Enchères

Un premier semestre en pleine forme

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 1185 mots

Les prix records atteints par les objets chinois ont permis aux ventes aux enchères françaises de s’envoler. Ils bouleversent le classement habituel des maisons de ventes.

PARIS -  Dans la lignée des résultats internationaux, le premier semestre des ventes publiques en France a connu une progression par rapport à 2010. À de rares exceptions près, le chiffre d’affaires des maisons de ventes a augmenté, attestant de la bonne santé du marché de l’art. Le classement des SVV (sociétés de ventes volontaires) à mi-année n’offre aucune surprise s’agissant du trio de tête : Christie ’s (111,7 millions d’euros) est coutumière de la première marche du podium, juste devant Sotheby’s (99,6 millions d’euros). Toutes les deux montrent un taux de progression modéré. 
La première s’enorgueillit d’avoir dispersé les collections du château de Gourdon, les 29, 30 et 31 mars au palais de Tokyo, à Paris. Ce fut une vente événementielle avec 42 millions d’euros de recette et plusieurs records du monde dans le domaine de l’Art déco. On retiendra l’enchère de 2,8 millions d’euros pour la chaise longue aux skis dite « du maharadjah » (1929), record pour une œuvre de Jacques-Émile Ruhlmann en vente publique. La seconde affiche quatre ventes à plus de 15 millions d’euros sur le semestre, en art contemporain, art impressionniste et moderne, arts premiers et art d’Asie. Notons qu’avec près de 18 millions de chiffre d’affaires, cette dernière spécialité prend une place significative dans les résultats semestriels.

Les acheteurs asiatiques se montrent de plus en plus actifs dans les ventes aux enchères françaises. Chez Sotheby’s, ils représentent 22 % des achats en valeur (21,4 millions d’euros), contre 15 % (12,9 millions d’euros) pour le semestre 2010. « Pour la première fois chez Sotheby’s France, les achats extra-européens (53 % en valeur) dépassent les achats européens », relève Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France. Ce dernier, qui souhaite développer Sotheby’s France comme place majeure internationale du marché de l’art, notamment en augmentant dans les ventes parisiennes la densité d’objets d’art dont la valeur excède un million d’euros (21 lots ce semestre), souligne que « début 2011, Sotheby’s a fait de Paris son lieu central en Europe pour les ventes dans les domaines de la photographie ainsi que dans celui des arts décoratifs du XXe siècle et design contemporain, comme elle l’avait fait pour l’orfèvrerie européenne en 2008 ». 

L’art chinois change la donne
Bien vissée à la troisième place, à la fois à bonne distance des deux leaders et avec une solide marge par rapport au peloton des SVV françaises, Artcurial n’a pas caché ses ambitions. Elle présente un fort taux de progression semestriel ( 47 %), qui doit être ramené autour de 25 % si l’on tient compte du fait que, l’an dernier, la maison de ventes avait décalé une partie de ses vacations saisonnières de juin au mois de juillet (lesquelles n’avaient pas été comptabilisées dans le bilan semestriel 2010). « Nos résultats traduisent le potentiel de croissance et la forte dynamique de la maison de ventes Artcurial, qui accroît sa capacité à mobiliser les acheteurs internationaux », commentent les coprésidents Francis Briest et François Tajan. Le 29 mai, Artcurial a vendu, à un collectionneur américain, un tableau majeur de Lyonel Feininger, Hafen von Swinemünde (1915) pour 5,7 millions d’euros (8,2 millions de dollars), soit le troisième plus haut prix pour l’artiste. Dans ce genre de peinture, habituellement proposé à Londres ou New York par les auctioneers anglo-saxons, le tableau est aussi le plus cher adjugé en France depuis la vente Saint Laurent-Bergé en février 2009. L’œuvre aurait même pu être la meilleure enchère du semestre en France, si la sortie d’objets chinois, à haute valeur spéculative sur le marché français, n’avait changé pas la donne.Les objets d’art chinois et les sommes « stratosphériques » que la convoitise des collectionneurs asiatiques engendre ont, en effet, complètement bouleversé le classement des SVV. Découverte dans la région toulousaine, une peinture impériale chinoise en rouleau de l’empereur Qianlong (1736-1795) s’est envolée à 22 millions d’euros (l’enchère record du semestre), le 26 mars sous le marteau du commissaire-priseur toulousain Marc Labarbe, qui a vu sa petite SVV propulsée à la sixième place du palmarès, juste derrière Aguttes qui enregistre une belle saison avec plus de 80 vacations organisées sur trois lieux de ventes (Drouot, Lyon et Neuilly-sur-Seine). 

