Italie - Restauration

La restauration et ses juges : faux procès ou vrai débat ?

Chapelle Sixtine : le Jugement dernier enfin restauré

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 3692 mots

Au cours des quinze dernières années, quelques-uns des plus importants chefs-d'œuvre du patrimoine artistique international ont été restaurés. Dans une étude retentissante, publiée cet automne, Beck et Daley mettent en cause la restauration, accusée d'être une science sans conscience. En partant de cinq cas concrets de restauration, le JdA a demandé à Helen Glanville et Géraldine Guillaume Chavannes de présenter le point de vue des restaurateurs.

Après quatre ans de travaux, l’immense fresque du « Jugement dernier », dernière étape de la restauration du cycle des fresques de Michel-Ange à la chapelle Sixtine, sera présentée officiellement le 8 avril prochain. Le Jugement, symbole des libertés de la Renaissance, où le corps humain est une allégorie de la beauté, fut peint par Michel-Ange en 1534, vingt-cinq ans après avoir achevé les fresques de la voûte. Mais dès 1559, Michel-Ange encore vivant, le pape Paul IV fit voiler quelques-uns des personnages par Daniel de Volterra.

La splendeur des couleurs est révélée par la restauration. La palette de Michel-Ange s’est enrichie sous l’influence de la peinture vénitienne. On voit apparaître le bleu outremer et l’azurite, qui remplacent complètement les oranges et les smalts utilisés pour la voûte, ainsi que des pigments plus lumineux, rouges et jaunes. Enfin, le peintre fait appel au très précieux lapis-lazuli pour rendre le bleu intense du ciel.

Le pape Jean Paul II célébrera une messe le vendredi 8 avril, à midi, dans la Sixtine. La chapelle sera ouverte au public le 11 avril. Les responsables des services de restauration du Vatican annonceront alors la suite à donner aux travaux. Un nouveau programme prévoirait la restauration des murs peints à fresque par le Pérugin, Botticelli, Ghirlandaio, Rosselli et Signorelli.

Le travail accompli par les restaurateurs a été mis en cause, de façon générale, dans un ouvrage signé par le Professeur Beck et Michael Daley, Art Restoration, the Culture, the Business and the Scandal John Murray, Londres, 1993. Ces auteurs posent la question de base suivante : une œuvre doit-elle être restaurée en fonction de considérations esthétiques ou pour les besoins de la conservation, uniquement lorsque la structure physique de l’œuvre est menacée ? Or, ces deux critères sont en fait inextricablement mêlés.

Le Journal des Arts a demandé à Helen Glanville, chargée de cours à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, et Géraldine Guillaume-Chavannes, restauratrice de peintures au MNAM Centre Pompidou, et pour le Musée du Louvre, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, d’apporter des éléments de réponses aux auteurs d’Art Restoration.

Nous pensons que ce dossier, au-delà de son aspect technique, intéressera tous nos lecteurs, quelle que soit leur formation. Ils y trouveront une nouvelle et passionnante approche de l’art, et découvriront – comme dans les meilleurs romans d’Agatha Christie, qu’un simple clou de bronze en T couvert de colle, planté en 1740, peut être la clé d’un mystère artistique.

Des couleurs dénaturées ?
La controverse qui entoure la révélation de l’existence de couleurs vives dans l’œuvre de Michel-Ange semble due à une utilisation impropre de la terminologie et à une approche peu respectueuse de l’histoire. Les partisans et les adversaires de la restauration sont d’accord pour reconnaître que le "nouveau" Michel-Ange apparaît comme un coloriste insoupçonné jusqu’à ce jour, mais les opposants affirment qu’il ne s’agit là que du résultat d’un nettoyage excessif, car ses contemporains l’ont loué au contraire pour ses qualités de sculpteur, pour son disegno plutôt que pour sa colore. Beck et Daley soutiennent que Michel-Ange obtenait cet effet sculptural, qui l’avait rendu célèbre, grâce à l’application de glacis de finition, l’ultima mano – la dernière touche – et que ces glacis ont été enlevés lors du nettoyage, supprimant ainsi le modelé sculptural de l’œuvre.

