Italie - Biennale

À Venise, la biennale manque d’éclat

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2011 - 1447 mots

Avec des propositions très inégales et un parcours sans propos clairement établi, l’exposition internationale de la 54e Biennale de Venise ne tient pas ses promesses.

On attendait la lumière, mais c’est plutôt l’ombre qui s’est abattue sur la 54e édition de la Biennale de Venise. Le projet d’exposition internationale porté cette année par la Suissesse Bice Curiger, fondatrice de la très respectée revue Parkett et conservatrice au Kunsthaus Zurich, avait pourtant fait naître de grandes attentes. Notamment grâce à l’annonce d’une proposition thématique portant sur la lumière – une visée optimiste et plutôt bienvenue en ces temps troublés – et une promesse de prendre à bras-le-corps l’idée même de nation – ce qui ne pouvait être que salué à une époque de plus en plus nettement marquée par des crispations et des replis identitaires dans un contexte mondialisé qui, parce qu’il demeure souvent incompris, reste générateur de tensions et renforce encore et toujours des versants extrêmes. L’intention était donc louable. Las… Répartie entre le pavillon international, sis dans les Giardini et la corderie de l’Arsenal, l’exposition « ILLUMInations », bien que révélant de belles séquences, manque très nettement de constance dans la qualité et, in fine, cruellement de lisibilité. Cela est d’autant plus navrant que l’introduction de la manifestation est remarquable. 

Propositions médiocres
Alors qu’ils sont peu convaincants lorsque présentés dans une version réduite, les mâts inclinés de Latifa Echakhch, sur lesquels nuls drapeaux jamais ne sont accrochés, bordent de part et d’autre le chemin d’accès au pavillon des Giardini en une forêt touffue et brouillonne (Fantasia, 2008). C’est ensuite une marquise transparente de Philippe Parreno, dans laquelle clignotent des ampoules, qui accueille le visiteur dans le hall (Marquee, 2008) en marquant clairement un seuil à franchir. D’emblée, la problématique du territoire est abordée à travers l’usage de la lumière comme outil possible mis au service de son exploration. On retrouvera cette question à l’Arsenal dans une très forte installation de James Turrell, sorte d’océan lumineux mouvant et changeant qui défie tant l’idée de lieu que celle de réel, à travers notamment cette conception chère à l’artiste relative à la possibilité non pas seulement de ressentir mais de voir une sensation (The Ganzfeld Piece, 2011). Aux Giardini, la présence de Jack Goldstein et Gianni Colombo atteste avec acuité de cette question de la territorialité. Le premier avec un film de 1978, The Jump, où le corps d’un plongeur en mouvement n’est plus qu’une figure lumineuse perdue dans un espace indé fini, alors que dans « l’espace élastique » (Spazio elastico, 1967-1968) du second, plongé dans le noir, un quadrillage phosphorescent et mouvant défie la notion même de frontières et de définition d’un territoire.

Mais, passée cette belle entrée en matière, rien ne va plus ou presque, et ce n’est pas la présence de trois tableaux du Tintoret, convoqués pour agrémenter l’idée d’expérimentation et de novation plastique, par l’entremise notamment du traitement lumineux, qui y change quoi que ce soit. Les propositions, souvent médiocres, s’enchaînent alors de manière illisible, sans véritable lien apparent ni problématique identifiable autre qu’un certain attrait pour une forme de « branchitude » contemporaine, qui n’a pourtant pas encore fait ses preuves, loin de là. 

Vacuité prétentieuse
On perçoit bien ici et là des artistes attachés au lien à l’histoire ou à la frontière avec la modernité sans que leurs propositions ne soient probantes. À travers des écrans en Plexiglas colorés, des images digitales imprimées, des huiles sur papier et une double projection de diapositives, l’installation monumentale de Kerstin Brätsch, par exemple, n’offre qu’une épuisante et prétentieuse vacuité, qui ne dépasse pas le stade décoratif, tout en affichant de très hautes prétentions conceptuelles quant à la nature de la peinture et de l’œuvre d’art au début du XXIe siècle (Blocked Radiants, 2011). Pourtant remarqué lors de la dernière biennale du Whitney Museum of American Art, à New York, R. H. Quaytman fait ici pâle figure, avec une suite confuse de dessins et photographies inspirés par l’espace symétrique de la galerie et le paysage vénitien (I Modi, Chapter 22, 2011) ! Toujours précis et un rien facétieux, Fischli et Weiss tirent, eux, leur épingle du jeu avec un ensemble de volumes élémentaires en argile, disposés face à la projection d’une planète (Space Number 13, 2011).

