Nathalie et Georges-Philippe Vallois, galeristes à Paris

« Il faut encourager les galeries à acheter des œuvres »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 1562 mots

Entretien - Les galeristes parisiens Nathalie et Georges-Philippe Vallois fêtent leurs 20 ans d’activité et publient un livre anniversaire.

Nathalie et Georges-Philippe Vallois ont ouvert leur galerie dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés (1) en 1990. À l’occasion de cet anniversaire, ils publient un livre, ponctué de cartes blanches offertes à leurs artistes et retraçant 20 ans d’activité. Georges-Philippe Vallois est aussi vice-président du Comité professionnel des galeries d’art (CPGA). Ils commentent l’actualité. 

Votre galerie fête ses 20 ans. Pourquoi avoir choisi en 1990 le quartier de Saint-Germain-des-Prés, plutôt que le Marais ?
Georges-Philippe : Nous avions 25 ans environ. J’étais courtier et Nathalie s’occupait d’une galerie d’éditions. Nous avions une approche de l’art liée à un contact direct. À l’époque, dans le Marais, nous trouvions étrange que les parcours soient réservés à des initiés, avec des galeries donnant sur cour. Il y avait alors un snobisme très en vogue qui consistait à ne pas accueillir les gens mais plutôt à adopter une « attitude ». En créant une galerie, nous voulions former nos collectionneurs. Mes parents tenaient une galerie à proximité, et cela nous a certainement influencés. Il nous paraissait important d’avoir comme voisinage des marchands importants, même s’ils n’étaient pas forcément dans l’art contemporain. Comme nous avons voulu aller à la rencontre des gens, nous voulions avoir une galerie sur rue, et une opportunité s’est dégagée assez rapidement.
Nathalie : À ce quartier très hétéroclite correspond une manière de penser, d’être. Nous n’avions pas envie d’un quartier où l’on ne trouvait que de l’art contemporain. Nous étions aussi attachés aux grands mouvements des années 1960. Notre première exposition, « Entre la géométrie et le geste, 1965-1975 », comprenait des dessins de Richard Serra, Mel Bochner, Keith Sonnier… Nous étions aussi attachés au Nouveau Réalisme et nous avions envie de travailler avec des artistes actuels. Nous n’avions pas vraiment de modèle. Il existait les galeries d’un côté d’art contemporain, de l’autre de second marché. Nous avions juste des envies et des désirs. Nous ne voyions aucun antagonisme à passer des années 1960 à l’art contemporain. En revanche, à l’époque, on nous a fait ressentir que ce n’était pas commun. 

Quels étaient vos liens avec les Nouveaux Réalistes ?
G.-P. : J’avais déjà des relations avec César et Arman que je connaissais d’un point de vue commercial et amical. Mais à l’époque, le Nouveau Réalisme, c’était Pierre Nahon à Paris. Nous avons eu la chance de voir l’exposition sur le « Nouveau Réalisme » en 1987 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Et nous avons dû attendre 2007 pour en voir une autre, au Grand Palais ! Nous nous sommes rendu compte que travailler avec cette génération d’artistes pouvait être une activité non seulement de marchand mais aussi de galeriste. Ils avaient sauté un pas générationnel et, en 1990, ils étaient perdus pour l’art contemporain. Nous avons donné un élixir de jeunesse à des gens comme [Jacques] Villeglé. Avec ces artistes, nous pouvions développer des activités commerciales, importantes pour notre galerie parce qu’il fallait s’en sortir d’un point de vue financier, et, d’un autre côté, apporter un regard différent.  

Comment s’est constituée votre écurie d’artistes plus jeunes ?
N. : Il y a eu beaucoup de rencontres. Le premier artiste actuel que nous avons exposé est Alain Bublex, avec qui nous continuons de travailler, qui nous a été présenté par [le critique d’art] Jean-Yves Jouannais. Nous avons rencontré Paul McCarthy en 1993, qui n’était pas aussi renommé qu’aujourd’hui. Il nous a présentés à d’autres artistes californiens. Petit à petit s’est dessinée l’identité de la galerie : les Nouveaux Réalistes, les artistes français et les Californiens.
G.-P. : Pour être une galerie importante, il faut être une première galerie. Nous n’avons pas voulu aller chercher des artistes dans des grandes galeries américaines, mais montrer nos choix. Les artistes californiens à l’époque étaient importants mais sans galerie. Californiens, français et Nouveaux Réalistes partageaient un désintérêt global du marché. 

Il est en même temps difficile de garder des artistes qui ont du succès. Vous l’avez vécu avec McCarthy ou Tatiana Trouvé….
G.-P. : Les choses ont changé. Les moyens de production, dans les années 1990, n’avaient rien à voir avec ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Nous ne pouvons pas détacher la notion de plaisir de notre activité. Pour McCarthy, même si nous continuons à entretenir d’excellentes relations avec lui – et il a d’ailleurs fait un projet pour notre livre anniversaire (2) –, nous ne pouvions lui demander de refuser l’opportunité de rentrer chez Hauser & Wirth [Londres, Zurich], avec des moyens de production illimités, l’accès à un commerce international… D’un autre côté, Richard Jackson est aussi important ; il est également représenté par Hauser & Wirth, mais il n’est pas question pour lui de travailler avec une autre galerie que la nôtre en France.
N. : Il peut aussi arriver que, pour des raisons humaines, avec le temps, on se sépare. Mais nous avons été incroyablement fidèles à nos artistes depuis le début.

