Musée

Entretien

L'actualité vue par Dominique Viéville, directeur du Musée Rodin, Paris

« Renouveler notre regard sur Rodin »

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2009 - 1913 mots

PARIS

Dominique Viéville, directeur du Musée Rodin, revient sur les différents projets de l’institution, à Paris et à l’étranger

Nommé à l’inspection générale des Musées de France en 1991, Dominique Viéville a pris les commandes du Musée Rodin, à Paris, il y a quatre ans. Parallèlement aux dépôts d’œuvres au Musée des beaux-arts de Calais et au Palacetes das Artes de Salvador de Bahia, au Brésil, l’institution développe de fructueux partenariats scientifiques avec les musées en régions, et multiplie des coproductions à l’étranger, tout en conviant l’art contemporain. Au moment où l’hôtel Biron s’apprête à subir son premier lifting depuis près d’un siècle, Dominique Viéville commente l’actualité.

Maureen Marozeau : Le Musée Rodin va être rénové…
Dominique Viéville : Les travaux de gros entretien sont devenus absolument nécessaires. Le bâtiment, qui totalise 11 000 m2, a accueilli l’an dernier environ 750 000 visiteurs. Il est dans un état d’usure tel que notre architecte des Monuments historiques passe son temps à mettre des pastilles sur le parquet. Il y a des problèmes de sécurité, d’accessibilité pour les visiteurs handicapés, de flux des visiteurs – jusqu’à 5 500 les premiers dimanches du mois. Il faut refaire la peinture, revoir les espaces d’accueil, les vestiaires (qui datent des années 1960), stabiliser les parquets, aménager des locaux adéquats pour le personnel de surveillance… Le budget devrait atteindre les 4 millions d’euros. Il serait ridicule d’entreprendre tous ces travaux sans réfléchir à la muséographie. Mais une révision complète sera faite dans le cadre de la rénovation future de l’ensemble de l’hôtel Biron en tant que monument, et de l’installation d’équipements pérennes. Ce n’est pas avec 4,1 millions que l’on va restaurer l’hôtel dans sa totalité. Cette révision-ci tentera donc de redonner un sens à la présentation des collections. La muséographie n’a pas été revue depuis l’après-guerre et s’est dissoute au fil des réaménagements successifs. En cinquante ans, on a beaucoup appris sur l’œuvre de Rodin. Notre premier souci est de réintégrer ces nouvelles connaissances dans un discours muséographique cohérent. Tout d’abord le public doit comprendre l’histoire de l’œuvre : comment Rodin est devenu sculpteur, ses premiers travaux, ses travaux décoratifs, ses premières commandes, les Bourgeois de Calais, la Porte de l’Enfer… Nous devons proposer une chronologie liée à l’histoire des formes, car le Rodin de 1875 n’est pas celui de 1900, ni de 1914. Il faudra ensuite caractériser tout le travail plastique de Rodin conçu en tant qu’œuvre à part entière : ses œuvres d’assemblage, ses œuvres de fragments, ses œuvres montées sur gaine. Une réflexion qui s’articule complètement à l’histoire des modernistes. Nous avons également pour vocation de montrer tout ce que Rodin a donné au musée : des dessins méconnus jusqu’à présent (il fallait les inventorier), 7 000 photographies, sa collection d’antiques. L’idée est de donner une vision cohérente de l’œuvre de Rodin et de ses collections personnelles. Nous possédons aussi des chefs-d’œuvre, Le Père Tanguy et Les Moissonneurs de Van Gogh, Belle-Île de Monet, Le Penseur de Munch, qu’il faut absolument valoriser. Le public doit savoir que Rodin a acquis plusieurs de ces toiles. Enfin, un certain nombre d’élèves, d’amis, des praticiens – Camille Claudel naturellement –, lui ont donné des œuvres.

L’accrochage conservera-t-il une certaine flexibilité ?
D.V. : Nous y sommes forcés. En 2009, le musée a concédé 857 prêts. Le Musée Rodin est un musée moyen, mais il détient la responsabilité de la diffusion de l’œuvre de Rodin. À travers nos coproductions et nos prêts, nous assurons notre première vocation. Il est donc essentiel que la nouvelle muséographie ne fige pas tout. Nous allons cependant devoir être plus exigeants, ce qui ne signifie pas prêter moins mais être plus rigoureux.

