La liberté de panorama sortie du texte sur le numérique

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 29 septembre 2015 - 763 mots

PARIS [29.09.15] - Retirée in extremis de l’avant-projet de loi d’Axelle Lemaire et combattue en commission à l’occasion de l’examen du projet de loi création et patrimoine, cette possibilité de reproduire des œuvres visibles dans l’espace public sans l’autorisation de leurs auteurs, pourrait revenir lors des prochaines discussions.

La surprise est de taille. Annoncée en mars par la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, l’exception dite de liberté de panorama cristallisait depuis lors l’opposition entre les auteurs, ainsi que leurs ayants droit, et certains acteurs d’Internet, dont Wikimédia. Mais l’avant-projet de loi « pour une République numérique » dévoilé samedi 26 septembre 2015 a purement effacé toute référence à cette exception qui permet de reproduire ou de représenter des œuvres architecturales et de sculptures visibles dans l’espace public sans l’autorisation des auteurs ou de leurs ayants droit et sans contrepartie monétaire.

Des différentes versions du texte ayant fuité depuis l’été, un sentiment de malaise de l’exécutif semblait se dégager, notamment sur la question du champ d’application de l’exception et plus particulièrement sur son extension aux autres œuvres graphiques et plastiques (street art, fresques, vitraux, ferronnerie, etc.). Ainsi, la version 24 du texte, datée du 14 septembre 2015, renvoyait l’inclusion de cette exception à l’arbitrage politique de Matignon, signe manifeste d’une opposition provenant du ministère de la Culture.

Les débats menés en commission à l’occasion de l’examen du projet de loi liberté de création, architecture et patrimoine s’en font l’écho. La députée Isabelle Attard (écologiste) avait cosigné un amendement visant l’introduction d’une telle exception au sein du Code de la propriété intellectuelle énonçant dans son exposé sommaire que « l’absence de cette exception en droit français, alors qu’elle existe chez nos voisins européens interdit la publication de photos si une œuvre architecturale ou artistique protégée par le droit d’auteur y apparaît. Outre l’incompréhension que cela suscite auprès du public, cela gêne la diffusion même de ces œuvres sur Internet, les sites qui publieraient ces photos encourant le risque de poursuites en contrefaçon ». En commission la députée maintenait sa position en soulignant que « aujourd’hui, vous ne pouvez pas mettre vos photos de vacances sur les réseaux sociaux, par exemple Facebook, si certains monuments y apparaissent, par exemple le viaduc de Millau et la pyramide du Louvre, constructions dont les architectes sont toujours vivants ou qui sont toujours soumises au droit d’auteur ». Elle était en cela rejointe par la députée Gilda Hobert (RRDP) et ses cosignataires. Pour autant, la crainte d’une poursuite d’internautes ou de plateformes pour de telles hypothèses relève davantage d’une chimère bien étonnante, aucune poursuite judiciaire n’ayant à ce jour été menée par un auteur ou par ses ayants droit. Quant aux œuvres qui ne se situent nullement dans l’espace public, telles que des vidéos ou des photographies, celles-ci ne sont pas bannies des réseaux sociaux.

Mais tant le rapporteur du texte en commission, le député Patrick Bloche (PS), que la ministre s’y sont opposés, car « les dispositions proposées tendraient à permettre une utilisation commerciale de reproductions d’œuvres visibles dans l’espace public » et qu’une telle disposition « serait de nature à constituer un préjudice pour les auteurs, les architectes, les auteurs d’arts graphiques et plastiques », engendrant le rejet des amendements. Rappelant les discussions européennes aujourd’hui en cours, la ministre conclut en énonçant que « ces amendements (lui) semblent de nature à aggraver le déséquilibre actuel, dont les auteurs sont les victimes ». Les droits de reproduction et de représentation d’œuvres dans l’espace public représentent aujourd’hui 15 % des sommes collectées par l’ADAGP au profit des auteurs adhérents et presque 60 % des droits en matière de publicité, les grandes entreprises étant souvent sensibles à attacher leurs marques à de telles œuvres.

Rejetée en commission, l’exception revient pourtant devant l’hémicycle, portée une nouvelle fois par la députée Gilda Hobert et par le député Lionel Tardy (LR). Ce dernier propose un amendement à la rédaction identique à celle autrefois présente dans l’avant-projet de loi numérique, excluant donc toute finalité commerciale et les œuvres graphiques et plastiques pour ne retenir que les œuvres architecturales et sculpturales. Le député argue que l’introduction de cette exception « serait un geste fort pour favoriser la diffusion des œuvres », sans pour autant préciser la portée de distinction entre finalité commerciale et non commerciale. Chassez l’exception par la porte, elle revient par la fenêtre.

L’ouverture à la consultation publique pour la rédaction de l’avant-projet de loi numérique – la fameuse « coconstruction » de la loi avec les citoyens-internautes – donnera assurément lieu à des tentatives de réintroduction de l’exception, notamment par Wikimédia France.

Légende photo

Axelle Lemaire lors d'une réunion de travail du Conseil National du Numérique © Photo briand - 2014 - Licence CC BY-SA 3.0 

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque