Restauration

Le courage dans la déontologie des conservateurs

Par Julie Paulais · lejournaldesarts.fr

Le 23 juin 2015 - 1246 mots

PARIS [23.06.15] – A l’ occasion d’une journée organisée par l’Institut National du Patrimoine sur le thème de la déontologie des conservateurs, le thème du « courage » dans la pratique déontologique a traversé la plupart des interventions.

Le conservateur est devenu un acteur clef de la politique culturelle, nécessitant plus encore le respect du code déontologique. Une journée d’étude consacrée à ce sujet, organisée par l’Institut National du Patrimoine (INP) en partenariat avec le Centre Pompidou, le 17 juin dernier a mis en lumière « le courage » en tant que valeur clef déontologique.

C’est ainsi que Christian Vigouroux, Conseiller d’Etat, président de la section de l’Intérieur au Conseil d’Etat, dans son intervention sur la déontologie des fonctionnaires, a insisté sur les trois valeurs fondamentales du fonctionnaire : probité, impartialité, efficacité. A ces trois vertus, il en ajoute une quatrième, le courage, c’est-à-dire l’obligation de non réserve.

Première problématique fondamentale liée à cette notion de courage : les relations entre le scientifique et le politique. L’ingérence des élus dans les politiques culturelles établies a souvent lieu lors du changement des équipes suite aux élections, qui remettent en cause certaines orientations et certains projets engagés, et pour des raisons de contraintes budgétaires et de pression urbanistiques principalement, comme cela a été observé à de maintes reprises. Le conservateur doit faire preuve de courage et de pédagogie, en évitant toute position dogmatique et en faisant valoir son expertise, et de s’opposer aux décisions qu’il juge contradictoires avec sa mission de protection et de mise en valeur du patrimoine.

Les enjeux liés à la provenance des collections des musées sont également primordiaux, en raison du nombre croissant d’objets provenant de fouilles illicites qui se retrouvent sur le marché et de ceux issus de spoliations nazies qui n’ont pas retrouvé leurs propriétaires légitimes. Didier Schulmann, chef de service de la Bibliothèque Kandinsky, a examiné ainsi le thème des MNR (Musées Nationaux Récupération), c’est-à-dire les œuvres issues de spoliations nazies entrées dans les collections à la fin de la Seconde Guerre mondiale lorsque leur provenance n’a pu être établie clairement. La recherche des origines de ces œuvres est une des priorités du conservateur, afin qu’elles soient restituées le cas échéant.

Bruno Ricard, sous-directeur de la communication et de la valorisation des archives au service interministériel des Archives de France, a abordé la relation entre patrimoine public et vie privée. Les données à caractère personnel peuplent en effet les archives, et le conservateur se doit de se poser la question de leur communication et de leur diffusion. Du point de vue légal, l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt de l’individu, si le document est utile à l’information légitime du public. Cependant, les documents peuvent concerner des personnes toujours vivantes ou peuvent choquer les familles s’il s’agit de données intimes. En effet, « les archivistes veillent au respect de la vie privée des personnes qui sont à l’origine ou qui sont le sujet des documents, surtout pour celles qui n’ont pas été consultées pour l’usage ou le sort des documents » (article 7 du Code de déontologie des archivistes). Par exemple, dans le cas des photographies des femmes tondues au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des proches pourraient reconnaitre un membre de leur famille, dans ce cas doit-on les exposer ?

Le traitement des collections sensibles a également fait l’objet d’une intervention de Cédric Crémière, directeur du Muséum d’Histoire Naturelle du Havre. Le processus de muséification, bien qu’il change le statut des objets, ne gomme pas pour autant leur histoire ou leur essence, qui peut parfois choquer le public. Le conservateur doit toutefois se méfier de ses propres précautions vis-à-vis des objets sensibles, qui ne rejoignent pas toujours celles d’un public venu de tous horizons. Par exemple avec la galerie des monstres, créée au Museum d’Histoire Naturelle de Paris, les conservateurs et les parents craignaient qu’elle ne choque les enfants, ce qui ne fut pas le cas finalement. Les problèmes des valeurs et sensibilités des communautés indigènes, qui par exemple ne tolèrent pas de voir des représentations de personnes décédées ou certains tabous visuels, amène à la nécessité d’engager un dialogue. En effet, « le musée doit répondre avec diligence, respect et sensibilité aux demandes de retrait, par la communauté d’origine, de restes humains ou d’objets à portée rituelle exposés au public. Les demandes de retour de ces objets seront traitées de la même manière » (article 4.4 du Code de déontologie de l’ICOM). Beaucoup de conservateurs rechignent à engager ce dialogue, de peur que ces communautés réclament le retour des objets, mais ce n’est souvent pas le cas. Depuis que Le Havre a eu le courage de nouer ce dialogue, les communautés aborigènes ont participé à la mise en valeur des pièces et ont même donné de nouveaux objets au Museum.

Enfin, Delphine Christophe, conservatrice régionale des monuments historiques, coordonnatrice du pôle Architecture et Patrimoines à la DRAC Languedoc-Roussillon a fait part de la diversité des interventions dans ce domaine, pour lesquelles il n’a pas toujours été possible d’appliquer la déontologie au sens strict, telle que définie dans la Charte de Venise (1964) notamment. Le dialogue avec les élus doit être constant, afin de garder son utilité au monument. Dans le cas par exemple de la restauration de la Villa Laurens à Agde, engagée depuis 4 ans, la réflexion et le projet commun a été validé par tous. Il a été décidé la reconstitution du décor ancien, mais, les toiles tendues sur les murs étant trop abîmées, la DRAC et les Monuments historiques ont dû renoncer à leur restauration et elles ont été recouvertes de façon réversible par des créations contemporaines de deux artistes, afin d’éviter une sanctuarisation délétère.

Ces dix dernières années, les lois et les textes concernant la déontologie dans le domaine patrimonial, surtout concernant les musées, se sont multipliés. Le Code de déontologie de l’ICOM (Conseil International des Musées) pour les musées, adopté en 1986 puis modifié et révisé plusieurs fois, a fixé pour la première fois de façon internationale les normes minimales de pratiques et de performances professionnelles pour les musées et leur personnel. En 2003 a été rédigé le Code éthique de la confédération européenne des organisations de conservateurs-restaurateurs. Enfin, face à la diffusion de ces codes internationaux et à la participation croissante des musées français aux échanges culturels internationaux, l’Etat français a décidé la rédaction d’une charte de déontologie des conservateurs des musées de France (Circulaire n°2007/007 du 26 avril 2007 portant charte de déontologie des conservateurs du patrimoine et autres responsables scientifiques des musées de France), qui repose essentiellement sur les principes fondamentaux qui figurent dans le code de déontologie de l’ICOM.

Dans le domaine des archives, la déontologie ne fait pas partie des débats. Cela s’explique par l’abondance de dispositions légales et d’articles réglementant la profession, qui touche au domaine de l’intime. Le Code de déontologie des archivistes a été adopté par le Conseil International des Archives (ICA) en 1996, et le dernier article sur le sujet remonte à 2004, lors d’une conférence donnée à l’INP sur l’éthique.

En revanche, dans le domaine de l’archéologie, il n’existe aucun code de déontologie en France, malgré les appels des professionnels et chercheurs, notamment Vincent Negri, docteur en droit public, chercheur au CNRS et professeur. Les professionnels respectent déjà un certain nombre de règles non écrites de façon implicite, grâce à d’autres codes de déontologie en lien avec leur champ d’action, mais l’objectif serait à terme de rassembler la communauté des archéologues autour d’un texte commun.

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