"Les restaurateurs d’aujourd’hui, affirment les auteurs de Art Restoration, ont enlevé, en plus de la saleté, presque tout le travail "a secco". Dans le cas contraire, Michel-Ange aurait été célèbre non pour les qualités sculpturales de son œuvre, admirées durant sa vie et jusqu’en 1980, mais comme un autre de ces coloristes en parfait accord avec la mode actuelle". "Personne, écrivent Beck et Daley, pas même Ascanio Condivi où Giorgio Vasari, biographes de Michel-Ange, n’a parlé de ses innovations en tant que coloriste".

Helen Glanville : Michel-Ange utilise trois sortes de perspectives, dont Léonard de Vinci a été le premier à formuler la théorie, perspectives qui servent à créer une illusion de relief sur une surface plane : L’une est est la perspective linéaire fortement enracinée dans les pratiques artistiques du milieu du XVe siècle. La seconde est, selon le Traité de Léonard, la perspective des couleurs qui établit que "plus une couleur est proche plus elle doit être pure"; mais elle doit aussi s’enrichir de la couleur de l’horizon dans la mesure où elle s’en approche. Dans la troisième enfin, la perspective d’estompage, "l’objet – ou plutôt les limites de sa forme – est d’autant plus distinct et net qu’il est le plus près de l’œil". Léonard de Vinci fait remarquer que dans la nature "la frontière d’un objet avec un autre est de même nature qu’une ligne mathématique, et ne peut recevoir le statut de ligne réelle". Cette remarque conduit, à travers la dissolution de limites formelles, à l’utilisation de la couleur comme moyen d’accorder personnages et arrière-plan, en créant ainsi l’illusion d’un espace réel. Que Michel-Ange ait utilisé les couleurs comme il le fit, peut nous paraître nouveau, plus que ne le laissait deviner un Michel-Ange sculpteur et une vision très monochrome, jusqu’à la restauration du plafond de la chapelle Sixtine.

Pour les contemporains du peintre, c’était la qualité du relief de ses personnages qui les émerveillait lorsqu’ils le comparaient à ses prédécesseurs et même aux artistes de son temps qui pratiquaient encore les manières de peindre traditionnelles héritées du XVe siècle. L’accumulation, au cours des siècles, de couches de dépôts organiques jaunies et de dépôts de saleté sur les fresques de la Sixtine cachaient la beauté du dessin de Michel-Ange tout autant que son attachement aux techniques, dans l’usage qu’il faisait de la couleur intérieure à la forme. En regardant son œuvre dans un état monochromatique, on pouvait penser à un Michel-Ange précurseur du naturalisme du XVIIe siècle jouant du clair-obscur monochrome pour créer l’illusion.

Les défenseurs d’un Michel-Ange coloriste soulignent son étonnante dextérité à n’utiliser que quelques pigments : les analyses montrent en effet qu’il ne s’est servi que de terre et de bleu de smalt et d’outremer. La luminosité des couleurs de Michel-Ange est due à son enduit, l’intonaco – la dernière couche de plâtre – particulièrement lisse, qui sature au maximum les pigments, dans la limite des contraintes imposées par la technique de la fresque ainsi qu’à la superposition de lavis transparents de pigments purs, qui laissent jouer son rôle optique à la blancheur de l’intonaco. La subtilité et le fini dans le modelé des chairs sont étonnants si on les compare à ceux qui sont obtenus par la peinture à l’huile. La technique de la fresque en effet ne permet pas de mélanges, le pigment étant pris dès qu’il entre en contact avec le subjectile, comme c’est le cas pour la tempera.

Beck et Daley : La luminosité des couleurs que nous voyons maintenant est le résultat d’un décapage.

Helen Glanville : Les auteurs soutiennent que la luminosité des couleurs – et le fini que nous voyons – sont le résultat d’un nettoyage excessif et que la peinture appliquée a secco par Michel-Ange, après le séchage de la fresque, a été enlevée aussi bien dans la partie des ombres que sur les fresques, où elle était appliquée uniformément pour donner une tonalité générale. Leur démonstration se fonde sur trois sources : les documents historiques décrivant la technique de Michel-Ange, les restaurations antérieures et une analyse scientifique, précisant la nature et les conditions de la manipulation des solvants utilisés dans le nettoyage. Ajoutons que l’expérience acquise par Colalluci et son équipe, en contact quotidien avec l’œuvre de Michel-Ange, n’est pas considérée par Beck et Daley comme "une preuve suffisante". Beck et Daley pour leur part ne présentent aucun élément de preuve de nature documentaire qui étaierait l’idée que les couleurs actuelles ne seraient pas celles de Michel-Ange. Ils ne mentionnent pas non plus que les couleurs, le graphisme et la tonalité du Doni Tondo, après la suppression du vernis en 1985, sont en accord avec l’œuvre de Michel-Ange que nous découvrons à la suite de la restauration du plafond de la chapelle Sixtine. Il y a en fait une parfaite correspondance à cet égard entre les deux œuvres, indépendamment de la technique picturale utilisée.

Si Michel-Ange avait souhaité donner une tonalité plus sourde à ce tableau, il disposait du support, du médium et de la technique nécessaire pour appliquer des jus et des lavis, et pour donner à ses personnages un relief sculptural qui n’était plus tributaire de sa maîtrise. Pourtant il s’en est dispensé. Nous pouvons ici en être certains car une mince couche de matière résiduelle avait été laissée sur la peinture originale en 1985. Une mince couche similaire aurait été laissée aussi sur la surface originale des fresques de la chapelle Sixtine. Ce que jugent impossible Beck et Daley : comme preuve La Mise au tombeau attribué à Michel-Ange à la National Gallery. Ils soutiennent que "les analyses scientifiques effectuées par le service de restauration montrent que Michel-Ange obtenait ses effets sombres, en partie en atténuant ses couleurs avec de la peinture grise". Fit-il de même pour le plafond de la Sixtine? Il semble qu’aucun document d’époque ne parle d’un jutage général appliqué par un artiste sur une fresque. En revanche cette technique semble avoir été extrêmement courante au XIXe siècle. La preuve de l’application de jutages repose sur les affirmations du professeur Alessandro Conti. Beck et Daley le citent lorsqu’ils disent que ces "jus donnent aux fresques leur particularité d’ombres et de lumières"....

La question est de savoir, en nous appuyant sur le récit de ses contemporains, si Michel-Ange a appliqué de la peinture a secco sur du plâtre sec. La peinture a secco implique la pose de pigments mélangés à un médium sur du plâtre sec ou en cours de séchage, alors que dans une véritable fresque, l’eau et les pigments mélangés sont appliqués sur le plâtre humide. Cette technique a secco était utilisée pour réaliser des reprises et utiliser des pigments qui ne supportaient pas l’alcalinité de la chaux.

Un consensus exceptionnel
Documents, restaurateurs et auteurs s’accordent pour reconnaître que des retouches ou des additions a secco – quel que soit le médium et parce qu’elles ne sont pas chimiquement incluses dans le plâtre – sont de façon inhérente plus fragiles et sensibles à la détérioration. Ceci se voit dans la scène du Déluge du plafond de la Sixtine, qui a souffert considérablement là où du rouge à base de minium a été utilisé avec de l’ocre jaune a secco, et dans les verts lorsque le vert de cuivre a été employé de la même manière. Selon les restaurateurs le reste de la voûte est en bonne condition parce que Michel-Ange a évité l’emploi de peintures a secco et en raison de de la minceur et de la perméabilité de sa couche picturale qui permet à l’eau de la traverser et de s’évaporer au lieu de provoquer des cloques ainsi que le ferait une couche plus épaisse de peinture et des rajouts a secco.

Beck et Daley : Ce que nous voyons est une sous-couche très solide grossière et incomplète de la couche a secco.

Helen Glanville : Les auteurs citent un passage important du traité d’Armenini (De Veri precetti della pittura, 1584), qui semblerait indiquer que "l’on peut parfaitement harmoniser un ensemble de couleurs en les retouchant a secco". Si l’on remet dans son contexte le passage initial d’Armenini, cité par Beck et Daley, on s’aperçoit que ce sont les rehauts qui sont réalisés en dernier alors que dans la présentation des auteurs, il semble que ce soit l’harmonisation a secco des glacis dans les ombres qui soit l’ultima mano (la dernière touche). Des sources d’époque paraissent nous indiquer qu’une technique a secco, quoique acceptable et parfois nécessaire, est souvent liée à une déficience technique dans l’exécution. Cela est aussi vrai dans leurs commentaires sur les pigments utilisés. En maints endroits, on trouve des déclarations qui montrent que l’habilité de l’artiste consiste à rendre réel ce qui ne l’est pas, que ce soit par le relief ou par la couleur. Les bleus ou les médaillons dorés de la deuxième partie de la voûte en sont un exemple frappant. Ils semblent être réalisés avec de l’outremer et de l’or alors que Michel-Ange n’a utilisé aucun de ces deux pigments. L’effet est en quelque sorte une contrefaçon.

Les restaurations antérieures
Beck et Daley : Les petits fragments de fresque sans colle, trouvés dans une crevasse d’un des Ignudi, situés à la gauche de la sibylle de Perse ne constituent pas une preuve.

Helen Glanville : La majorité des gens concernés ont considéré que l’absence de colle prouvait que Michel-Ange ne l’avait pas appliquée lui-même. Les auteurs d’Art Restoration n’acceptent pas la preuve du fragment découvert. Ils soutiennent qu’il n’y a aucune base historique pour affirmer que ce sont des restaurateurs et non Michel-Ange qui auraient appliqué ces couches de colle sensibles au jaunissement.

Le plus ancien document sur la restauration de ces fresques est le motu proprio du pape Paul III du 26 octobre 1543, engageant un ou plusieurs "nettoyeurs" pour débarrasser les peintures du plafond "de la poussière et autres impuretés". Les restaurateurs pensent que cette crevasse a été restaurée par Carnevali dès 1565-66. Or, le fragment se trouvait enfoncé dans la matière qui avait servi à reboucher la crevasse et n’avait subi aucune des restaurations suivantes fort contestées. L’analyse montre que le fragment ne comporte aucune trace de colle, à la différence d’un échantillon pris en surface, dans un endroit proche.

Beck et Daley citent Gianluigi Colalucci, restaurateur en chef du laboratoire du Vatican, dans son ouvrage Gli Affreschi della volta Sistina, (Les fresques de la voûte de la Sixtine, 1986) qui écrit que "très vite, après l’achèvement du plafond par Michel-Ange, on a commencé à traiter l’apparition d’efflorescences salines par l’application à chaud d’importantes couches de colle animale avec, éventuellement, addition d’une petite quantité d’huile végétale de lin ou de noix". Beck et Daley commentent : "La recette détaillée et la date précise fournie par Colalucci peuvent paraître s’appuyer sur une solide documentation, or ce n’est pas le cas".

Les infiltrations d’eau
En réalité, les affirmations de Colalucci s’appuient sur une référence de Giovio, qui signale en 1547, la présence d’efflorescences salines sur le plafond, dues à des infiltrations d’eau. L’eau apporte des sels en solution à la surface de la fresque, formant des cristaux de sulfate et de carbonate. Une application de colle élimine l’aspect visible du problème. Le fait qu’une couche de colle recouvrait les cristaux a amené l’équipe de restaurateurs à penser qu’elle avait été appliquée après la formation saline. La colle avait été appliquée en particulier dans la zone des lunettes. La composition de la colle, précisée par Colalucci, s’appuie sur les résultats d’analyses effectuées sur des coupes d’échantillons prélevés avant le nettoyage.

