Entretien avec Claude Rilly

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2010 - 572 mots

Directeur de la section française de la direction des Antiquités du Soudan.

La langue méroïtique n’a pas encore été déchiffrée. Est-ce un obstacle à la connaissance de cette civilisation ?
Il faut relativiser parce que, dans l’état actuel des textes méroïtiques que nous avons trouvés, nous ne nous attendons pas à une révolution de nos connaissances. C’est sans commune mesure par rapport à la masse de textes égyptiens que nous possédons. Deux mille textes méroïtiques sont publiés, et un millier restent à publier. Il en faudrait des dizaines de milliers pour vraiment nous renseigner.

Quelles origines ont ces textes ?
La moitié sont des textes funéraires, gravés sur la pierre, qui accompagnaient le défunt dans son inhumation. Ils suivent des schémas stéréotypés. Ce sont des textes assez bavards qui nous renseignent sur le défunt, mais aussi sur les différentes fonctions que  lui-même ou des membres de sa famille ont pu exercer. Ces textes sont bien compris alors que des textes plus importants, comme les chroniques royales, nous échappent. Nous commençons à déchiffrer des butins de campagne.

Comment peut-on améliorer la connaissance de cette langue ?
L’écriture méroïtique a été déchiffrée il y a exactement cent ans par l’égyptologue anglais Griffith. Mais le problème, c’est la langue elle-même. Nous sommes capables de lire, de restituer des sons qui forment des mots dont beaucoup nous échappent. Nous utilisons l’analyse philologique. Nous partons de l’élément connu, comme des emprunts à l’égyptien. Nous avons aussi une petite connaissance, par contexte, du vocabulaire fondamental.

En mettant tout cela bout à bout, nous obtenons un puzzle et nous essayons de compléter les différentes pièces manquantes. Le grand espoir réside dans la comparaison avec des langues de la même famille. J’ai montré en 2003 à quelle famille de langues africaines appartenait le méroïtique. C’est une petite famille à l’intérieur des langues nilo-sahariennes, que j’ai appelée le « soudanique oriental nord ».

Ces langues n’ont malheureusement jamais fait l’objet ni de grammaire ni de lexique. Un de mes travaux consiste à aller à la rencontre de peuples du Soudan et d’Érythrée, afin d’essayer d’apprendre leur langue de façon à aider la compréhension du méroïtique. Ensuite, il faut faire un travail de linguistique historique qui consiste à prendre des langues de la même famille et à reconstruire pour chaque mot la forme originelle, qui était assez proche du méroïtique. Cela marche bien mais c’est très lent.

L’évolution de l’écriture permet aussi de dater plus précisément certains bâtiments…
Un autre aspect de mon travail épigraphique concerne l’analyse de l’évolution de l’écriture. On savait dès le déchiffrement du méroïtique que les signes avaient évolué entre 200 avant J.-C. et 300-400 après J.-C. La paléographie permet une précision dans la datation des inscriptions que je définis à environ trente-cinq ans. Cela a permis par exemple de dater correctement le règne du roi Amanakhareqerem. Le temple d’Amon à el-Hassa était daté traditionnellement des années 190 après J.-C . Grâce à l’écriture, il a pu être replacé cent ans plus tôt. La paléographie est l’un des instruments puissants de datation des monuments, à partir du moment où ils sont recouverts de textes et de graffites.

Ces graffites sont-ils courants ?
Pour des monuments qui ont longtemps été utilisés et visités, on s’attend à ce qu’un certain nombre de visiteurs lettrés laissent leurs traces. Dans le cadre de pèlerinages, ce sont des actes pieux par excellence que de graver sa présence ou de demander à la divinité d’exaucer ses vœux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°322 du 2 avril 2010, avec le titre suivant : Entretien avec Claude Rilly

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