Tintin au pays des enchères

Le marché de la bande dessinée est en plein développement

Le Journal des Arts

Le 13 avril 2001 - 878 mots

Depuis une dizaine d’années, le marché de nos héros à phylactères – de Tintin à Spirou et son marsupilami, d’Astérix à Blueberry – a rejoint la cour des grands. Albums, planches originales et objets dérivés suscitent les convoitises des collectionneurs nostalgiques. Des grands classiques aux valeurs sûres en devenir, le marché de la bande dessinée est vivant et en constante évolution.

PARIS - Depuis la première vente consacrée à la bande dessinée (BD) en 1989, Hergé domine le marché avec les aventures de Tintin, le reporter le plus connu de la planète. Nourri de nombreux albums puis de multiples rééditions et objets dérivés, le mythe de Tintin s’est développé, faisant de lui un héros commun à toutes les générations. Pour Éric Leroy, expert en bande dessinée chez Tajan : “Hergé et Tintin sont entrés dans l’histoire, alors qu’Uderzo et Astérix, par exemple, sont encore en train d’écrire la leur.” L’album mythique des Aventures de Tintin reporter du Petit Vingtième au Pays des Soviets dans l’édition originale de 1930, a bondi de 30 000 francs en 1998 chez Tajan pour atteindre le prix record de 141 000 francs un an plus tard. Au-delà de l’omniprésence d’Hergé, l’engouement pour la BD se généralise à de nombreux auteurs : Uderzo, Franquin, Jacobs ou encore Pratt, Morris et Moebius. Crédibilisé et renforcé par l’organisation de grandes ventes (une vingtaine par an) et par une actualité vivante – le nouvel album d’Uderzo Astérix et Latraviata, l’exposition Mille sabords, Tintin au  Musée de la marine – le marché attire de plus en plus de collectionneurs. Ceux-ci recherchent, s’agissant des originaux, la conjonction de quatre éléments : rareté, beauté, auteur et provenance. Réunissant tous ces critères, la planche 12 signée de Franquin du Nid des marsupilamis (1960) a été adjugée 980 000 francs  lors de la vente Tajan du 24 mars, un record mondial jusque-là détenu par une planche du Sceptre d’Ottokar (1938) d’Hergé (625 000 francs en 1999). Voilà qui annonce un avenir radieux pour Franquin, dont la planche 14 de Gaston Lagaffe tirée de La Saga des gaffes (1998) a atteint 140 000 francs le même jour. Le marché des originaux réserve aussi de bonnes surprises : la planche 42 de l’album Le Rige dans la série “La Quête de l’Oiseau du Temps” de Loisel (1985) a été vendue 21 000 francs, et la planche 21 de Blake et Mortimer issue de La Machination de Voronov (2000) signée de Juillard a été acquise pour 22 000 francs chez Tajan. Achetée comme un tableau, la planche doit comporter le héros, une ou plusieurs fois ; il lui faut raconter un gag ou une scène intéressante et surtout ne pas comprendre trop de texte. Pourtant, alors qu’elle ne contient pas le héros, la planche 2 de Gil Jourdan de l’épisode La Voiture immergée dessinée par Tilleux (1960) a atteint 45 000 francs. “Il faut se garder d’enflammer le marché”, insiste Éric Leroy, car il est encore accessible au plus grand nombre, comme le montrent notamment les prix des albums de Blake et Mortimer de Jacobs qui s’échelonnent de 1 000 à 4 000 francs : Le Secret de l’Espadon T. 1, dédicacé par Jacobs, est parti pour 2 700 francs chez Tajan l’an passé. Les volumes en couleur de Tintin se négocient entre 1 000 et 30 000 francs. Les albums d’Astérix sont encore abordables, dans des fourchettes de prix comprises entre 2 000 et 6 000 francs comme l’édition originale d’Astérix chez les Goths de 1963, qui se négocie autour de 3 000 francs.

Planches originales, volumes neufs ou à l’aspect patiné, les grands classiques, Hergé, Uderzo, Morris, Franquin sont des valeurs sûres. Pour Éric Leroy, Uderzo, dont les planches sont encore très rares, sera le poids lourd de demain sur le marché des originaux au côté d’Hergé. Et Giraud avec Blueberry, Moebius, Pratt avec Corto Maltese, Loisel et Juillard s’annoncent d’ores et déjà comme des valeurs montantes. Univers de la nostalgie mais aussi de la passion, la bande dessinée est un art vivant qui rassemble petits et grands dans les mêmes aventures. Les BD aujourd’hui populaires comme XIII de Vance, dont les nombreuses planches disponibles se vendent actuellement entre 6 000 et 15 000 francs, prendront certainement de la valeur. Déplorant l’absence de grands livres de référence sur Tintin et le monde de la BD en général, Éric Leroy estime que cette dernière a gagné sa place dans les musées, et le fier petit Gaulois d’Uderzo disposera sans doute à terme d’une fondation ou d’un musée en France. Marché à part, celui des objets dérivés touche un large public. Là encore, Hergé prédomine. La limitation du nombre des figurines en plomb Pixi, mise en place par la Fondation Moulinsart, suscite de plus en plus le phénomène du “collector”. Et les éditions numérotées des objets sont souvent épuisées avant leur commercialisation. Vendus à l’origine quelques centaines de francs, les personnages Leblon-Delienne ou Pixi, de nos BD favorites, sont cotés entre 1 000 et 10 000 francs. Ainsi la miniature de Tintin et Milou dans le requin, d’après Le Trésor de Rakham le Rouge, a été adjugée 6 000 francs chez Tajan (2001). Si l’on ajoute les sérigraphies, les affiches, les papiers peints, les plaques émaillées... le monde de la BD se décline à l’infini.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Tintin au pays des enchères

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