Comment ce projet s’est-il articulé ?
D.V. : Lorsque je suis arrivé fin 2005, j’ai été saisi de maintes demandes de travaux, à Paris comme à Meudon [Hauts-de-Seine]. Tous les besoins ont été recensés, et organisés selon trois directions : l’hôtel Biron ; le réajustement des équipements pour la chapelle [ouverte en 2005] ; et Meudon. Biron était autrefois réservé à l’œuvre consacré et Meudon à l’atelier. Mais dès l’instant où l’on décide de l’universalité de l’œuvre, la frontière s’efface. Ma conviction profonde pour Meudon est qu’il doit être avant tout un musée de proximité.

Où en sont les préparatifs ?
D.V. : Nous bouclons la programmation des travaux – un maître d’œuvre doit être recruté au début de l’année 2010. On s’interroge encore sur la manière d’évoquer l’histoire de l’hôtel, ses illustres résidents comme Rilke ou Matisse, la façon dont Rodin y vivait. Doit-on se contenter de panneaux d’information ou construire une period room ? La collection d’antiques peut-elle être parsemée ou doit-on lui consacrer une salle ? Cela fait partie des choses sur lesquelles nous devons encore trancher, en accord avec la conservation.

Le musée va-t-il fermer pendant la durée des travaux ?
D.V. : Non. Les travaux s’organiseront par petits chantiers, huit en tout, dont certains pourront être groupés. Nous ne pouvons fermer, pour le public et pour nos ressources, car on ne peut pas se passer du droit d’entrée. Les travaux devraient débuter à l’automne prochain et s’achever fin 2011, début 2012. Ils seront aux trois quarts financés par l’État [soit 3,2 millions d’euros, lire le JdA n° 297, 20 fév. 2009, p. 5].

L’art contemporain disposera-t-il d’un espace spécifique ?
D.V. : C’est notre souhait. A priori, il s’agirait de la salle où est actuellement présentée Gillian Wearing. Les visiteurs commencent à en prendre le chemin. Dès le mois de janvier, nous allons y présenter une sélection de vidéos liées au corps et à son expression. La présence de l’art contemporain au musée peut être extrêmement diversifiée. Tout est une question d’opportunité, comme avec l’installation lumineuse de Michel Verjux conçue pour la Nuit des musées en 2006, ou la vidéo The Messenger de Bill Viola présentée au fond du parc.

Quels sont vos critères de sélection ?
D.V. : Ils résident dans l’articulation à l’œuvre de Rodin, aux collections, mais aussi aux expositions temporaires. Cette programmation doit être comprise par le public, pouvoir le fidéliser ; elle doit être identifiée au musée et un propos doit s’en dégager. L’art contemporain au musée affirme deux choses : c’est à partir de notre présent que l’on regarde l’œuvre de Rodin ; le dialogue de l’art existe, indépendamment des générations et des civilisations. Cette programmation attire un public nouveau et jeune. Il faut être très attentif à ce renouvellement du regard. Ce musée peut continuer à vivre longtemps à condition de pouvoir répondre à ces nouvelles interrogations, en termes générationnels mais aussi culturels. Un Japonais ou un Brésilien ne posent pas les mêmes questions qu’un public européen ou que nous-mêmes en interne.

Comment le projet du Palacetes das Artes à Salvador de Bahia s’est-il développé ?
D.V. : Dès 1995, le Musée Rodin a organisé des expositions à Rio de Janeiro, São Paulo, Salvador, Recife…, recevant à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de visiteurs. D’où l’idée de créer un Musée Rodin au Brésil. Le choix de Salvador vient profiter à une ville du nord-est, située en dehors de l’axe économique et culturel entre Rio et São Paulo. Le secrétaire d’État à la Culture du gouvernement local de l’époque y étant favorable, une convention a été signée avec le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon. Cette convention prévoit, entre autres, le dépôt de 62 œuvres [des plâtres pour la plupart] et la mise aux normes d’un joli bâtiment de 1912, validée par le département de la muséographie de la direction des Musées de France. À charge pour ce musée de développer un projet scientifique et culturel à partir de la collection. L’équipe scientifique est dirigée par Heloísa Costa, professeur à l’université, qui a fait un très beau travail muséographique. Il ne s’agit pas d’une annexe du Musée Rodin mais d’un musée jouissant d’une autonomie complète de projets et d’activité, bénéficiaire du dépôt pendant trois ans. Ce type de projet nous permet de renouveler notre regard sur Rodin. L’art contemporain brésilien s’appuie fortement sur le travail du corps, et le musée va développer ses activités autour de ce grand thème.

