Damien Hirst risque rien de moins que de dynamiter le marché de l’art. Il remet en cause l’équilibre fragile entre galeries et maisons de vente. Et par ailleurs, même un demi-succès de la vente sonnerait le glas d’un incroyable cycle haussier.

Pour saisir l’enjeu, il faut comprendre les mécanismes en présence. Aujourd’hui le marché de l’art contemporain s’appuie sur deux canaux de vente aux missions bien spécifiques. Les galeries diffusent les œuvres inédites de leurs artistes, œuvres que l’on retrouve quelques années plus tard en salles des ventes, la durée dépendant de la notoriété de l’artiste. Un système bien rodé entretenu par la spéculation. Les galeries n’hésitant pas d’ailleurs à enchérir elles-mêmes pour soutenir la cote de leurs poulains. Il ne s’agit là que de l’une des multiples tâches réalisées par une galerie pour « défendre » un artiste. Des dépenses très coûteuses et qui trouvent leur contrepartie lorsque l’artiste accorde le bénéfice de la vente de ses dernières créations à la galerie.

Hirst rompt cet équilibre en confiant à Sotheby’s la vente de 223 installations, tableaux, sculptures pour une ahurissante somme estimée 85 millions d’euros. Un veau entier conservé dans du formol, une spécialité de l’anglais, est estimé à lui seul entre 10 et 15 millions d’euros. Mais pour ce prix là, la vitrine qui enferme le pauvre animal est en marbre. Et si le veau ne vous convient pas, vous pourrez choisir un requin, un zèbre ou un poulain.

Les conséquences de cette vente sont imprévisibles. Si la vente est un franc succès, elle risque de donner envie aux autres artistes confirmés de se passer de leurs galeries. Or l’équation est toujours la même pour le commerce des œuvres culturelles : le bénéfice dégagé sur la vente d’œuvres confirmées permet d’investir dans la promotion de jeunes artistes au succès plus aléatoire.

Il n’est d’ailleurs même pas sur que les artistes confirmés tirent un si grand avantage de se passer de leurs galeristes. Ces derniers pourraient être tentés de brader les stocks de leur ex-poulain, évidemment de ne plus les présenter dans les foires, ne plus prêter d’œuvres pour des rétrospectives, les disqualifier auprès de leurs collectionneurs etc... Toutes choses mauvaises pour la cote d’un artiste, dont il faut rappeler qu’elle repose en grande partie sur l’envie des riches de posséder une oeuvre de l’artiste en question.

A l’inverse il est aussi possible que quelques pièces atteignent ou dépassent leur estimation mais que la majorité des pièces passent au ras de la fourchette voire qu’elles soient ravalées. Un scénario pas si invraisemblable que cela, tant le nombre de lots mis en vente en une seule fois est élevé. Ce scénario enverrait indiscutablement un mauvais signal à la fois vers les collectionneurs ou spéculateurs de Damien Hirst mais aussi vers le marché de l’art tout entier à l’affût du moindre craquement annonciateur d’un retournement de conjoncture.

Damien Hirst tire sa confiance d’un précédent. En 2004 il vendait, toujours chez Sotheby’s, l’intégralité du mobilier et décor du restaurant Pharmacy qu’il avait ouvert à Londres en 1998 et fermé l’année précédente. Mais c’est oublier qu’il s’agissait en quelque sorte d’œuvres de « seconde main », déjà vues. Damien Hirst est aussi le recordman du marché. En 2006/2007, il était le premier artiste vivant (il n’a que 43 ans) par le chiffre d’affaires en ventes publiques (source Artprice). En juin 2007, Lullaby Spring, une armoire à pharmacie en métal remplie de 6 136 comprimés peints, établissait un record en vente publique à 14,4 millions d'euros. La même année il établissait un autre record, celui de la pièce la plus chère vendue du vivant de l’artiste : 63 millions d’euros pour un crâne incrusté de plus de 8000 diamants. Mais là aussi, il faut prendre en compte tous les faits : l’acheteur est un groupe d’investissement à la recherche d’un collectionneur, un portage en quelque sorte.

Bref, Damien Hirst ne tire-t-il pas trop sur la corde ? Cet excès de confiance pourrait se retourner contre lui avec des effets en cascades. Mi-sarcastique, mi-inquiète, son galeriste Gagosian déclare : « Nous seront évidemment dans la salle à enchérir s’il le faut ».

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