Foire & Salon - Presse

La naissance de la presse artistique et le Salon

Par Gérard-Georges Lemaire · L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 1573 mots

De l’invention du Salon comme genre littéraire par Diderot à la loi sur la liberté de la presse de 1881, l’évolution de la presse artistique est partie liée avec celle des Salons.

L’une des principales aspirations des artistes qui ont été les piliers de l’Académie royale de peinture et de sculpture à ses origines, comme c’était déjà le cas dans les Académies italiennes de la fin de la Renaissance, était le désir de pouvoir montrer leurs travaux à une large audience. Créée en 1648, cette Académie, qui doit dispenser un enseignement de haute volée, se contente de constituer une collection grâce aux morceaux de réception que les postulants soumettent à leurs aînés pour y être admis. La notion de libre exposition figure néanmoins dans les statuts de l’institution en 1663. Deux ans plus tard, les murs de la salle de l’Académie sont recouverts de tentures où sont suspendues les œuvres de ses membres. Mais ils les consignent en retard et la manifestation prévue en juin a lieu en septembre. Il y eut encore plusieurs tentatives de ce genre de loin en loin. Ce n’est pas avant 1699 que cette exposition put prendre une certaine ampleur dans la grande galerie du Louvre. On commence alors à publier un livret, qui constitue la mémoire de cet événement. Mais le succès n’est toujours pas au rendez-vous. Il faut attendre 1737 pour qu’il rencontre les faveurs du public.

C’est aussi à cette époque que s’ébauche le premier projet de revue d’art. L’abbé Laugier propose à Lenormand de Tourneham, directeur des Bâtiments, de lancer un mensuel baptisé L’État de l’art en France. Il voulait se donner pour vocation première de publier les comptes rendus des séances de l’Académie, mais se donne aussi pour tâche de diffuser des biographies de peintres anciens, d’imprimer des articles sur des artistes, des architectes et des livres. Au début du XVIIIe siècle, c’est surtout Le Mercure qui informe des principales nouvelles touchant le domaine des beaux-arts.
La vogue grandissante du Salon ne peut que combler les espérances des artistes. Mais ce succès a son revers. En 1747, La Font de Saint-Yenne publie de manière anonyme ses Réflexions sur quelques causes de l’état de la peinture en France. Le scandale éclate car il considère que le Salon de l’année précédente est la preuve évidente de la décadence des arts par rapport à l’âge de Louis XIV. Il se permet en outre d’émettre des critiques parfois acerbes sur les membres les plus éminents de l’Académie, comme Carle Van Loo, le chevalier Pierre, François Boucher, Natoire, entre autres. Il n’existait alors que des panégyriques, comme ceux qu’on pouvait lire dans L’Année littéraire de Fréron, l’ennemi juré des encyclopédistes. Une vive polémique s’engage et Coypel, directeur de l’Académie, organise la riposte. L’abbé Raynal réplique au gentilhomme lyonnais dans les pages du Mercure. Dans les différents textes qu’il écrit pour se défendre, ce dernier s’en remet au jugement du public et non à celui des artistes ou des élites. Avec lui naît la critique d’art, qui ne répond plus aux intérêts exclusifs d’une corporation ou d’un milieu.

Naissance de la presse moderne
Quand Denis Diderot invente le Salon comme genre littéraire en soi, il y a déjà plusieurs sensibilités qui s’expriment dans des périodiques aux principes bien définis. Dans le Mercure de France, c’est la Société des amateurs qui s’occupe des comptes rendus. L’Année littéraire s’appuie sur les théories esthétiques de Cochin fils. Dirigé par Jonval de Villemert, L’Avant-Coureur publie des critiques du Salon sans dévoiler le nom de leurs auteurs pour préserver son indépendance, comme d’ailleurs le Journal encyclopédique des amis de l’auteur de La Religieuse et les Affiches, annonces et avis divers de l’abbé de Fontenay. Mais les considérations qui avaient le plus grand poids sont véhiculées par des revues manuscrites, qui sont alors les plus cotées. La première est la Correspondance esthétique de F.-M. Grimm, qui fait circuler dans les cours européennes les Salons de Diderot, mais aussi des écrits de La Font de Saint-Yenne, la seconde est la longue série des Mémoires secrets, connus comme étant les « mémoires de Bachaumont », qui voient le jour entre 1767 et 1787 avant d’être repris à partir de 1777 dans trente-six volumes sans noms d’auteur.

En plus de ces revues influentes mais réservées à une minorité de connaisseurs, des brochures consacrées aux questions artistiques et des nécrologies, l’usage des pamphlets souvent virulents se développe sous l’Ancien Régime et triomphe pendant la Révolution.
Sous le Consulat et l’Empire, cette prolifération anarchiste de libelles est freinée et seules quelques revues se maintiennent ou sont créées. Ce n’est en fait que sous la Restauration que naît la presse moderne. Le Figaro, né en 1826, organe de l’opposition, compte dans ses rangs des écrivains devenus critiques d’art comme Jules Janin et Nestor Roqueplan. Adolphe Thiers, partisan du courant romantique, s’exprime dans un autre journal d’opposition, Le National. Le Nain jaune de Cauchois-Lemaire cultive l’art de la chronique piquante et de l’esprit satirique alors que La Silhouette, dirigée par Émile de Girardin, inspecteur des Beaux-Arts, renoue avec l’humour au vitriol de la caricature. Sous la monarchie de Juillet, la presse confirme son essor. Les abonnés passent de 70 000 à 200 000 entre 1836 et 1846. Balzac parle alors d’un « peuple in folio » et Louadre s’indigne de « cette lave de papier lancée depuis quinze ans par ce volcan toujours allumé qu’on nomme la presse ».

