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Juliette Laffon, directrice du Musée Bourdelle à Paris

« L’art contemporain s’est avéré une expérience positive »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2009 - 1261 mots

PARIS

Après avoir travaillé comme conservateur au Petit Palais puis au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Juliette Laffon a pris les commandes du Musée Bourdelle, à Paris, en février 2003. Elle revient sur l’ouverture du musée à l’art contemporain et commente l’actualité.

Vous avez pris la tête du Musée Bourdelle il y a six ans. Quel bilan faites-vous de votre action menée au musée, notamment l’ouverture à l’art contemporain lancée en juin 2004 ?
Inauguré en 1949, aménagé dans les anciens ateliers où Antoine Bourdelle (1861-1929) a vécu et travaillé toute sa vie, ce musée de la Ville de Paris a été dirigé jusqu’en 2002 par la famille de l’artiste, notamment sa fille Rhodia, décédée à l’âge de 91 ans. Premier conservateur nommé à la tête du musée, j’ai initié en 2004 une programmation d’art contemporain. Il m’a semblé que la meilleure façon de réanimer ce musée, finalement assez peu connu du public, et de faire apprécier à sa juste place l’œuvre de Bourdelle, était de faire appel aux artistes, d’abord Luciano Fabro puis Claude Rutault, Didier Vermeiren, Felice Varini, Laurent Pariente, Sarkis, Alain Séchas, Gloria Friedmann, bientôt Ange Leccia… L’intrusion de l’art contemporain s’est avérée une expérience très positive qui a mis à mal l’image d’une œuvre jugée académique. Sans avoir été avant-gardiste, Bourdelle s’est trouvé dans la posture d’un homme perpétuellement en recherche, tiraillé entre l’avènement d’une ère nouvelle et l’abandon d’une tradition à laquelle il reste attaché. Le projet contemporain s’accompagnait, évidemment, d’un travail parallèle sur l’œuvre de Bourdelle avec des expositions programmées à l’étranger (à Bucarest, au Japon et en Corée), au sein du musée à partir de nos collections. Nous présentons à l’automne une exposition consacrée à la muse de Bourdelle, la danseuse Isadora Duncan, ainsi que la publication de notre fonds d’archives (cinq titres ont été publiés). La programmation en art contemporain a eu une incidence sur la fréquentation, en hausse chaque année, et a permis de diversifier le public.

Comment le public a-t-il réagi face à cette « intrusion » de l’art contemporain ?
Le public habituel de ce musée a souvent été heurté, certaines propositions ayant été mieux acceptées que d’autres. Mais cela a été très stimulant. Ayant longtemps travaillé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, j’avais un peu oublié la résistance d’un certain public à l’égard de l’art contemporain. J’ai espéré et fait le pari que certains, à la faveur de leur visite au musée découvriraient l’art d’aujourd’hui et que cette rencontre serait positive. Le jeune public – je pense à des lycéens récemment venus –, lui, est plus réceptif. Le public familier de l’art contemporain a été intéressé par les propositions des artistes et s’est réjoui qu’un nouveau lieu puisse accueillir la création vivante. Ils ne sont pas si nombreux à Paris. Néanmoins, il faudra plusieurs années pour le fidéliser.

La programmation d’art contemporain s’est-elle accompagnée d’une politique d’acquisition ?
Dans un premier temps, j’ai écarté l’idée d’acquérir les œuvres réalisées à cette occasion, le plus souvent inédites. Une carte blanche a été donnée à chacun dans une grande liberté de conception du projet et dans la limite du budget alloué. Je n’ai pas non plus souhaité passer de commandes. L’exposition d’Alain Séchas a changé la donne. Il a voulu s’introduire au musée non sous la forme du chat qu’on lui connaît mais sous la forme de la figure du Centaure mourant de Bourdelle. Il a réalisé à partir des moules de cette œuvre une sculpture animée. À l’issue de l’exposition, après que Centaure mourant 2.0 a été soumis à l’épreuve de notre regard quatre mois durant, il m’a semblé que cette œuvre s’imposait dans nos collections. À ce jour, elle est la seule à avoir rejoint nos collections. Mais je compte dans les prochains mois proposer des œuvres de Claude Rutault et Gloria Friedman. Ces pièces pourraient accompagner nos expositions à l’étranger afin de relier l’œuvre de Bourdelle au présent. C’est aussi renouer avec cet artiste qui a enseigné durant vingt ans à l’Académie de la Grande Chaumière.

