ENTRETIEN

Mario Resca, Directeur général pour la valorisation, ministère des Biens culturels, Italie

« Replacer l’Italie au sommet du secteur touristique »

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2009 - 1738 mots

Le 12 juin, le Conseil des ministres italien a approuvé la réforme du ministère des Biens et Activités culturels, qui voit la création d’une « Direction générale pour la valorisation ».

ROME - À la tête de cette nouvelle structure de gestion et de développement des musées et sites culturels, le controversé Mario Resca, ancien dirigeant de McDonald’s Italie, et encore récemment directeur du Casinò di Campione (lire le JdA n° 293, 12 décembre 2008, p. 3 ). Quelques minutes après sa nomination, Mario Resca nous a accordé son premier entretien dans le cadre de ses nouvelles fonctions.

Votre nomination a été largement contestée…
À vrai dire, le parcours a été assez long et ardu. Au début, je me suis trouvé face à une situation difficile au ministère [des Biens et Activités culturels], mais grâce à l’appui du ministre [Sandro] Bondi et, par la suite, de personnes haut placées, la situation s’est plutôt améliorée. J’ai acquis mes premières connaissances directes de la sphère publique en tant que commissaire extraordinaire de la société [agroalimentaire] Cirio, à la demande d’Antonio Marzano, alors ministre du Développement économique. Sur le plan privé, j’ai fondé une association d’entrepreneurs (Confimprese), qui, par sa nature, combat l’immobilisme et les effets pervers de la bureaucratie. Savez-vous que notre pays produit trois fois plus de lois que les autres pays européens ? Tout est réglementé dans un tel excès de cérébralité que l’on ne peut pas ne pas penser que le but ultime de cette surproduction de lois est de maintenir le statu quo, d’éviter de prendre des décisions et enfin d’affronter des risques. La bureaucratie n’est pas la cause de l’immobilisme, mais l’effet de lois excessives et parfois contradictoires.

Qu’est-ce qui vous a poussé à tenir bon et à aller de l’avant ?
Les personnes que j’ai rencontrées dans les musées, à travers le pays. J’ai commencé à visiter nombre de nos musées et sites archéologiques, sans prévenir. Je suis allé sur le terrain, j’ai mené ma propre enquête. Et j’ai trouvé une grande attention et une forte demande de changement ; cela, en fin de compte, m’a donné de l’espoir et m’a poussé à rester. Il y a également une part importante des quelque 7 000 signataires de la pétition mise en place au moment de ma nomination (des personnes qui ne me connaissaient pas) qui s’est ravisée. Et ces derniers mois, j’ai établi des relations significatives, notamment avec Giulia Maria Crespi, la présidente du FAI [Fondo per l’ambiente italiano, un fonds pour le patrimoine italien]. Le ministre Bondi, il faut le reconnaître, a eu le courage d’influer sur la culture de ce ministère et de ses bureaux périphériques, les surintendances, en attirant l’attention sur la valorisation [du patrimoine], en la séparant de la tutelle. Il a ainsi fait un pas décisif dans une direction nouvelle, loin des lieux communs, choisissant de surcroît une personne totalement étrangère au monde de la culture il y a encore quelques mois. Enfin, à l’heure où Sandro Bondi était annoncé sur le départ, les directions du ministère (chef de cabinet, bureau législatif, secrétaire général) ont accueilli à bras ouverts l’idée d’une réforme, affichant ainsi leur valeur et les intentions des personnes choisies pour la mettre en œuvre.

Par où pensez-vous commencer ?
Paradoxalement, je ne suis pas si préoccupé que cela par la valorisation, car la marge d’amélioration est importante et l’on peut obtenir des résultats dans des temps relativement courts. Grâce à un peu de communication ciblée, la Semaine de la culture programmée au printemps dernier a vu sa fréquentation augmenter de 71 % par rapport à 2008 (on y a ajouté un week-end, mais l’augmentation aurait été tout aussi forte). J’estime, en revanche, très sérieuse la situation sur le front des tutelles. Sachant que je retiens ces deux activités comme les deux faces d’une même médaille (bonne tutelle et valorisation), l’état dans lequel se trouve notre patrimoine est préoccupant. Si l’on en croit les experts (en dernier lieu le président du Conseil supérieur des biens culturels, Andrea Carandini), ce n’est pas depuis aujourd’hui ou hier mais depuis vingt ans que les choses vont en s’empirant. Il restera bien peu à valoriser si l’on continue à ce rythme et si l’on n’intervient pas de manière énergique sur les organismes, les technologies, les catalogages, les procédures administratives. Dans beaucoup de nos grands musées, il n’existe ni catalogue à jour ni inventaire des collections. Aujourd’hui, je pose la question au-delà de tout clivage idéologique droite-gauche : mais où étaient nos prêtres de la culture, les vestales, ces vingt dernières années ? Pourquoi n’ont-ils pas dénoncé les malversations, l’état d’abandon, l’inaction des tutelles et le manque chronique de fonds ?

C’est le problème central…
Il est certain que la classe dirigeante n’a pas réussi ces dernières décennies à obtenir que les Biens culturels soient dotés de fonds en adéquation avec notre immense patrimoine. C’est un problème de conscience, de priorité et de capacité à convaincre – de lobbying, dans le bon sens du terme – les institutions concernées.

