Cinéma

La boucle et le ruban

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 28 juin 2021 - 410 mots

Exposition -  Exposer Wang Bing ne va pas de soi. En effet, la durée est au documentariste chinois ce que la glaise est au potier.

Depuis près de vingt ans, il conçoit ses films comme de longs mouvements, des vagues de temps continu qui racontent des histoires de son pays. À Paris, les murs du BAL affichent sur plusieurs écrans six œuvres tournées aux quatre coins de la Chine, d’ À l’ouest des rails, qui retrace les derniers râles d’un énorme complexe sidérurgique à Shenyang, au nord, à À la folie, une plongée en apnée dans un asile psychiatrique du Sichuan, au sud. Au cinéma, ces films se déroulent tels des rubans en longues séquences fluides, scandées par ces instants caractéristiques où la caméra suit un personnage de dos. « J’ai choisi de filmer comme ça, explique Wang Bing dans le catalogue, pour éviter le montage. Cela permet au public de voir que ces personnages ou histoires ne sont pas mis en scène. » Les commissaires Dominique Païni, Diane Dufour et Julie Héraut ont pourtant choisi de fracturer ce travail en extraits, comme autant d’instants éclatés.

Le principe de mise en scène s’en trouve soudain renversé. Le visiteur lui-même devient la caméra, cet « œil qui marche » d’écran en écran, passant devant des fenêtres ouvertes sur deux décennies chinoises. On bavarde avec un sidérurgiste désemparé qui regrette de ne pas avoir pu faire d’études. Plus loin, trois murs d’écrans reproduisent la cour insalubre de l’asile d’ À la folie, ce sentiment d’enfermement et de vertige. Scènes documentaires comme autant de cellules où errent de pauvres gens, vraiment fous, simplement dépressifs ou arbitrairement écartés de la société. Comme dira l’un des malheureux internés : « Je n’étais pas malade avant que vous m’enfermiez ici. » Et, en écho, cette réflexion stupéfiante : « Et vous appelez ça un service public ? » Plus loin, voici L’Homme sans nom, qui survit, seul dans un trou creusé dans la terre du Shaanxi. À côté, sur le sol, un film en noir et blanc saisit des os humains éparpillés dans le désert de Gobi, vestiges d’un ancien camp de rééducation par le travail établi à la fin des années 1950. Au BAL, le ruban d’images du cinéma se referme en une boucle infernale. Comme l’homme sans nom répète toujours les mêmes gestes, le camp de Jiuquan nous renvoie au sort des voisins ouïgours au siècle suivant. Et « l’œil qui marche » tourne en rond, dans les spirales sans fin de l’histoire de Chine.

À savoir

Né à Xi’an en 1967, Wang Bing est diplômé de l’Académie du cinéma de Pékin. Film fleuve de neuf heures, À l’ouest des rails l’impose en 2003 comme un documentariste majeur de l’histoire du cinéma. Il n’a, par la suite, jamais cessé de tourner à travers toute la Chine. À ses longs métrages de cinéma s’ajoutent, depuis 2009, des installations vidéo. Professeur invité au Fresnoy en 2018-2019, il vit désormais entre la France et la Chine.
À voir
« Wang Bing. L’œil qui marche »,
jusqu’au 14 novembre, Le BAL, 6, impasse de la Défense, Paris-18e, le-bal.fr
À lire
Antony Fiant, Wang Bing. Un geste documentaire de notre temps,
éditions Warm, 240 p., 20 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°745 du 1 juillet 2021, avec le titre suivant : La boucle et le ruban

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