Quand le passé rattrape le présent

Les travaux pour la station de métro de Yenikapi ont révélé l’un des plus importants sites archéologiques de Turquie, le port de Théodose dont les origines remontent au IVe siècle de notre ère

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2009 - 837 mots

Comme tout pays chargé d’histoire, la Turquie regorge de vestiges archéologiques qui ont pour « fâcheuse » tendance de réapparaître au gré des chantiers de construction. Tant et si bien que la suspension des travaux au profit d’investigations scientifiques est devenue une habitude pour les entrepreneurs en travaux publics et autres promoteurs immobiliers.

À Istanbul, au moment de lancer le colossal chantier d’une ligne ferroviaire reliant Halkali, sur la rive anatolienne, et Gebze, sur la rive orientale (soit 76,3?km, en comptant un tunnel de 13,6 km creusé sous le Bosphore), les responsables du Marmaray and Metro Projects devaient logiquement être préparés à une telle éventualité. Or, le site de Yenikapi, station centrale du réseau au bord de la mer de Marmara où convergeront le nouveau train, le métro et la ligne express pour l’aéroport Atatürk, n’a pas fini de livrer ses secrets. Réparti sur une surface de 58 000 mètres carrés, le chantier des fouilles s’est même révélé le plus important site d’archéologie navale jamais mis au jour. Dès novembre 2004, le Musée archéologique d’Istanbul s’est vu confier la responsabilité de ce chantier titanesque et forcément pluridisciplinaire. Outre les archéologues, les recherches bénéficient, entre autres, de l’expertise de zoologues, de géologues et d’anthropologues. Première découverte de taille : le port de Théodose, situé sous le niveau actuel de la mer et installé sur l’embouchure de l’antique rivière de Lykos. Victime d’une importante sédimentation fluviale, le port fondé au IVe siècle a été enseveli au cours du XIe siècle, laissant pour témoignage les épaves d’une trentaine de bateaux en bois – navires de commerce avec leurs cargaisons, voiliers ou encore trières (galères de combat), datés entre le VIe et le XIe siècle et mesurant entre 10 et 30 mètres. Le plus surprenant a été ensuite de déceler des vestiges préhistoriques sous le site même du port de Théodose. D’après la multitude de fossiles et de coquillages retrouvés dans les strates inférieures, la mer de Marmara aurait envahi le site en 5 000 av. J.-C. (avant de se retirer autour de 1 300-1 400 av. J.-C.) engloutissant au passage un village néolithique, sa ferme et son cimetière ainsi qu’un morceau de forêt. Parmi les tombes datées de 6 500 av. J.-C. et les céramiques renfermant des restes d’os issus de crémation, un cercueil en bois renfermant un squelette constitue une révélation aux yeux des historiens de cette période.
 
Trophée
Les strates supérieures du site de Yenikapi attestent, pour leur part, d’une exploitation agricole du terrain devenu extrêmement fertile à partir du XIe siècle, et recèlent un dernier trophée : une chapelle byzantine construite entre les XIIe et XIIIe siècles. Sur les 15 000 objets excavés, la trentaine d’épaves (34 à ce jour) de bateaux a été confiée au département de Restauration et de conservation de l’université d’Istanbul. Depuis mars 2006, les équipes universitaires constituées d’archéologues et de conservateurs s’attèlent à la documentation in situ des bateaux, à grand renfort de tentes à hygrométrie contrôlée. Ces morceaux de bois imbibés d’eau sont d’une grande fragilité, comme en témoignent les restes d’une jetée datant de la même époque qui, elle, n’a pas été conservée. Au contact de l’air et du soleil, le bois s’est asséché jusqu’à prendre un aspect calciné. Viennent ensuite le démantèlement et le transport des bateaux pour une suite d’opérations en laboratoire. Le passage dans un bassin de désalinisation sert de préparation à une longue procédure de conservation. Les équipes universitaires stambouliotes spécialisées en conservation et en reconstruction navale procèdent alors à l’injection progressive d’une résine synthétique, le polyéthylène glycol, dans les bassins de trempage (le procédé prend de deux à cinq ans selon la taille de l’épave). Vient ensuite la phase de séchage (lyophilisation), puis la reconstitution en vue d’une exposition muséale. Tandis que les laboratoires universitaires de botanique se penchent sur les échantillons pour déterminer les essences de bois utilisées, les laboratoires spécialisés de l’université d’Oxford se chargent de la datation des épaves en analysant leur teneur en radiocarbone.

Un nouveau musée
Aussi riche soit le Musée d’archéologie d’Istanbul, une telle découverte mérite que lui soit consacré un musée à part entière. Si les premières discussions penchaient pour la construction d’un édifice sur le site même de Yenikapi, les anciens docks sur la Corne d’Or semblent aujourd’hui le plus à même d’accueillir le plus important musée d’archéologie navale au monde – un concours d’architecture sera organisé dès que l’emplacement du futur musée sera arrêté. À Yenikapi, un parc archéologique viendra parachever la nouvelle station ferroviaire en partie souterraine, et la petite chapelle byzantine y sera reconstituée. D’ici là, les dernières découvertes de Yenikapi seront dévoilées en détail lors du 12e Symposium international d’archéologie navale (ISBSA, International Symposium on Boat and Ship Archeology) qui se tiendra cette année au Pera Museum à Istanbul (12-16 octobre). Les non-scientifiques pourront à leur échelle découvrir les résultats des fouilles des différents sites de construction du Marmaray and Metro Projects (Yenikapi, Sirkeci et Üsküdar) à travers une exposition didactique au splendide Musée d’archéologie d’Istanbul, situé à deux pas du Palais de Topkapi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Quand le passé rattrape le présent

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