L’essor des revues spécialisées
Dès lors, plus aucun journal, plus aucune revue ne se tient à l’écart de l’empoignade ponctuelle du Salon ou des débats d’école. La critique est incontournable. Le Salon a désormais une position majeure dans la vie sociale à Paris que la presse lui consacre des articles pléthoriques sous forme de feuilletons. Les rédactions s’efforcent d’attirer les meilleures plumes et, si possible, des écrivains de renom, qui vont peser de tout leur poids dans les polémiques concernant la peinture ou la sculpture. Le Siècle, journal anticlérical tirant à plus de 30 000 exemplaires, est parvenu à réunir
Th. Thoré, Desnoyers et Castagnary, ami de Courbet et champion du réalisme. Au sein de La Presse d’Émile de Girardin, où travaillent Balzac, Hugo et Dumas, c’est Théophile Gautier qui est chargé des beaux-arts. Dans Le National, républicain, ce sont Peisse et Haussard qui occupent cet emploi. Souvestre écrit dans L’Avenir de Lamennais. L’éphémère Corsaire-Satan a pour rédacteur Baudelaire et Mürger. Du côté des revues, Charles Blanc, conservateur des collections de l’École des beaux-arts, remplace Gustave Planche à la Revue des Deux Mondes fondée en 1829. Casimir Delavigne et Prosper Mérimée collaborent à La Revue de Paris. Les publications satiriques se multiplient elles aussi et l’on voit Daumier dessiner pour Le Charivari ou dans La Caricature. Enfin des périodiques consacrés à la vie artistique ne tardent pas à s’imposer. L’Artiste d’Arsène Houssaye se fait le porte-parole des revendications des artistes et transforme le Salon en terrain privilégié de son combat à partir de 1830. Gautier, Mantz et Janin en sont les principaux chroniqueurs. L’Annuaires des Artistes (1834), L’Annuaire du Cercle des Arts (1846), L’Art en province (1835-1861), Les Beaux-Arts (1843-1844), La Chroniques des Beaux-Arts (1844-1845), Le Journal des Beaux-Arts et de la Littérature (1835-1844) sont quelques-unes des revues qui marquent cette fructueuse saison.

Sous le Second Empire, les tirages augmentent de manière exponentielle. La critique d’art est alors une institution puissante. Castagnary et Champfleury règnent sur les beaux-arts dans L’Opinion nationale, journal saint-simonien. Edmond About est employé par Le Moniteur du soir, Louis Peisse, Véron et Chesneau par Le Constitutionnel, Mérimée, Gautier, Houssaye par Le Moniteur, Émile Zola par L’Événement de Victor Hugo, Mantz par Le Temps, Paul de Saint-Victor par La Presse et La Liberté.
Les revues spécialisées voient leur nombre croître sans cesse. La Gazette des Beaux-Arts est fondée en 1859 et, avec Castagnary et Duranty, prend fait et cause pour Manet et Courbet. La Chronique des arts et de la curiosité est lancée la même année par Arsène Houssaye. L’hebdomadaire L’Art paraît en 1865. Le Journal pour tous est un supplément qui paraît spécialement à l’occasion du Salon. Baudelaire collabore au Boulevard et Castagnary à L’Opinion nationale.

La IIIe République voit l’apparition des premiers gros tirages, comme celui du Petit Journal qui s’élève à près de 600 000 exemplaires en 1880, pour atteindre 8 millions en 1910. De plus en plus, ce sont des critiques spécialisés qui tiennent vraiment le haut du pavé : Wolff au Figaro, Mantz au Temps, Saint-Victor, Castagnary au Siècle. Les écrivains n’ont pas abandonné ce grand champ de manœuvre : About écrit dans les colonnes du XIXe siècle, Barbey d’Aurevilly et Théodore Sylvestre collaborent au Pays. Mais ils sont en général cantonnés à l’exercice de style que représente le Salon, où excellent les Goncourt, Zola, Mirbeau, Huysmans, Maupassant, et qui est toujours très apprécié des lecteurs. De nouvelles revues apparaissent pour informer les Français des progrès de l’art, comme Le Figaro Salon, L’Art français, Les Beaux-Arts illustrés, Le Bulletin de la Société de l’art français de Chennevières, Le Courrier de l’art, Le Musée universel, pour ne citer que celles-ci.

L’année où est promulguée la loi sur la liberté de la presse – 1881 – coïncide avec la fin du Salon tel qu’on l’a connu depuis l’Ancien Régime. À la fin du siècle le nombre de périodiques tournant autour de la sphère magique de l’art atteint un sommet, comme si ce chiffre faramineux avait pour mission d’annoncer de grands événements, aussi inattendus que spectaculaires et déroutants.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : La naissance de la presse artistique et le Salon

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