 CulturesFrance va être remplacée par l’Institut français en janvier 2011 [lire p. 19]. Que pensez-vous de cette évolution ?
G.-P
. : J’ai beaucoup travaillé sur ce dossier, en tant que vice-président du Comité professionnel des galeries d’art. J’ai participé à des commissions, mais j’ai eu le sentiment d’être très peu écouté. In fine, je n’ai pas l’impression que des missions aient été clairement établies. Le nom va changer, mais je ne suis pas sûr que la réalité change. 

Parmi les dossiers brûlants dont le CPGA doit traiter, figurent l’autorisation des ventes de gré à gré pour les maisons de ventes et le droit de suite. Quelle est votre position sur ces questions ?
 G.-P. : Beaucoup de gens disent que les ventes de gré à gré sont autorisées dans tous les pays, donc pourquoi pas en France ? Personnellement, je pense que c’est différent. Le pouvoir culturel actuel ne prend pas conscience des fonctions de chacun. Nous, représentants des galeries, nous avons mis un an et demi à être reçus par le ministre de la Culture, alors que les maisons de ventes l’ont été immédiatement. Aujourd’hui, il y a une vraie confusion entre le marché et ce qu’est un galeriste, c’est-à-dire quelqu’un qui forge le patrimoine pour l’avenir, qui va faire de la France un pays culturellement fort ou pas. On va autoriser les maisons de ventes à organiser des ventes de gré à gré. Dans le même temps, on ne donne aucune spécificité particulière aux galeries. D’un côté, on a des opérateurs qui n’achètent pas, qui reçoivent des pièces en dépôt, qui ne prennent pas de risque. Ils récolteront tout ce qui est positif, mais rien du négatif. Il n’est prévu aucune mesure de rattrapage pour les galeries et les marchands ; on est en train de donner tous les avantages aux commissaires-priseurs. Au final, je ne pense pas que le marché de l’art en France en soit avantagé.
N. : Une galerie est un laboratoire. Galeriste, c’est un métier particulier qui s’approche plutôt de la recherche que du marché pur et dur.
G.-P. : Pour le droit de suite, le but d’une galerie, c’est de produire des pièces et d’encourager les artistes en achetant leurs œuvres. Un galeriste qui le fait ne devrait pas avoir à payer de droit de suite. Il faut au contraire encourager les galeries à acheter des œuvres. Il faut faire une différence entre le premier et le second marché. Patrick Bongers [galeriste et président du CPAG] a demandé une chose simple : que les maisons de ventes affichent les vrais prix, frais compris. 

Frédéric Mitterrand a été confirmé au ministère de la Culture. Que pensez-vous de son action jusqu’à aujourd’hui ?
G.-P
. : C’est l’un des ministres les plus absents que l’on ait connus. On attendait beaucoup de sa nomination, parce qu’il est une figure médiatique, culturelle. Il n’a peut-être pas eu les mains libres. On a senti une profonde méconnaissance du milieu de l’art contemporain, et strictement rien n’a été fait. Nous n’avons jamais eu aussi peu de relations avec un ministre. Au CPGA, nous avons vécu cette absence de dialogue comme quelque chose de très embarrassant. Parallèlement, dès le lendemain de son arrivée [à Paris], [le galeriste américain] Larry Gagosian était invité à déjeuner au ministère et recevait une médaille. Il semblerait que, pour ce ministère, le marché soit la panacée en termes de création contemporaine. Et c’est une chose que je regrette. Pourtant, pour avoir une bonne scène française, il faut des galeries puissantes. 

Quelles expositions vous ont marqués récemment ?
G.-P.
: Évidemment « Arman » au Centre Pompidou. Je voudrais remercier Alfred Pacquement de l’avoir accueillie. Mais je regrette que la partie contemporaine du travail n’ait pas été représentée par des pièces vraiment fortes. J’ai aussi été marqué par « Larry Clark » [au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP)]. Aujourd’hui, le décalage est complet entre les images diffusées sur Internet et des associations de rombières qui imaginent établir un dictat moral. J’étais aussi satisfait que Didier Marcel [ait exposé] au MAMVP pendant la FIAC [Foire internationale d’art contemporain], c’était bien calculé. Enfin, on continue à ne pas donner assez de place au prix Marcel Duchamp, réduit à quatre stands situés au fond de la FIAC. Il faut absolument y remédier.   

(1) 36, rue de Seine, 75006 Paris, www.galerie-vallois.com
(2) Éditions Dilecta, 200 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Nathalie et Georges-Philippe Vallois, galeristes à Paris

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