Dapper rouvre et s’ouvre

La Fondation devient un centre culturel

Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2000 - 910 mots

Après une interruption de ses activités publiques pendant deux ans, le Musée Dapper inaugure son nouvel espace avec l’exposition « Arts d’Afrique ». Au-delà de l’art primitif, la Fondation entend devenir un centre culturel des diasporas d’Afrique.

Confiée à l’architecte Alain Moatti, à qui l’on doit la scénographie d’une salle de spectacle dans le cadre de l’extension de la Cité internationale de Lyon (architecte, Renzo Piano) et la réhabilitation, en cours, du bâtiment nommé “La Baleine” pour le Museum national d’histoire naturelle à Paris, la restructuration de la fondation privée permet un redéploiement des espaces d’exposition et la création d’une salle de spectacle de cent quatre-vingt-dix places, d’une librairie et d’un café. Cet aménagement, dont le coût s’élève à 70 millions de francs, a été initié par l’achat d’un bâtiment mitoyen à l’hôtel particulier de l’avenue Victor-Hugo.

Si pour l’heure les deux bâtiments ne sont pas réunis – le projet étant soumis aux autorisations des architectes-voyers de la ville –, le nouvel espace permet au Musée Dapper de passer de six cents mètres carrés à deux mille mètres carrés et offre une entrée directe par la rue Paul-Valéry. Ainsi, le visiteur, qui autrefois devait dénicher le musée au fond de la cour intérieure d’un immeuble bourgeois, emprunte dorénavant directement une passerelle, qui domine café et librairie, pour pénétrer dans une salle dévolue à la photographie et aux arts plastiques. Cet espace, qui abrite cet automne les clichés africains de Françoise Huguier, permet de rejoindre les deux grandes salles consacrées aux expositions temporaires (sur l’artiste cubain Wilfredo Lam en janvier 2001 et les parures de têtes, des temps égyptiens aux coiffures contemporaines au printemps 2002).

Ouverture au monde contemporain
Le programme marque ainsi, selon sa directrice, Christiane Falgayrettes, une nouvelle orientation. Au-delà des arts primitifs qui ont fait la réputation du musée avec les expositions sur la statuaire Fang, en 1991 (60 000 visiteurs) et sur les arts Dogon, en 1994 (100 000 visiteurs), le musée souhaite s’ouvrir aussi bien aux arts plastiques ou à la danse qu’aux cultures noires, caraïbéennes ou américaines pour devenir un véritable centre culturel des diasporas de l’Afrique. Cette ouverture au monde contemporain veut être en lien avec la collection d’art primitif de la Fondation Dapper.

Collection au centre d’une polémique feutrée. Ainsi, le budget d’acquisition – non révélé – et qui est issu, comme celui du fonctionnement de la Fondation, des dividendes d’actions des sociétés de manganèse appartenant au fondateur du musée, Michel Leveau, vient troubler l’éclat d’un mécénat reconnu. Ayant longtemps tergiversé à communiquer le nombre de pièces acquises auprès des collectionneurs et des marchands – alors qu’elle avoue, à présent, posséder quelque 2 000 pièces en cours de recension –, la Fondation se voit reprocher par certains conservateurs et archéologues d’avoir acheté, en 1994, des terres cuites du Mali, provenant de la collection belge De Grunne sans en ignorer la provenance illicite. De taille réduite, ces statuettes archéologiques représentent majoritairement des figures humaines, agenouillées ou assises, les bras croisés sur la poitrine ou les mains posées sur les cuisses. Réalisées dans une terre d’argile fine, elles peuvent aussi figurer des cavaliers. Inscrites sur la liste rouge des biens pillés du sous-sol africain, établie en 1997 par l’Icom, Conseil international des musées (lire également en p. 5), ces statuettes Djenné, au même titre que les statues Nok provenant des régions de Katsina et de Sokoto, au Nigeria, ou les terres cuites Komaland, aux formes de visages humains, trouvées au nord du Ghana, ont été l’objet de démarches appuyées de la Fondation Dapper vers la communauté scientifique.

Après avoir essuyé un net refus des chercheurs européens, les responsables de la Fondation se sont tournés, en vain, vers des chercheurs africains. “Nous ne savons rien de ces objets de la vallée du Niger, déplore Jean Pollet, chargé jusqu’en 1993, de la section Afrique au Musée des arts africains et océaniens à Paris (MAAO), et actuellement professeur d’archéologie et d’histoire des arts de l’Afrique subsaharienne. Pillées et exportées par un réseau solide à partir de 1970 sur le marché de l’art, ces terres cuites sont inutiles à la recherche puisqu’elles sont isolées de la stratigraphie des lieux d’où elles ont été prélevées. Sur la centaine de sculptures connues, près de 80 à 90 % ont été collectées à la suite de déprédations sur les sites de fouilles. Sont-ils des objets funéraires ou sont-ils liés à des cultes familiaux ? Nommées génériquement ‘terres cuites Djenné’, ces objets proviennent-ils du site de Djenné ou de celui de Bamkoni, près de Bamako ? Le trafic impose le silence sur leur provenance, leur datation et sur la qualité des styles régionaux.”

Si Christiane Falgayrettes argue qu’à l’époque de leur acquisition pour la collection de Baudoin De Grunne à la fin des années soixante-dix, “il n’y avait pas toutes ces interdictions” et que “tout musée a des objets pillés”, l’évocation de ces terres cuites dans l’exposition inaugurale “Arts d’Afrique” oblige l’historienne Marianne Cornevin à de bien subtiles précautions : citant dans le catalogue les sources du collectionneur De Grunne, l’auteur conclut son texte en dénonçant “le désastre archéologique actuel” produit par les pillages. Paradoxe – troublant – de la statue Nok du Louvre, aux statuettes Djenné du Musée Dapper, une moralisation des mœurs marchandes des arts primitifs...

Arts d’Afrique

Jusqu’au 30 juin 2001, Musée Dapper : 35 rue Paul-Valéry, 75016 Paris, tél. 01 45 00 01 50, ouvert tlj, 11h-19h. Catalogue : Arts d’Afrique, coéd. Musée Dapper-Gallimard, 360 p., 300 F, ISBN : 2-07-011614-X.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Dapper rouvre et s’ouvre

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