Polémique

Goya, pomme de discorde franco-espagnole

Le Journal des Arts

Le 19 septembre 2011 - 791 mots

La Société des amis du Louvre vient de se porter acquéreur de quatre plaques gravées par Francisco de Goya, d’une grande rareté sur le marché. Or la Chalcographie nationale espagnole briguait les œuvres pour compléter sa collection quasi intégrale des plaques de l’artiste, et avait même obtenu un accord de principe du vendeur parisien. Une affaire qui a fait grand bruit en Espagne.

MADRID, PARIS - L’ère des relations courtoises entre établissements culturels serait-elle révolue ? Fin août, la Société des amis du Louvre pouvait présenter avec fierté sa dernière acquisition, menée au profit du musée : une série de quatre rares plaques gravées par Francisco de Goya avant son départ en exil pour la France, en 1824. Appartenant à la série inachevée des Disparates, exécutée à partir de 1819 et comprenant au total vingt-deux plaques, ces pièces se trouvaient depuis les années 1870 en France, dans une collection privée. Elles ont appartenu un temps à l’éditeur de la Revue de l’art. Rejoignant la Chalcographie du Louvre, elles seront bientôt exposées dans les salles de peinture espagnole du musée. Soit une belle prise pour l’institution française, ce type d’œuvres, inscrites dans une veine proche des Caprices, étant d’une grande rareté sur le marché. Sauf qu’en Espagne, où l’on estime que ces « trésors nationaux » auraient dû revenir, l’affaire a fait grand bruit. 

Les quatre dernières plaques
En mars dernier, la galerie parisienne Paul Prouté entre en effet en contact avec le Musée du Prado pour lui proposer les plaques à l’achat. La Bibliothèque nationale de France, consultée au préalable en tant que « grand département » pour les gravures et les plaques gravées, a en effet donné son accord pour une exportation. En toute logique, le Prado oriente alors la galerie vers la Chalcographie nationale espagnole, une institution publique dépendant de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando. Les quatre pièces sont les seules – avec deux autres encore dispersées – qui manquent à sa collection de plaques de Goya, qui en compte 228 au total ; elles sont exposées par roulement. L’artiste en avait lui-même donné une partie de son vivant et la collection a été ensuite progressivement reconstituée à la suite de diverses acquisitions. L’occasion est donc unique pour les Espagnols de compléter cet ensemble patrimonial. 

Juan Bordes, le président de la Chalcographie, donne rapidement son accord à la galerie Prouté, à charge pour cette dernière d’obtenir les certificats d’exportation à Paris. Dans son esprit, l’affaire est conclue. Mais un peu plus d’un mois après, alors qu’il demeure sans nouvelles, le président de la Chalcographie sollicite à nouveau la galerie et là, stupeur : il apprend que le Musée du Louvre est également sur les rangs. Rien de surprenant, là encore, pour des pièces d’une telle qualité. Sentant que les choses prennent une mauvaise tournure, Juan Bordes sollicite alors la médiation du ministère de la Culture espagnol, par l’entremise du prince. Un échange de courrier a lieu. Les autorisations de sortie du territoire français auraient bien été accordées. Juan Bordes se rend alors à Paris, un chèque de 600 000 euros en poche. Il rentrera bredouille à Madrid, sans obtenir d’explications. Et apprendra, début juillet, que la vente a été réalisée au profit du Louvre, par le biais de sa Société d’amis. De quoi susciter quelques interrogations côté espagnol. « L’achat via la société des amis a-t-il permis d’éviter le recours à une commission d’acquisition dans laquelle le ministère de la Culture français, manifestement favorable aux Espagnols, aurait pu opposer son veto ? », s’interroge un proche du dossier. « Faux ! », s’insurge Pascal Torres, le responsable de la Chalcographie du Louvre, qui affirme que l’acquisition a été validée en commission. Le conservateur dénonce par ailleurs les attaques injurieuses dont il aurait fait l’objet dans la presse espagnole, auxquelles il a répondu en publiant deux tribunes arguant de l’histoire des ces pièces et des liens qui unissaient Goya avec la France, où l’artiste a dû s’exiler en 1824.  

Menace judiciaire
Mais l’affaire passe toujours mal. Si Juan Bordes, quoi qu’il défende l’unité de l’œuvre de Goya, « peut comprendre la volonté du Louvre d’acquérir ces plaques », il ne cache pas son amertume. « Je suis très peiné que deux siècles de travail pour réunir toutes les plaques gravées de Goya s’arrêtent ici, mais j’ai au moins la consolation d’avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir », poursuit-il. Car l’histoire sursaute : au XIXe siècle, les plaques avaient été vendues en France après que l’Académie royale de San Fernando eut refusé de les acheter. 

Les choses risquent toutefois de ne pas en rester là. Estimant avoir conclu un accord moral avec la galerie, la Chalcographie espagnole étudie désormais la possibilité d’un recours devant les tribunaux.

Légende photo

Francisco de Goya y Lucientes, Disparate de bestia. Autres Lois pour le Peuple, 1815-1824, plaque de cuivre, 24 x 35 cm, Musée du Louvre, Paris. © Photo : Amis du Louvre / Adrien Dirand

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : Goya, pomme de discorde franco-espagnole

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