Ailleurs, une trop longue enfilade de salles voit s’enchaîner des propositions désolantes, dans un mauvais versant régressif : Pipilotti Rist projette des films colorés sur des peintures vénitiennes ; Norma Jeane, artiste fictif, invite à dessiner sur les murs avec des blocs de Plastiline ; et Cindy Sherman tapisse sa salle avec ce qui sont, sans doute, ses plus mauvaises œuvres, d’effrayantes compositions adhésives figurant des autoportraits plantés devant des décors pastoraux (Untitled, 2011)… Sauvée du naufrage, une rare salle affirme dans ce pavillon une proposition osée mais réussie, en juxtaposant des photos du début des années 1970 de Luigi Ghirri et un ensemble de sculptures hybrides récentes de Gabriel Kuri. Au-delà du choc des époques et de la nature visuelle des œuvres, ce sont deux mondes qui s’affrontent : l’un, italien et parfaitement identifié, face à l’autre, globalisé, métissé et mélangé, tous deux se rejoignant toutefois dans un goût pour le décalage pensé avec subtilité. 

Discours hermétique
Les choses s’arrangent quelque peu à l’Arsenal, en termes de qualité des œuvres tout au moins car, là encore, le discours se montre hermétique, sans que jamais une ligne de commentaire ou d’intention ne soit donnée à lire au public qui, véritablement, peine à tenter de tirer quelques fils. Symbolique – ou symptomatique ? – d’une certaine restriction imposée à la lecture de l’ensemble, l’entrée même se trouve comme bloquée par la vaste installation exécutée par le Chinois Song Dong, qui a construit là l’un des quatre « parapavillons » commandés à des artistes : Monika Sosnowska, Oscar Tuazon et Franz West. Architectures dans l’architecture, ces structures entendent dynamiser le parcours en accueillant des œuvres d’autres créateurs, mais pour revenir à celui de Song Dong, qui a bâti là une reconstitution de la maison centenaire de sa famille, l’échelle est telle que cette première salle, à la circulation entravée, ne se perçoit ni comme une entrée ni comme un passage.

Beaucoup de l’exposition est ici consacré au questionnement des identités, souvent en lien avec une histoire personnelle ou commune. Touchante, Yto Barrada a reproduit à grande échelle des pages du répertoire téléphonique de sa grand-mère qui, illettrée, y remplaçait les noms par des personnages schématiques (The Telephone Book, 2011). Plus loin s’opère une confrontation intéressante entre les maquettes décrépies d’architecture soviétique du Géorgien Andro Wekua (Pink Wave Hunter, 2010-2011) et les étagères en miroir ou les gravures sur bois de l’Américain Rashid Johnson, qui interrogent l’identité afro-américaine. Formidable est en outre le film de l’Israélien Dani Gal rejouant l’épisode secret de la dispersion en mer des cendres d’Adolf Eichmann à partir des propos d’un survivant de l’holocauste (Night and Fog, 2011). 

Pauvreté de la réflexion
Chez Luca Francesconi, les identités s’expriment à travers la domesticité et la rencontre de sculptures classiques et d’équipements domestiques qui, finalement, semblent avoir beaucoup plus à se dire que ce qu’il paraît (Europa 3000, 2011). S’agissant de la question territoriale et de la dissolution des singularités dans la globalisation, les plus belles réflexions sont à mettre au compte de la reconstitution du Sud-Africain Nicholas Hlobo et de la Mexicaine Mariana Castillo Deball, qui s’intéressent à des légendes ou à l’histoire perdue de leur pays. En fin de parcours, les poubelles en provenance de différentes villes du monde, installées telles des peintures ou des sculptures par Klara Lidén, sonnent comme une bien pauvre réflexion sur la résistance à l’uniformisation, rendant curieuse la mention spéciale qui lui a été attribuée par le jury.

À l’inverse, avec son installation filmique The Clock (2011), Christian Marclay a amplement mérité le Lion d’or du meilleur artiste. D’une durée de vingt-quatre heures, le projet mêle des extraits de films à des images d’horloges affichant l’heure réelle. Synthétisant finement plusieurs des interrogations soulevées par cette exposition, il impose brillamment et efficacement un brouillage des frontières avec une curieuse impression de se trouver à la fois ici et ailleurs… dans le temps comme dans l’espace. 

ILLUMInations

Commissaire : Bice Curiger, conservatrice au Kunsthaus Zurich

Nombre d’artistes : 83

Jusqu’au 27 novembre, Giardini et Arsenal, Venise, tél. 39 041 5218711, www.labiennale.org, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Marsilio, 604 p., 60 €, ISBN 978-88-317-0911-8

Légende photo
James Turrell, Ganzfeld APANI, 2011, installation lumineuse, 2000 Á— 1120 Á— 660 cm, courtesy Häusler Contemporary Munich / Zurich. © Photo: Francesco Galli/La Biennale di Venezia.

TELECHARGER LE PLAN DE LA BIENNALE :
Le plan des manifestations de la 54e Biennale de Venise : Télécharger le plan (PDF - 2 Mo)

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°349 du 10 juin 2011, avec le titre suivant : À Venise, la biennale manque d’éclat

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