La galerie Malaquais déboutée par la justice dans son conflit avec la galerie Boulakia et les héritiers Maillol

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 1 octobre 2014 - 1164 mots

PARIS [01.10.14] - A la Biennale des antiquaires, deux œuvres de Maillol ont donné lieu à des procédures judiciaires parallèles. Une première manche s’est jouée mardi 30 septembre, rejetant la demande d’expertise formulée par la galerie Malaquais à l’encontre de la galerie Boulakia et indirectement d’Olivier Lorquin du Musée Maillol.

Drôle de lieu que le tribunal de commerce de Paris pour célébrer l’entrée de l’œuvre d’Aristide Maillol au sein du domaine public le 31 décembre prochain. Jeudi 25 septembre, deux jours avant la date anniversaire marquant les soixante-dix ans du décès de l’artiste, deux galeries parisiennes étaient appelées à plaider, sous les dorures du quai de Corse, sur la datation d’un exemplaire de Printemps sans bras (1911).

Les héritiers de Maillol, non convoqués aux festivités, n’étaient pourtant pas loin et s’inviteront à la partie afin de voir précisée la qualité d’un exemplaire de La Lavandière (1895), présenté par la galerie Malaquais. Si ces deux œuvres devaient être présentées sous la verrière du Grand Palais, à l’occasion de la Biennale des antiquaires qui s’est achevée le 21 septembre, seule La Lavandière fut donnée à la contemplation du public, avec une description toutefois modifiée dès l’ouverture. Unité de temps, de lieu et d’action, il n’en fallait pas davantage pour émouvoir le marché et susciter l’intérêt.

Le Printemps sans bras exclu par le vetting de la Biennale
L’intrigue n’en est pas moins délicate à démêler, car le premier mouvement est opéré dans le secret des délibérations de la Commission d’Admission des Objets de la Biennale. A l’unanimité, celle-ci décide de refuser la présentation par la galerie Boulakia de l’exemplaire numéroté 4/6 du Printemps sans bras, présenté comme une fonte au sable d’Alexis Rudier de 1920. Pour eux, l’œuvre serait une fonte posthume et récente, ne répondant ainsi nullement aux critères de sélection. La religion de la commission est faite, car la première occurrence connue de l’œuvre remonterait à 1998, date à laquelle le musée de l’Hermitage a fait l’acquisition d’un exemplaire numéroté 2/6. Le présent exemplaire, lui, serait apparu sans succès chez Christie’s Londres en février 2014 et ne possèderait pas « la souplesse des (œuvres) réalisées du temps de l’artiste ». La présentation par la galerie Boulakia d’un certificat d’authenticité délivré par Dina Vierny en 2002, alors ayant droit de l’artiste, la preuve de l’inclusion de l’exemplaire dans l’exposition « Aristide Maillol » à l’Institut d’art moderne de Valence, en Espagne, en 2002 et les explications portant sur l’existence d’une restauration mineure de l’œuvre en 2014 n’y changeront rien. Depuis lors, Olivier Lorquin justifie d’une exposition de l’œuvre en février 1951 à New York. Toutefois, en l’absence de réponse du comité, l’œuvre est descendue dans les réserves du Grand Palais. L’affaire aurait pu en rester là.

