La mondialisation via l’Internet séduit et inquiète

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 5 mars 1999 - 631 mots

L’annonce par Sotheby’s du développement sur l’Internet d’un réseau de ventes aux enchères alimenté par des marchands et galeristes sélectionnés inquiète les professionnels français. Le Syndicat national des antiquaires a réagi en diffusant un « avis de danger » à ses adhérents. L’opération témoigne en tout cas du retard pris par le marché de l’art français dans le « e-business ».

PARIS - Décidément, Sotheby’s focalise les inquiétudes des professionnels français. Jusqu’à présent, les commissaires-priseurs semblaient seuls en cause, confrontés à l’offensive anglo-américaine contre leur monopole, aggravée ces dernières semaines par la coopération avec l’étude Poulain-Le Fur que certains ont vécu comme l’intrusion d’une cinquième colonne.

Le Syndicat national des antiquaires (SNA) s’inquiète à son tour des initiatives de la multinationale. L’enjeu est différent, et sans doute beaucoup plus important que la question de la réforme des ventes publiques françaises. Dans ce sens, le communiqué du SNA pose une question de fond : la vente sur le Net “risque de déstabiliser [la] profession, voire de la faire disparaître... en incitant à long terme les particuliers à vendre directement sur Internet et par les salles de ventes publiques”.

On comprend que l’association des facilités que procurent l’Internet – accès à l’image, coûts de communication très faibles, outils d’information et de recherche surpuissants... – et des techniques commerciales des grandes sociétés d’enchères pourrait rapidement accélérer la mainmise des auctioneers sur le marché. Avant même l’Internet, les ventes publiques anglaises ou françaises avaient démontré leur capacité à utiliser la communication pour empiéter sur le territoire des négociants, en créant des circuits directs de collecte et de vente avec les particuliers. Si les marchands avaient pu cependant résister, c’est à la faveur d’un cloisonnement des marchés (tout le monde n’a pas les moyens ou l’envie d’aller traiter à Londres ou New York), entretenu par la confidentialité de l’information et la dispersion du savoir. Cette situation était justifiée par le fait que vendeurs et acquéreurs n’acceptaient pas de traiter à distance, sans voir ou toucher l’objet, et sans bénéficier de la garantie des professionnels. Personne ne sait encore vraiment si ces affirmations étaient ou non fondées, ce qui justifie l’inquiétude des marchands. En effet, si ces arguments n’étaient que l’alibi d’une opacité entretenue, on pourrait imaginer une rapide dissolution du marché dans ses formes actuelles. Si, au contraire, ils reposent sur des comportements avérés, l’inquiétude face à l’Internet ne se justifie pas autant.

Sotheby’s doit se poser les mêmes questions, si l’on constate que le site de ventes aux enchères sur le web ebay.com, qui revendique 1 500 000 objets en vente dans plus de 1 000 catégories et 180 millions d’enchères depuis sa création, est poussé par l’énorme engouement financier actuel pour les “sites portails” et a déjà une capitalisation boursière supérieure à celle de Sotheby’s. Car l’Internet pourrait bouleverser les activités de vente aux enchères plus encore que celles de négoce. La manière dont Sotheby’s présente son offre démontre d’ailleurs un souci de sélection visant sans doute à prouver au public que les nouvelles technologies ne se substitueront pas aux garanties que les maisons de vente et les marchands leur apportent. L’insistance mise sur la sélection des apporteurs et des œuvres, le contrôle des accès au réseau... vont dans ce sens.

Dès lors, si le SNA est fondé à s’inquiéter de l’évolution, on peut craindre que sa “parade” ne soit pas à la mesure de l’enjeu. En évoquant de possibles problèmes juridiques et fiscaux, le Syndicat inquiète ses ressortissants sans proposer de solution. Il est vrai que le monopole des commissaires-priseurs interdit aujourd’hui aux marchands de construire une offre alternative : le site des ventes aux enchères françaises. Et à peine 1 % des professionnels français utilisent l’Internet. Mais cette tentative de mondialisation pourrait aussi contribuer à tirer le marché de ses embarras franco-français.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : La mondialisation via l’Internet séduit et inquiète

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