La Bible de Ruskin

L’art de la critique pour la réouverture de la Tate Britain

Le Journal des Arts

Le 17 mars 2000 - 601 mots

Par leurs activités de mécène, de conservateur ou de critique, certaines personnalités, parfois artistes à leurs heures, ont joué un rôle majeur dans l’art de leur temps. Ce fut le cas de Vivant Denon auquel le Louvre vient de consacrer une exposition, mais aussi celui de John Ruskin (1819-1900). Prenant prétexte du centenaire de sa mort, la Tate Britain, tout juste rouverte, a rassemblé près de 250 œuvres pour illustrer l’influence du critique d’art dans la reconnaissance de l’art moderne en Grande-Bretagne, soulignant les apparentes contradictions entre la défense de Turner et le soutien aux Préraphaélites. Elle rappelle également le talent de ce dessinateur fasciné par les « pierres de Venise » et l’art gothique.

LONDRES (de notre correspondante) - En 1877, rendant compte d’une exposition à la Grosvenor Gallery, John Ruskin s’en prend violemment à James McNeill Whistler et à son Nocturne en noir et or : “J’ai déjà vu, et entendu, beaucoup d’impudence cockney ; mais je ne m’attendais pas à entendre un type demander à deux cents pintades de jeter un pot de peinture au visage du public”. Le peintre blessé intentera un procès en diffamation ; le juge lui donnera raison. En ces temps où les critiques sournoises se cachaient volontiers derrière un courageux anonymat, la véhémence de Ruskin pour attaquer ou défendre les artistes devait asseoir sa réputation. Au contraire de ce que cette anecdote tardive pourrait suggérer, Ruskin avait mis sa plume au service de la peinture moderne, celle de Turner, mais aussi celle des Préraphaélites, un paradoxe qui ne manque pas de surprendre si l’on s’en tient à la pure forme. Ces peintres apparemment opposés étaient liés dans l’esprit du critique par leur fidélité à la vérité. Croyant que la vérité de Dieu se manifestait dans la nature, il pensait que les peintres de paysages avaient le devoir de restituer cette vérité, par le biais des pouvoirs d’imagination de Turner comme de l’attention minutieuse aux détails de Millais. Dès le premier volume de Modern Painters, écrit à l’âge de vingt-quatre ans, Ruskin fait l’éloge de Turner, en qui il voit “le père de l’art moderne”.

L’exposition inaugurale de la Tate Britain s’efforce de rendre compte de la richesse d’une personnalité hors normes, de la diversité de ses passions en même temps que de ses contradictions. Elle retrace l’évolution du goût de Ruskin et de sa production artistique. Des œuvres de peintres qu’il soutenait avec enthousiasme, comme Turner, Millais, Hunt, Rossetti et Burne-Jones, et d’autres qu’il critiquait avec virulence, tels Whistler et Madox Brown, sont présentées à côté des siennes.

Ruskin s’est passionné pour l’architecture médiévale, un goût exprimé dans ses dessins : véritable exposition dans l’exposition, ces études de paysage, d’éléments d’architecture, d’œuvres d’art ou de sujets botaniques constituent le pendant graphique aux pages de ses livres, La Bible d’Amiens, Les Pierres de Venise ou encore Les Sept lampes de  l’architecture. “L’unité de l’art chrétien au Moyen Âge, des bords de la Somme aux rives de l’Arno, nul ne l’a sentie comme lui”, écrivait Marcel Proust dans un article de la Gazette des beaux-arts consacré à Ruskin. On ne saurait minimiser l’influence de ce dernier, qui a éveillé Proust à la beauté de l’architecture et de la sculpture gothiques – La Recherche en porte les marques –, mais aussi l’engagement de Proust dans la défense du patrimoine, avec le fameux article du Figaro, La mort des cathédrales. William Morris et le mouvement Arts & Crafts ont également trouvé chez l’écrivain de The nature of Gothic une source d’inspiration féconde, tandis que le sort de Venise commençait d’intéresser le monde grâce à son défenseur acharné.

Ruskin, Turner et les Préraphaélites

jusqu’au 28 mai, Tate Britain, Millbank, Londres, tél. 44 207 887 8000, http://www.tate.org.uk, tlj 10h-17h50. Catalogue, 228 p., 260 ill., 29,99 £. ISBN 1 85 437 303 X.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°101 du 17 mars 2000, avec le titre suivant : La Bible de Ruskin

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