Toujours à Toulouse, le même jour, la SVV Chassaing-Marambat a sorti son épingle du jeu avec un sceau chinois en jade néphrite blanc sculpté, également d’époque Qianlong, parti à 12,4 millions d’euros. Grâce à cette enchère, la SVV se range à la dixième place du classement, ex aequo avec la maison parisienne Binoche et Giquello. Cette dernière, qui n’apparaissait pas dans le palmarès les années précédentes, a été auréolée de la dispersion de la collection H. Law d’art précolombien (7,4 millions d’euros), le 31 mars. Issue de cette collection, une grande divinité maya du Mexique, en stuc polychrome, a été adjugée 2,9 millions d’euros, décrochant un record mondial pour une œuvre d’art précolombien et le titre de meilleure enchère du semestre à Drouot. Cela reste toutefois exceptionnel que deux petites maisons de ventes de Province se hissent dans le palmarès national, même à mi-parcours.  

Les dispersions lucratives de collections
La quatrième marche du podium revient à un outsider de l’hôtel des ventes parisien, la SVV Gros & Delettrez, grâce à la dispersion de l’ancienne collection Paul-Louis Weiller pour 29 millions d’euros, du 5 au 8 avril. Là aussi, les objets chinois ont dopé les résultats : 2,8 millions d’euros pour grand un plat rond Yuan du XIVe siècle, 2 millions d’euros pour un vase rhyton en jade vert brun-rouille d’époque Qianlong, ou encore 1,3 million d’euros pour une grande coupe libatoire en corne de rhinocéros blonde sculptée, datant du XVIIIe-XIXe siècle. Ces trois pièces chinoises figurent parmi les dix plus chers objets vendus à Drouot au cours du semestre, avec une armoire Szu Chien Kuei en bois naturel à décor sculpté, adjugée 1,9 million d’euros le 29 mars (SVV Delvaux) et un vase Yuhuchuping en porcelaine blanc-bleu, emporté pour 1,4 million d’euros le 18 mars (SVV Brissonneau et SVV Daguerre). Du coup, Millon et Tajan perdent deux places et Piasa, qui a fait une très mauvaise saison, tombe carrément de cinq échelons. Les nouveaux entrants chassent trois maisons du classement, dont les SVV Cornette de Saint Cyr (11,9 millions d’euros) et Beaussant Lefèvre (11,7 millions d’euros), en léger fléchissement par rapport à 2010. Le cas de la SVV Pierre Bergé & associés (PBA) est un peu particulier. Si la maison de ventes a réalisé pas moins de 17,3 millions de chiffre d’affaires de janvier à juin 2011, la part revenant à ses vacations parisiennes ne dépasse pas les 5 millions d’euros (chiffre estimatif). Il s’agit d’un choix stratégique du groupe PBA qui poursuit prioritairement sa croissance en Belgique. PBA se retire du site de Drouot pour déménager dans des locaux moins onéreux, du côté de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent dans le 8e arrondissement, suivant une politique de baisse des coûts consécutive au ralentissement volontaire de son activité française au profit de l’antenne bruxelloise. 

Bilan semestriel des maisons de ventes (frais inclus)

Bilan semestriel des maisons de ventes - 2011
Légende photo

Lyonel Feininger, Hafen von Swinemünde, 1915, huile sur toile, 75 x 101 cm, vendu 5 775 546 euros le 29 mai 2011, Artcurial, Paris. © Artcurial

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Un premier semestre en pleine forme

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