Le musée est tout de même pénalisé par l’absence d’espace d’exposition temporaire. Où en sont les projets de rénovation du musée ?
Une étude de développement a été conduite en 2007 afin que le musée puisse être doté d’un espace d’exposition autonome, du circuit des collections, d’une cafétéria, d’une librairie et qu’il bénéficie du redéploiement des collections. La rénovation du pavillon et du jardin sur rue devrait être engagée cette année. Ce musée pourrait devenir le musée parisien dédié à la sculpture des XXe et XXIe siècles dont Bourdelle constituerait l’épine dorsale, avec son centre de documentation et de recherche, qui accueillerait des manifestations d’envergure.

La Ville de Paris a été l’une des premières à mettre en œuvre la gratuité d’accès aux collections permanentes des musées. Quel regard portez-vous sur cette mesure ?
Notre situation est particulière car, par absence de salle d’exposition et en raison de l’inscription des œuvres contemporaines dans le parcours des collections, la gratuité ne peut pas s’appliquer durant nos manifestations, mais elle s’accompagne d’une gratuité ciblée. De manière générale, les études ont prouvé que la gratuité se répercute sur la fréquentation, mais que le public n’en était pas élargi pour autant. Pour ma part, je serai favorable à un droit d’entrée très modeste, parallèlement à une gratuité largement ciblée ou ponctuelle. Une réflexion sur les horaires d’ouverture devrait être abordée. Fermer le musée à 17h45 à Paris n’est pas incitatif.

Comment vous situez-vous dans le paysage muséal parisien, par rapport aux autres musées de la Ville de Paris, mais aussi par rapport aux nombreuses autres institutions de la capitale ?
Ce musée, par ses bâtiments hétérogènes édifiés à des époques différentes, par le charme de ses jardins à l’écart du bruit de la ville, conserve une identité forte dans le paysage parisien. Identité qui serait confortée s’il devenait un musée de référence pour la sculpture. Par ses dimensions, il permet aux visiteurs de s’approprier aisément le musée sans risque de fatigue. Il offre des conditions favorables à la réflexion et à l’expérience sensible que devrait offrir toute visite.

À l’heure où les musées sont incités à développer leurs ressources propres, vous disposez, comme le Musée Rodin, du droit d’éditer une partie de l’œuvre de Bourdelle, comment le gérez-vous ?
En 2002, à sa mort, Rhodia Dufet-Bourdelle a légué à la Ville de Paris les bronzes qui lui appartenaient, ses archives et le droit de tirage (limité à dix exemplaires). Nous possédons à ce jour un grand nombre d’originaux en bronze fondus par la veuve et la fille Bourdelle depuis les années 1960 et qui sont susceptibles d’être mis en vente. Depuis 2004, nous avons réuni plus d’un million d’euros qui reviennent au musée, selon le vœu de Rhodia Dufet-Bourdelle. Ces ventes pourront d’autant mieux se développer à l’avenir que seraient instaurées des procédures nous permettant d’être plus réactifs au marché.

Vous travaillez en réseau avec d’autres musées ?
Avec les Musées Zadkine, Rodin, Maillol et la Fondation Giacometti, nous sommes confrontés à des problématiques similaires de fonte, d’authentification, de contrefaçons et de ventes. Par ailleurs, nous nous sommes rapprochés de la Fondation Henry Moore, autre institution monographique dont le travail pour la mise en valeur de l’œuvre du sculpteur est exemplaire. Ces échanges sont également très instructifs quant à la manière de conserver une institution monographique vivante.

Quelles expositions ont récemment retenu votre attention ?
L’exposition « Rodin et Freud » du Musée Rodin par les œuvres inouïes du sculpteur, une révélation pour beaucoup certainement. J’ai aussi trouvé Mantegna au Louvre remarquable.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Juliette Laffon, directrice du Musée Bourdelle à Paris

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