La réponse du berger à la bergère
Mais au gré de sa visite de la Biennale, Olivier Lorquin, ayant droit de Maillol, est surpris par la présentation, sans numérotation ni indication du fondeur, d’un exemplaire de La Lavandière. Exposée par la galerie Malaquais, dont le dirigeant Jean-Baptiste Auffret est membre de la commission d’admission de la Biennale, l’œuvre est décrite comme une fonte, alors qu’il s’agissait, selon l’ayant droit de l’artiste, d’une « fonte de fer », c’est-à-dire d’une reproduction à grand tirage et non d’une œuvre originale. La galerie Malaquais procéda en conséquence à la modification de la description. Néanmoins seule la mention « fonte de fer » fut apposée, le cartel ne présentant toujours pas l’œuvre comme une reproduction. Or, le règlement de la Biennale dispose que « sont expressément exclues les sculptures ayant un caractère commercial (reproductions en série, moulages) ». Autorisés par le TGI de Paris, les ayants droit faisaient alors procéder à une saisie conservatoire de l’objet le 16 septembre 2014. L’objectif de la mesure visait à éviter que l’exemplaire ne soit exposé et mis en vente sous une « qualification juridiquement et artistiquement inexacte et trompeuse ». A ce jour, aucune demande en mainlevée de la saisie ni de référé expertise n’a été formulée par la galerie Malaquais. Hasard ou coïncidence – les dieux sont parfois cruels dans les tragédies – il n’en fallait pas moins pour déterminer la galerie à retourner l’argument contre sa consœur, la galerie Boulakia, et saisir le tribunal de commerce pour concurrence déloyale.

La galerie Malaquais déboutée par la justice
Le 18 septembre, la galerie Malaquais faisait ainsi procéder à une saisie réelle du Printemps sans bras dans les réserves de la Biennale, avant d’être autorisée à saisir en référé d’heure à heure le tribunal de commerce aux fins de voir désigner un expert judiciaire pour ausculter le bronze épousant les traits d’une féminité jeune et dévêtue, et en déterminer la date de réalisation. Selon la galerie demanderesse, la présentation d’une œuvre posthume en tant qu’œuvre anthume constituerait un manquement à la réglementation sur les transactions d’œuvres d’art, susceptible en conséquence d’être qualifié d’acte de concurrence déloyale en ce qu’il fausse le jeu normal de la concurrence. Le président du tribunal de commerce vient cependant de mettre fin à cette procédure aux termes d’une ordonnance du 30 septembre. Se reconnaissant compétent, bien que le litige porte sur des questions de propriété intellectuelle, le tribunal relève ainsi que « si deux galeries font l’une et l’autre commerce des sculptures du 19ème et du 20ème siècle, la SARL Galerie Malaquais n’explique pas en quoi le fait qu’elle dénonce lui ferait concurrence et ne dit rien sur la nature du préjudice qui résulterait pour elle du fait que la SARL Boulakia et Cie mettrait en vente une sculpture d’Aristide Maillol, faussement étiqueté, dont il est constant que l’exemplaire litigieux est le seul jamais apparu sur le marché », l’existence d’un dommage éventuel n’étant « pas même évoqué ». Déboutée, la galerie Malaquais est condamnée à verser 5 000 euros pour les frais de justice engagés par la défenderesse.

Un huissier débarque au Musée Maillol
Le premier danger de l’intrigue écarté, un nouveau surgissait parallèlement. En effet, le 23 septembre 2014, le TGI de Paris autorisait, sans contradictoire, la galerie Malaquais à procéder à des mesures d’investigation dans le système informatique de la Fondation Dina Vierny. L’objectif poursuivi étant d’obtenir les éventuelles preuves que la galerie Boulakia et Olivier Lorquin, président de la Fondation et du Musée Maillol, connaissaient le caractère prétendument posthume de l’exemplaire du Printemps sans bras. Et dès le 24 septembre au matin, un huissier vint se présenter à la fondation et procéda trois heures durant à la copie de près de 3 000 fichiers informatiques, quand bien même une telle copie ne relevait visiblement pas de sa mission. Nul ne sait encore ce que révèleront ces documents des liens entretenus entre la galerie Boulakia et Olivier Lorquin au regard des accusations portées par la galerie Malaquais.

Et si le dénouement de l’intrigue semble encore bien lointain, promettant de nouveaux rebondissements notamment à l’égard de l’exemplaire de La Lavandière, la seule règle qui doit désormais régner est bien celle de la bienséance, au moins au profit de l’œuvre d’Aristide Maillol.

Légende photo

Musée Maillol, Paris - © Photo Collinox - 2008 - Licence CC BY 2.0

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