L’application de colle, il est vrai, n’a jamais été mentionnée dans les documents relatifs aux travaux effectués sur la voûte, que ce soit ceux qui ont été réalisés en 1625 ou par ceux de 1710-1713 conduits par Annibale Mazzuoli. Seuls les matériaux utilisés pour le nettoyage se trouvent notés dans des documents. On ne peut en déduire leur utilisation que de façon empirique. L’usage d’une application de colle, qui joue le rôle d’un vernis et sature notamment les couleurs sombres, altérées optiquement lors du nettoyage des efflorescences salines, est décrite dans le Manuale ragionato per la parte meccanica dell’arte del restauratore de Secco Suardo, 1866 (Manuel raisonné pour le travail de l’art du restaurateur). Selon Colalucci, cette technique est parfaitement discernable lorsque l’application de colle n’est pas uniforme : "Appliquée de façon généreuse et sommaire, on peut la voir clairement dans les ombres des chairs où la couleur perd de sa force tandis qu’elle est absente des zones claires où l’effet de saturation sur les couleurs aurait obscurci les pigments à base de calcium".

La présence de clous à têtes plates, utilisés lors de l’intervention faites par Carnevali en 1570, pour consolider des zones de plâtre délitées ainsi que l’analyse sous fluorescence d’ultraviolets des différentes couches organiques présentes, a permis aux restaurateurs de distinguer les différentes applications de colle successives. Par exemple, la présence d’une couche de colle sur une partie de la fresque où se trouvait un clou de bronze en forme de T, identifié comme étant planté par Mazzuoli en 1710-13, indiquait aux restaurateurs que la colle n’avait pas été appliquée avant 1710, et que les retouches a secco superposées ne pouvait être l’œuvre de Michel-Ange, mais celle du restaurateur. A partir de cette constatation, et de textes relatifs à la restauration, Colalucci explique que, traditionnellement, un restaurateur posera un vernis d’isolation avant d’effectuer ses retouches si celles-ci sont étendues. Dans la pratique de la fresque, l’application d’une préparation isolante de gesso (plâtre) sec s’inspire ainsi de la technique des peintres de chevalet. Cennini la mentionne, tout comme Vasari. Dans le chapitre XX de son traité De la pittura, Vasari conseille : "Ainsi sur les murs qui sont secs, on applique une ou deux couches de colle chaude puis on mélange des pigments à cette colle pour effectuer le travail". Quand Beck et Daley affirment "qu’il n’y a aucune preuve qui permette de supposer que cet unique nettoyage de 1710-13 a été terminé par une couche de vernis à la colle", ils ne prennent en compte ni les pratiques traditionnelles de restauration, ni la présence de colle sur les "clous" et l’existence de retouches sous-jacentes.

L’intervention effectuée par Mazzuoli n’a pas été un simple nettoyage, les documents font mention de factures pour l’achat de plâtre et de pigments. Il est probable que les retouches ont été effectuées sur la couche de colle utilisée pour saturer les couleurs de la fresque ce qui rendrait la réintégration plus aisée. Or la technique de restauration couramment pratiquée par Mazzuoli consistait à renforcer les ombres par des hachures, plus susceptibles de bénéficier optiquement d’un apport de colle.

Les clairs obscurs et les dépôts de suie
Beck et Daley : Comment expliquer que la suie déposée sur une fresque puisse donner l’impression d’un clair-obscur ? "Les affirmations du Dr Mancinelli selon lesquelles le clair-obscur de Michel-Ange serait dû à la présence de suie que les restaurateurs auraient vernie à une époque ultérieure, ne peut être que du domaine de la fantaisie. Comment un dépôt de suie en provenance de cierges ou de brasero pourrait souligner de lui-même le dessin d’un artiste ?" écrivent ces auteurs.

