La justice met un terme à la cascade de procès concernant La Vague de Camille Claudel

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 24 février 2014 - 984 mots

VERSAILLES [24.02.14] - En estimant que la présentation d'une reproduction en qualité d'original porte atteinte au droit moral de l'artiste, la Cour d’appel de Versailles vient de mettre fin à une longue saga judiciaire autour de la sculpture La Vague de Camille Claudel.

Le 19 février 2014, la cour d'appel de Versailles, saisie sur renvoi après l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2012, a clôt définitivement la saga judiciaire liée aux fontes posthumes de La Vague, réalisation unique de Camille Claudel.

Cette oeuvre sculpturale, achevée en 1902, représente une vague en onyx et sa volute d'écume surplombant une ronde de trois baigneuses en bronze, sur le point d'être englouties. Le socle était, quant à lui, taillé dans le marbre. La Vague avait été acquise par Madame Reine-Marie Paris, petite-nièce de l’artiste, sous l'empire des dispositions antérieures à la loi du 19 avril 1910, qui a dissocié pour la première fois la cession de la propriété de la cession des droits patrimoniaux attachés à une oeuvre de l'esprit

Madame Paris, disposant ainsi du droit de reproduction, avait fait réaliser en 1988 plusieurs tirages numérotés de cette oeuvre, uniquement en bronze, en ayant recours à la technique du surmoulage. Un des exemplaires ainsi créés, numéroté 3/8, fut exposé par une galerie, en vue de sa vente aux enchères publiques, en qualité d'oeuvre originale.

Une autre petite-nièce de l'artiste, Madame Violaine Bonzon, née Claudel, fit procéder à une saisie-contrefaçon dans le mois suivant cette exposition, en 1999. Les autres ayants droit de l'artiste, quant à eux, se greffèrent par la suite à la cause, malgré un protocole transactionnel. La présente décision constitue ainsi les derniers soubresauts d'une déferlante de décisions.

Dans le sillage de l'arrêt de la Cour de cassation, ayant précisé les contours juridiques des exemplaires originaux d'épreuves en bronze, la cour de Versailles devait se prononcer sur trois points distincts. À savoir, l'atteinte portée au droit moral du fait de la présentation des tirages litigieux comme des originaux, imputée à Madame Paris, l'atteinte portée au droit de représentation résultant de l'exposition d'un des tirages litigieux au sein de la galerie et l'atteinte portée au droit moral résultant de la dissociation de l'oeuvre en trois parties, dissociation ordonnée à la suite de la saisie-contrefaçon. Faute de preuve d'une telle présentation de l'exemplaire litigieux au sein de la galerie, avant la vente aux enchères, et face à la seule possibilité d'une éventuelle exposition future de l'exemplaire aujourd'hui disloqué, la cour rejette une partie des prétentions des autres ayants droit de Camille Claudel. En revanche, la responsabilité de Madame Paris s'avère retenue.

Au visa de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, la Cour de cassation avait retenu que « l'exemplaire obtenu par surmoulage ne saurait être qualifié d'original et ne peut être présenté au public comme tel ». Néanmoins, celle-ci avait confirmé la position des juges du fond et retenu que le tirage en bronze litigieux « ne méconnaissait en rien la volonté de l'auteur et que l'atteinte alléguée à l'intégrité de l'oeuvre du fait de cette substitution de matière n'était pas constituée ». En effet, la Cour ne pouvait procéder qu'à un simple contrôle de motivation sur la base des constatations souveraines des juges du fond. Or, la décision de la cour d'appel de Paris, ayant donné lieu au pourvoi, avait considéré que le silence gardé, de son vivant, par l'artiste devait nécessairement s'interpréter comme une absence d'opposition à la réalisation de futures fontes en bronze de l'oeuvre. Cette analyse, bien qu'entérinée par la Cour de cassation, avait suscité un flot de critiques, dont l'arrêt de la Cour d'appel se fait l'écho subtil.

En effet, la cour insiste sur le caractère unique de l'oeuvre de Claudel, qualité relevée par Madame Reine-Marie Paris au sein du catalogue raisonné dédié à l'artiste, et sur sa singularité en raison de « sa taille directe sur l’onyx, pierre spécialement choisie pour sa teinte, sa transparence et ses reflets ». Dès lors, selon la Cour, « les tirages, à partir de cette oeuvre achevée et par nature et vocation unique dans sa conception et réalisation en onyx et bronze, en ce qu’ils ont été réalisés à titre posthume intégralement en bronze, faisant ainsi disparaître une part essentielle de l’empreinte de la personnalité de l’artiste, ne peuvent être qualifiés d’originaux ». L'originalité de l'oeuvre était ainsi intimement liée à la main même de l'artiste, quand bien même elle n'aurait été sollicitée qu'en partie.

Surtout, la Cour retient que le droit accordé à Madame Paris de reproduire, d’exécuter et de commercialiser des tirages réalisés à partir de l'oeuvre originale ne portait nullement atteinte au droit moral de l’auteur. En revanche, « la présentation de ces tirages, par tous moyens, comme étant des originaux », notamment par la délivrance de certificats d'authenticité sous l'intitulé « bronzes originaux », « alors qu’il ne s’agit que de reproductions ne traduisant pas l’intégralité de l’empreinte initialement donnée par l’artiste de sa personnalité, constitue une atteinte à l’intégrité de l’oeuvre de l’esprit et ainsi au droit moral de l’auteur ». Les réalisations ne consistant pas en des contrefaçons de l'oeuvre originale, au double sens du terme, mais des reproductions non identifiées comme telles, la détermination du préjudice subi par les autres ayants droit de Claudel s'avérait bien délicate. La solution de la Cour ayant abouti au versement d'un euro à titre de dommages-intérêts à chacun des dix autres ayants droit prête, à cet égard, le flanc à la critique. En effet, c'est en raison de la « multitude de commentaires dans diverses publications, faisant ressortir la différence entre l’oeuvre originale et les tirages en bronze, considérés par les auteurs comme des reproductions », que la cour parvient à ce chiffre symbolique.

En définitive, les revues spécialisées et certains auteurs seraient devenus les gardiens de l'intégrité des oeuvres ; un honneur indu et insuffisant à réparer celui d'une artiste condamnée désormais au silence éternel.

Légendes photos :

Camille Claudel, La Vague, 1897 - Onyx et bronze - Musée Rodin © Photo Lomita - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0 

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