L’honneur d’un marchand

Le Journal des Arts

Le 17 mars 2000 - 496 mots

Si beaucoup d’artistes ont été persécutés par le régime nazi, d’autres ont bénéficié dans l’ombre du soutien de passionnés. Ainsi, une série de documents, dont certains inédits, viennent rappeler combien le marchand munichois Günther Franke a aidé Max Beckmann durant les sombres années de l’histoire allemande.

MUNICH (de notre correspondante) - Le 19 septembre 1937, le lendemain du jour où “Tante Emma” (le surnom ironique que l’artiste donnait à Hitler) dénonçait “l’art dégénéré” à la Haus der Kunst de Munich, Beckmann et sa femme quittaient Berlin pour Amsterdam. Ils ne devaient jamais revenir en Allemagne. L’artiste banni n’a pourtant pas cessé de bénéficier, sous le IIIe Reich, du soutien du marchand munichois Franke, comme le révèle un important ensemble de documents : trois cents lettres et télégrammes récemment achetés aux Amis de la Société des Archives Beckmann par la Staatsgalerie Moderner Kunst de Munich et dont une partie, celle qui date de 1926 à 1936, est inédite. Cette correspondance dévoile comment Franke a réussi à faire passer en contrebande, d’Amsterdam en Allemagne nazie, des peintures de Beckmann, à lui faire parvenir ses paiements et même à lui organiser une exposition secrète. Une sélection de ces documents, ainsi que les trente œuvres données par la Fondation Franke au musée, sont exposées à la Staatsgalerie Moderner Kunst de Munich jusqu’au 2 avril.

Passant outre l’interdiction qui frappait les artistes expressionnistes et de la Nouvelle Objectivité, le marchand a réussi à sauver les tableaux de Beckmann qu’il admirait. Il a négocié avec le docteur Hetsch, fonctionnaire du ministère nazi de la Propagande, l’échange de toiles “interdites” contre des œuvres de peintres romantiques “plus acceptables”. Franke vendait ces tableaux interdits dans une salle cachée à l’arrière de sa galerie de la Briennerstraße. Pour camoufler ses activités, il présentait en vitrine des œuvres “sûres”. Le fils de Beckmann, Peter, officier de la Luftwaffe, acheminait les toiles depuis la Hollande jusqu’à Berlin à bord de véhicules militaires. Seuls des amis sûrs étaient invités dans la résidence d’été de Franke sur le lac Starnberger, au sud de Munich, pour y voir et acheter toiles et gravures. En dehors d’une courte période en 1940, lorsque Franke fut mobilisé puis réformé, il n’a jamais rompu le contact avec Beckmann. Début janvier 1941, il lui a rendu visite en train à Amsterdam, avant de rentrer avec trois toiles “roulées dans le filet à bagages”. Il a lui ensuite envoyé de l’argent pour ces œuvres et quelques autres, dont un versement de 1 000 Reichsmarks. En février 1944, Franke a même célébré le soixantième anniversaire du peintre par une exposition privée dans sa demeure d’été. L’ironie veut qu’il ait été arrêté, la guerre terminée, par les autorités militaires américaines tandis qu’il transportait en camion un ensemble de peintures vers un nouvel espace d’exposition. Mais sa ténacité a finalement été récompensée. Au cours de l’été 1946, il a organisé la première grande exposition de Beckmann en Allemagne : 45 000 visiteurs ont afflué dans sa petite galerie munichoise.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°101 du 17 mars 2000, avec le titre suivant : L’honneur d’un marchand

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