Nomination

Jean-Jacques Aillagon

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2008 - 1512 mots

Le président de l’établissement public de Versailles, Jean-Jacques Aillagon, a occupé tous les postes-clés de la culture en France. Itinéraire d’un ambitieux.

Ses admirateurs égrènent les « Ah ! Jean-Jacques ! » longs comme le bras, louant qui son érudition, qui sa bosse du travail. Ses détracteurs évoquent, eux, « un personnage flamboyant mais entropique », prédateur, voire lâcheur. « C’est Julien Sorel, un ambitieux à Paris », glisse l’un d’eux. « Il est donjuanesque, plaisante un familier. Il a des trahisons de libertin, de séducteur. Mais il reste attentif aux loyautés profondes. » Le verbe aussi soigné que la mise, Jean-Jacques Aillagon est un homme verni. Il n’est qu’à voir sa brillante carrière construite en allers-retours. Administrateur en 1982 du Centre Pompidou, il en prend la présidence en 1996. Adjoint au directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris en 1985, il en devient directeur huit ans plus tard. « Il laisse des pointillés qu’il reprend plus tard, souligne Martin Bethenod, commissaire de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC). On a l’impression qu’il a beaucoup bougé, mais il a de profondes fidélités à des projets et des lieux. Il habite les maisons qu’il dirige au sens fort du terme. »
La « fatalité sociologique » de Jean-Jacques Aillagon ne le prédestinait pourtant pas à cette via regia. Modeste professeur d’histoire en Corrèze, il intègre « par hasard » le ministère de la Culture en 1976, avant d’être pris sous l’aile de Jean Musy, d’abord à l’École nationale supérieure des beaux-arts, puis à la Ville de Paris. Aillagon lui-même servira de mentor à une fournée de jeunes hommes aujourd’hui établis à des postes-clés. D’une indéniable capacité d’entraînement, il reste un professeur à l’ancienne. « Il n’est pas dans l’interactivité mais dans le cours magistral », remarque un proche. S’il délègue, cet homme exigeant contrôle aussi de près la copie. « C’est un bon professeur car c’est quelqu’un qui corrige, qui corrige de toute manière, même si on fait quelque chose qui nous semble parfait », souligne Emmanuel Bérard, responsable des éditions et du marketing au Palazzo Grassi à Venise. En formant ses protégés, ne s’est-il pas finalement créé une cour ? « Il aime une cour active. Il n’a pas peur de s’entourer de contestataires, il ne craint pas le talent », objecte Dominique Païni, ancien directeur du Département du développement culturel au Centre Pompidou.

Méfiance des conservateurs
À la Ville de Paris, Aillagon prend ses marques en organisant des grands événements, alors novateurs, comme le défilé sur la Seine pour le cinquantenaire de la libération de Paris. Ce goût de l’événementiel, ancêtre des Nuits blanches et Techno Parades, il l’assume pleinement. « On ne peut pas réduire toute initiative au sérieux et au profond. Il y a aussi la légèreté et le clin d’œil », défend-il. La Mission interministérielle pour la célébration de l’an 2000, dont il eut la charge, manqua toutefois de légèreté avec les dépassements budgétaires causés par l’exposition « La Beauté » présentée à Avignon et le procès aux prud’hommes intenté par son commissaire, Jean de Loisy.
Militant actif en faveur de l’élection de Jacques Chirac en 1995, Jean-Jacques Aillagon espérait décrocher la Rue de Valois. Il est nommé finalement à la présidence du Centre Pompidou. Pour certains observateurs, il mettra une certaine hargne à pousser vers la sortie son prédécesseur, François Barré, à un an de la fin de son mandat. L’ancien ministre Jacques Toubon offre une autre interprétation : « Le ministère a voulu anticiper la fusion des deux directions qui allaient former la DAPA [direction de l’Architecture et du Patrimoine], pour lequel François Barré était pressenti. Il y avait une question de timing. Aillagon est arrivé au moment où Barré avait travaillé sur l’hypothèse de garder le Centre à un tiers ouvert, alors que Jean-Jacques voulait fermer totalement pour faire les travaux dans un laps de temps plus court afin de rouvrir en l’an 2000. »
À son arrivée à Beaubourg, Aillagon doit gérer le traumatisme d’une fermeture et assurer la visibilité de l’établissement pendant les travaux. Pour cela, il ouvre largement l’institution au volet international et régional avec le lancement du projet d’une antenne à Metz. Jouant pleinement son rôle d’arbitre, il réduit l’hégémonie du musée en permettant au Département du développement culturel d’organiser lui aussi des expositions. Une façon de diviser pour mieux régner ? « Je ne suis pas obsédé du règne, on ne règne jamais bien sur un corps faible, riposte l’intéressé. Il ne s’agissait pas d’une question de pouvoir, mais d’équilibre. C’est plus tonique lorsque plusieurs points de vue s’expriment dans un comité de programmation. » Si sa longue présidence a donné un véritable souffle à l’établissement, il s’attire sur le moment la méfiance des conservateurs. Deux d’entre eux claquent la porte pendant qu’une vingtaine d’autres se regroupent dans l’association La pointe à l’œil. La réouverture s’accompagne aussi de grèves. « Dans ses discussions avec les syndicats, il n’échappait pas à ses responsabilités, savait déminer par le dialogue », insiste toutefois Guillaume Cerutti, son bras droit de l’époque, aujourd’hui président de Sotheby’s France.