Helen Glanville : Comme nous l’avons vu ce n’est pas la suie, mais Mazzuoli qui a renforcé les ombres pour garder l’effet de volume, car la suie avait atténué la vigueur des lumi, les rehauts de lumière.

Le solvant a "usé" les fresques et a été mal utilisé
Beck et Daley : "Le solvant utilisé dans le nettoyage du plafond, l’AB 57,  était "un solvant expérimental" et peu testé. Ses premiers essais, en 1979,  semblent avoir eu pour résultat d’éliminer complètement le travail a secco sur les peintures murales de Van Der Broeck et Da Lece".

Helen Glanville : Ce solvant, mis au point par les restaurateurs Laura et Paolo Mora au début des années 1970, s’est montré à la fois efficace et sans danger sur les fresques, s’il est utilisé avec compétence, comme ce fut le cas de la Chambre des époux de Mantegna à Mantoue, et des fresques de Giotto et de Simone Martini à Assise.
Ce solvant n’était donc "ni nouveau ni utilisé sans essai", et son choix comme agent de nettoyage n’était nullement controversé. Les auteurs oublient deux choses essentielles : les notices de concentration doivent être suivies à la lettre et l’habilité de l’opérateur ainsi que la façon d’appliquer le produit sont aussi importantes que sa composition chimique. On a déjà démontré que même l’eau, dans certaines circonstances, peut être dangereuse.

Beck et Daley eux-mêmes le remarquent, lorsqu’ils écrivent en parlant des sels indissolubles trouvés sur les surfaces des marbres et des fresques : "Les restaurateurs ont à faire face à un dilemme. Ces croûtes minérales sont chimiquement identiques à l’objet d’art dont il faut l’en débarrasser. N’importe quelle substance qui attaque l’une attaquera l’autre". Visiblement, ils ne se rendent pas compte que cette situation est dans une large mesure celle de toute restauration. C’est pourquoi l’habileté technique dans la manipulation des produits est aussi importante : dans les fresques, les sels de carbonate et de sulfate sont enlevés d’une surface comportant elle-même du carbonate?; les vernis à l’huile oxydés sont retirés de peintures à l’huile elles-mêmes oxydées; il en va de même pour les vernis à la résine, retirés de peintures dont la composition comporte le même vernis. C’est pourquoi l’utilisation de savon à la résine, et de mélanges tel que l’AB 57 – dans lesquels les produits actifs sont introduits dans un gel qui restreint la pénétration en surface de l’œuvre – est essentielle. Quand on enlève une matière semblable à celle que l’on veut conserver, le contrôle des moyens utilisés est essentiel.

Beck et Daley soutiennent que l’AB 57 a attaqué la surface des fresques, et critiquent l’utilisation de l’EDTA (agent chélatant ajouté à l’AB 57). Les auteurs citent les propos d’une restauratrice qui a travaillé sur les fresques de la chapelle Sixtine, Mirella Simonetti : "L’AB 57 semble avoir affaibli et usé la matière picturale"et "l’effet visuel produit par l’AB 57 altère la pigmentation, or le rapport entre le carbonate de calcium (la chaux) et le pigment, permet d’éclaircir la surface picturale". Beck et Daley font référence à des études scientifiques relatives aux propriétés de l’AB 57 et de l’EDTA, ainsi qu’à des instructions de M. Mora, spécialiste du sujet. Leur interprétation s’avère erronée.?Ils qualifient d’"erreurs" ou de "fautes professionnelles" dans la pratique et l’utilisation de ces produits, sans prendre en compte la considération de critères essentiels, tels que les contraintes climatiques ou la rechercha d’effets esthétiques nouveaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Chapelle Sixtine : le Jugement dernier enfin restauré

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