Un Feininger rendu aux Möller ?

Demande de restitution en Allemagne

Le Journal des Arts

Le 16 mai 1997 - 672 mots

Le Musée du château de Moritzburg à Halle, ville de l’ex-Allemagne de l’Est, va peut-être perdre l’une de ses œuvres majeures, La Cathédrale, peinte en 1931 par Lyonel Feininger. Cette toile, exécutée dans l’atelier du peintre du Bauhaus installé dans une des tours du château de Moritzburg, représente la cathédrale dans une lumière irréelle aux formes prismatiques. Le tableau fait aujourd’hui l’objet d’une demande en restitution.

HALLE. À l’époque où Feininger a peint La Cathédrale, la collection d’art contemporain allemand du Musée du château de Moritzburg était déjà sans équivalent. Renommé mais aussi très discuté dans les années 1910 et 1920, cet ensemble fut victime de la campagne nazie contre l’art "dégénéré" en 1937. Les tableaux furent alors dispersés, et seuls quelques-uns ont pu être récupérés après la guerre. Parmi ceux-ci, La  Cathédrale de Feininger, qui n’a retrouvé les cimaises du musée que quarante-cinq ans plus tard, mais sur la base d’un prêt plutôt que d’une réelle restitution.

Revente aux musées allemands
En 1937, les nazis avaient chargé quelques marchands d’art de Berlin de mettre sur le marché international les œuvres d’art "dégénéré" les plus importantes. Ferdinand Möller acquit ainsi à bas prix trois tableaux de la collection Moritzburg : la Cathé­drale de Feininger (environ 50 dollars), Le Salon de coiffure du peintre expressionniste Erich Heckel (environ 30 dollars), ainsi qu’une œuvre mineure de ce dernier. Cependant, Möller ne les revendit pas toutes. Il en garda certaines cachées dans sa résidence privée et, après la guerre, essaya de les revendre aux musées allemands. Le marchand signa alors un contrat avec le directeur du Musée du château de Moritzburg, Gerhard Händler, mais les tableaux ne lui furent jamais payés. Lorsque les autorités communistes de l’Alle­magne de l’Est vinrent au pouvoir peu de temps après, elles congédièrent le directeur du musée et prirent possession des œuvres. Möller se réfugia à Cologne. Le catalogue du Musée du château de Moritzburg, publié en 1985, indique simplement que les trois tableaux ont été acquis après la guerre. En 1994, un avocat représentant la fille de Möller se présenta pour demander la restitution des tableaux. Selon lui, la loi nazie de 1938 qui a permis la vente des œuvres d’art "dégénéré" n’ayant jamais été abolie par les Alliés – qui voulaient sans doute conserver dans leurs collections les œuvres acquises de la même façon –, la famille Möller avait autant de droits sur ces tableaux que n’importe quel musée étranger en possession d’art "dégénéré". L’année suivante, les héritiers Möller revendirent un Kirchner au musée pour un prix estimé à 2,5 millions de deutschemarks (8,4 millions de francs). La même année, un tableau comparable du peintre n’obtenait que 770 000 deutsche­marks (2,35 millions de francs) lors d’une vente aux enchères à Münich. Cette différence fut en partie compensée par la donation au musée du Salon de coiffure d’Heckel par les héritiers Möller.

Le risque d’une restitution
Quant au Feininger, il a été prêté pour trois ans au Musée du château de Moritzburg, qui essaie de réunir les fonds nécessaires à son acquisition. Dans une interview accordée au journal local, l’avocat des Möller est formel : "Il n’y aura pas de marchandage autour de ce tableau. C’est au musée de nous proposer un prix, que nous jugerons satisfaisant ou non." Cette toile risque donc d’être restituée à ses propriétaires et vendue au plus offrant. Les héritiers Möller ne semblent pas avoir d’état d’âme à ce sujet. Pourtant, il est clair qu’en 1937, le marchand berlinois a tiré profit de la campagne de propagande des nazis contre les artistes expressionnistes "dégénérés". Certains d’entre eux, qui étaient ses clients, ont alors rompu toutes relations avec lui. Après la guerre, les œuvres qu’il avait acquises à vil prix sur le marché de l’art, lui ont permis de faire fortune. Pourtant, un membre de la Fondation Möller – qui se consacre aux recherches sur l’Expression­nisme – rejette toute alternative et soutient même la position des héritiers. "Nous ne voulons pas que le tapage qui a entouré la vente du Kirchner recommence à nouveau", a-t-il simplement déclaré.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°38 du 16 mai 1997, avec le titre suivant : Un Feininger rendu aux Möller ?

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