Musée

Jean-Jacques Aillagon, le maître à bord

Par Gilles de Bure · L'ŒIL

Le 1 décembre 1999 - 903 mots

C’est une longue histoire que celle du président du Centre.

Une histoire qui débute, justement, par l’histoire. L’histoire et la géographie pour être précis. Deux matières que Jean-Jacques Aillagon enseigna successivement aux lycées d’Égleton et de Tulle, de 1973 à 1976. En 1976, à Tulle, le jeune professeur rencontre par hasard Michel Guy, secrétaire d’État à la Culture, qui non seulement l’engage à changer de voie, mais le fait détacher de l’Éducation nationale à la Culture.

Et c’est le début d’une fulgurante carrière qui voit Jean-Jacques Aillagon traverser au pas de course l’École nationale supérieure des Beaux-Arts qu’il intègre comme chef de service des archives et quittera quatre ans plus tard en tant que sous-directeur. Le temps d’être nommé administrateur du Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou, et le voici, en 1985, adjoint du directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris avant de devenir délégué général aux manifestations culturelles de la Ville de Paris, puis coordinateur de la célébration du centenaire de la naissance du général de Gaulle. En 1992, on le retrouve directeur général de la vidéothèque de Paris, et l’année suivante directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris. En mars 1996, il est nommé Président du Centre Georges Pompidou et, la même année, en décembre, il est nommé Président de la Mission 2000 en France.

En tout juste vingt ans, Jean-Jacques Aillagon aura troqué ses deux matières enseignées contre deux présidences, et non des moindres, qui font dire à certains que la prochaine étape n’est autre, pour lui, que la rue de Valois. « Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les villes et les rues », affirmait Francis Picabia. Picabia, dont Jean-Jacques Aillagon se réjouissait récemment d’accueillir Le Dresseur d’animaux au sein de la collection du musée. Picabia, Michel Guy, des références pour Jean-Jacques Aillagon dont on connaît la liberté d’esprit et qui se réjouit à nouveau des transformations opérées dans le bâtiment dont il a la charge. « Lisibilité, accessibilité, confort, sécurité, circulations, requalification visuelle, tout a été fait non pas pour compenser les faiblesses du Centre, mais bien au contraire pour en exalter, en expanser la capacité, les possibilités, la souplesse, la force d’évolution. »
Lorsqu’on s’inquiète de la pluralité des fonctions du Centre et de l’ambiguïté de ses missions, lorsqu’on oppose les concepts de création, de diffusion et de consommation, Jean-Jacques Aillagon s’enflamme : « C’est vrai qu’il y a ambiguïté, mais il s’agit pour nous de faire cohabiter toutes les pratiques culturelles. De la recherche à la pure dilection, de l’étude au tourisme, nous nous devons de tout prendre en compte. D’autant que les avancées technologiques et comportementales auxquelles nous assistons vont encore brouiller les pistes et multiplier les pratiques. À nous d’assumer ces bouleversements et de nous tenir en éveil. Faire circuler, ouvrir, partager, mettre en réseau tout ce que contient le Centre, telle est notre mission. » Et d’ajouter : « Notre mission ne se limite ni à la monstration, ni à la diffusion. Nous sommes également une centrale de production, à l’image de l’IRCAM qui, dans ce domaine, constitue un exemple. Produire, co-produire ainsi que nous venons de le faire pour le film de Douglas Gordon… retrouver l’élan du début et trouver les équivalents du Polyptyque de Xenakis ou du Crocodrome de Tinguely, c’est ce à quoi nous nous engageons aujourd’hui, tout comme à lutter contre une centralité, une centralisation excessive. » Il est vrai que les deux ans de mise en sommeil du Centre ont été, pour beaucoup, bénéfiques. Nombre d’expositions ont ainsi été montées qui ont largement circulé en France et à l’étranger, dévoilant notamment des pans entiers de la collection du musée ignorés ou oubliés. « Cela a été l’occasion de nous ouvrir aux autres. La situation a changé en vingt ans et les lieux d’accueil, ailleurs, se sont multipliés. Mais le pli est, dorénavant, pris et nous allons continuer. D’autant que s’il s’agit de notre rôle, il en va aussi de notre image. Sans témoigner pour autant d’une volonté hégémonique, il convient que nous nous inscrivions dans le paysage international en référence à d’autres entités qui occupent le terrain comme la Tate Gallery anglaise ou le Guggenheim américain… Mais ce constat est, en réalité, un formidable stimulant. » Jean-Jacques Aillagon connaît les limites de ses ambitions, souvent liées à une précarité chronique des moyens. « Le problème financier en est un bien réel, même si le Centre est plutôt bien traité. C’est bien pour cela que nous devons à tout prix paraître ce que nous sommes, non pas un collage de départements, mais le Centre de toute la culture, de toutes les cultures. En outre, nous développons une politique de mécénat qui porte réellement ses fruits. Aurions-nous réhabilité le Centre dans ces conditions sans le partenariat d’entités aussi diverses que Yves Saint-Laurent, Swatch ou Ricard ? Pourrions-nous envisager des développements multimedia très sophistiqués sans l’aide d’IBM, ou encore programmer au loin sans la participation de nombreux mécènes… ? Pour le bâtiment et la programmation sur deux ans, nous avons trouvé plus de 50 millions de francs, ce qui pour la France est exceptionnel… »

Jean-Jacques Aillagon s’est embarqué pour le troisième millénaire avec enthousiasme, confiance et passion. Lorsqu’on lui demande ce qu’il aperçoit au-delà de la barre fatidique du 31 décembre 1999, il répond dans un sourire rêveur : « La curiosité, le goût du risque, la certitude d’un ailleurs. »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°512 du 1 décembre 1999, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon, le maître à bord

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