Quelles seront les retombées financières ?
D.V. : Nous sommes dans le cadre d’une convention culturelle conclue en 2002 sans aucune compensation financière [le projet est financé par l’État de Bahia]. À ce moment-là, le gouvernement de Bahia était prêt à constituer une collection de bronzes de Rodin – ce qui n’est pas sans conséquences pour le musée, puisqu’il est éditeur de ces pièces. Mais seuls quatre bronzes ont été achetés, car ce gouvernement a changé de majorité, et l’actuel gouvernement a estimé qu’il n’était pas dans ses priorités de constituer une collection. Mais nous avons d’autres choses à gagner d’une telle collaboration, concernant les attentes du public brésilien. Le développement du public brésilien, russe, indonésien et sud-asiatique fait partie des stratégies vis-à-vis des publics pour les musées parisiens.

Quel sont vos partenariats en France ?
D.V. : À Calais, où l’on a fait un dépôt important autour des Bourgeois de Calais, la convention prévoit l’organiser de petites expositions-dossiers, ainsi, en 2012, « Rodin et la danse », dont le co-commissariat est assuré par un conservateur de Calais. Le dépôt n’est pas le seul objectif, nous nous inscrivons dans un projet culturel commun. Lorsque j’étais à l’inspection des musées, j’ai été frappé par les opérations telles « Les Beffrois de la culture » (2004), et les expositions hors les murs de Beaubourg, qui ont rencontré un énorme succès. Ces musées de régions n’auraient jamais pu organiser de telles expositions en dehors de ces collaborations. Je suis très attaché à donner accès à l’œuvre de Rodin à un public de régions. Ces expositions sont co-organisées et non pas coproduites comme dans le cas des fondations étrangères. En France, on répartit entre nous les frais de production. On s’inscrit dans cette communauté des musées de France, ayant des missions de service public, et développant une réelle solidarité. Nous avons par exemple un très beau projet sur Rodin et l’antique avec le Musée départemental - Arles Antique en 2013, dans le cadre de « Marseille, Capitale européenne de la culture ». Arles participera aux frais de production, et ce sera pour nous l’occasion d’apprendre sur les collections de Rodin, sur sa relation à l’antique. Le retour sera culturel.

Quelles sont vos autres collaborations à l’étranger ?
D.V. : Ces partenariats, des coproductions, nous apportent des revenus. La Fondation Mafpre [Espagne] ou l’agence brésilienne base 7 ont de vraies compétences, mettent en avant des objectifs culturels, ont une vraie déontologie. Je suis particulièrement fier d’un partenariat avec « la Caixa » intitulé « Rodin en la caje » (Rodin dans la rue), qui présente des œuvres monumentales de Rodin dans une dizaine de villes d’Espagne. Six Bourgeois et Le Penseur sont disposés dans un espace public, avec un dispositif de sécurité jour et nuit ; le succès est considérable. Rodin est rendu à l’espace public avec des œuvres faites pour l’espace public et l’on accède à l’œuvre sans faire le détour par un musée. Ce type d’opération peut très bien être reproduit en France.

Quelle exposition vous a-t-elle le plus marqué dernièrement ?
D.V. : « Les Chemins de l’art brut », organisée par le Musée de Villeneuve d’Ascq à l’Institut national d’histoire de l’art, à Paris [jusqu’au 15 décembre]. Avec l’art brut, on pense toujours en termes d’altérité, mais ici l’art brut est placé dans une continuité par rapport à l’art contemporain et l’art moderne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : L'actualité vue par Dominique Viéville, directeur du Musée Rodin, Paris

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