Image cabossée
Sa nomination Rue de Valois en 2002 sert de caution morale à un gouvernement peu intéressé par la culture. En deux ans, il accélère l’autonomie des grands musées, fait adopter l’utile loi sur le mécénat, mais ne dit mot lorsque son collègue Luc Ferry, ministre de l’Éducation nationale, supprime les classes à projet artistique et culturel (PAC). À l’état de grâce, marqué par l’ovation en mai 2003 au Festival de Cannes, succède une rapide descente aux enfers. En 2004, lors de la cérémonie des Césars, la communauté artistique lui taillera des croupières. Car entre-temps, le ministre se sera pris les pieds dans la réforme du statut des intermittents entraînant à l’été 2003 l’annulation du Festival d’Avignon. « Il n’était pas à l’écoute du milieu culturel, déplore un directeur de festival. Or on ne fréquente pas les artistes seulement lors des cocktails des premières. Il aime la relation orale immédiate, la conversation de salons, ce qui fait son charme, mais ce qui était insuffisant pour le dossier des intermittents. » Pourtant réputé pour son doigté dans les discussions avec les syndicats à Beaubourg, Aillagon se crispe et se cabre. Erreur politique ou mauvaise communication ? « Je n’ai pas voulu tromper les gens en leur racontant des histoires », défend-il. Pour Guillaume Cerutti, alors son directeur de cabinet, « notre tort a été de la naïveté républicaine. On pensait être soutenu par le gouvernement, que la réforme était inévitable et qu’il fallait tenir bon. La résonance médiatique a été au-delà de l’ampleur du problème. On était dans le syndrome de l’immédiateté ».
Aillagon fait les frais du remaniement ministériel, alors qu’il ne fut finalement qu’un élève obéissant. Est-il encore le chiraquien zélé qu’il a été ? « Il faut faire la part des choses entre la gratitude personnelle à l’égard d’un homme et une adhésion totale à son offre politique », botte-t-il en touche, avant d’ajouter : « Jacques Chirac répugne au conflit et à ce qui peut conduire à l’indisposition de l’opinion publique. » S’il quitte le ministère avec une image cabossée, son rôle dans le renoncement de François Pinault à l’île Seguin et son rachat consécutif du Palazzo Grassi fait également grincer les dents. Durant sa direction du Palazzo, qu’il rejoint après un passage éclair par la Présidence de TV5 Monde, il mène de front la préparation de l’exposition « Rome et les Barbares », décroche haut la main la pointe de la Douane, à Venise, et facilite l’exposition « Passage du temps », organisée au Tri postal de Lille.
Venise est une belle ville, mais peu accorte. Le costume est aussi trop petit. Aillagon trouve un terrain de jeu plus vaste à Versailles, où il est nommé en juin 2007, annonce qui parasitera la signature de la concession de la pointe de la Douane par François Pinault. Son sens de l’apparat, son côté prince flamboyant sied sans doute à cet établissement public « complet et complexe ». Le domaine est aussi, dit-il encore, une « machine à mettre en scène le pouvoir », lieu de résidence du président de la République, passage obligé des délégations étrangères. Bref, le lieu régalien par excellence. « Je n’y suis pas le roi, éventuellement le gouverneur, précise-t-il. Ma première mission, c’est de lui donner les meilleures conditions de valorisation. » Soit en améliorer l’accueil des visiteurs mais aussi l’ouvrir davantage à l’art contemporain en invitant d’entrée de jeu Jeff Koons. Une fleur faite à François Pinault ? « Versailles est une icône universelle et Koons a aussi produit des icônes », réplique-t-il. Mais plus que la mode, c’est l’Histoire qui reste sa colonne vertébrale. « Quand j’examine une situation contemporaine, je pense à l’Histoire. L’ignorance de la dimension historique peut conduire à tous les contresens », confie-t-il en espérant traiter un jour dans une exposition des relations entre la Chrétienté et l’Islam.

1946 : Naissance à Metz
1982 : Administrateur du Musée national d’art moderne, Paris.
1985 : Adjoint au directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris.
1988 : Directeur de l’association de préfiguration de l’École des beaux-arts de la Ville de Paris.
1993 : Directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris.
1996 : Président du Centre Pompidou.
2002 : Ministre de la Culture.
2005 : Président-directeur général de TV5 Monde et de Canal France International.
2007 : Président du domaine national du château de Versailles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon

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