Quelle est la priorité : la tutelle ou la valorisation ?
Le choix du ministère de miser sur la valorisation va à l’encontre de cette culture mal comprise de la « tutelle passive », qui a produit ces résultats. La situation de la Pinacothèque et de l’Académie des beaux-arts de Brera [à Milan] n’est un secret pour personne. Mais je pourrais citer les échafaudages de l’une des icônes du patrimoine universel, le Colisée, et le souk de vendeurs ambulants qui l’entourent ; Pompéi et le « brigandage » sur le dos des touristes étrangers…, et les babioles, également devant les Offices [à Florence], produites sans payer une lire de licence. Leur production et leur vente abusive au sein des monuments en décrépitude sont tolérées, car il n’y a pas de fonds pour entretenir ceux-ci. Mais en est-on conscient ?

La tâche est énorme, représentant des années et des années de travail. Comment allez-vous vous y prendre ?
En commençant avec mon équipe, le groupe de travail qui chapeautera la nouvelle Direction générale et que je vais motiver avec les objectifs concrets d’une stratégie de relance. J’aurai besoin de m’appuyer, entre autres, sur trois grands experts avec lesquels je travaillerai : un spécialiste en l’archéologie, un autre en art contemporain et un troisième en art classique et moderne. J’ai déjà quelques noms en tête avec lesquels un premier contact a été pris. C’est avec eux que je travaillerai à la relance des musées, des sites archéologiques et des archives, en essayant d’inverser les tendances qui nous sont défavorables. En Italie, la fréquentation des musées ne cesse de baisser : – 3,8 % en 2008, et encore pire pour la première moitié de l’année 2009, sur fond de croissance du tourisme culturel partout dans le monde. Et ce parce que nous ne nous sommes jamais préoccupés de satisfaire et de fidéliser le client, qu’il soit italien ou étranger. Nous pensions disposer d’une rente, sur laquelle nous nous sommes appuyés trop longtemps, perdant ainsi chaque année des parts de marché dans l’unique secteur dont l’Italie peut prétendre occuper la première place au niveau mondial. Telle est, en deux mots, la mission que nous avons définie de pair avec le ministre Bondi : replacer ce pays – qui ne sera certainement plus jamais compétitif au niveau global dans le secteur industriel, à quelques exceptions près – au sommet du secteur touristique, en se frottant aux meilleurs.

Quelles seraient les causes de cet inexorable déclin ?
En fait, nous avons négligé l’article 9 de la Constitution. Nous n’avons pas investi ; les fonds destinés à ce secteur (entre 0,22 % et 0,28 % du PIB) sont insuffisants, ils représentent moins d’un tiers des dépenses de nos « rivaux » directs européens. Mais nous avons aussi été incapables de vulgariser notre patrimoine, de susciter l’intérêt pour aller à sa découverte, et beaucoup d’étrangers sont déjà partis ailleurs. Le monde est désormais ouvert et nous ne sommes qu’une parmi les nombreuses destinations possibles. Il est nécessaire de travailler dans toutes les directions pour inverser cette tendance, même si parfois il suffit de très peu pour obtenir des résultats immédiats. Voici une anecdote récente : je reviens des États-Unis, où j’ai accompagné le Triptyque de Beffi, une œuvre peu connue du Musée [national des Abruzzes, installé dans la ville] de L’Aquila, qui est exposée à la National Gallery de Washington pour recueillir des fonds en faveur des monuments détruits par le tremblement de terre [à L’Aquila, le 6 avril 2009]. La pièce a été installée dans la rotonde, à l’endroit même où La Joconde avait trôné en 1962, et le succès public ne s’est pas fait attendre. J’ai ensuite rencontré le directeur du Metropolitan [Museum of Art] à New York, où le triptyque se rendra après Washington. À l’étranger, l’intérêt pour notre culture est fort heureusement très important, il existe une attente très forte. C’est également pour cela que les œuvres doivent voyager : elles sont nos meilleures ambassadrices. Les personnes seront ensuite plus intéressées et mieux disposées à venir dans notre pays.

Quelles sont les premières actions concrètes que vous allez mener ?
Le premier objectif, en collaboration avec le ministère des Finances, est de créer une loi fiscale qui favorise le mécénat, lequel chez nous n’est non seulement pas encouragé mais carrément puni. Puis il s’agira de donner l’autonomie de gestion à nos musées, en les rendant autant que possible maîtres de leur destin. On ne peut pas avoir un corps dirigeant aussi peu dynamique, un système aussi peu fondé sur la méritocratie, produisant parfois des situations d’immobilisme total. À ce propos, j’ai l’intention d’innover fortement dans le secteur des prétendus « services ajoutés », en réformant radicalement la loi Ronchey (1993). Il faut que le public et le privé collaborent avec une satisfaction réciproque. Enfin, toujours avec l’appui du ministère des Finances, j’ai l’intention de revoir la TVA sur le commerce des œuvres d’art, laquelle, fixée à 20 %, pénalise fortement notre marché et favorise ainsi les autres marchés européens. De manière plus générale, mais c’est une question plus vaste, nous avons trop de musées : il est nécessaire de rationaliser, d’intégrer, de créer des parcours de visites. Il est insensé que, dans bien des cas, le nombre de gardiens dépasse celui des visiteurs ! Mais là, avec une bonne campagne de communication bien ciblée, je suis convaincu qu’il est possible de faire rapidement en sorte que les Italiens et les étrangers reviennent visiter nos musées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Mario Resca, Directeur général pour la valorisation, ministère des Biens culturels, Italie

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