Art contemporain

Retour sur l’Arte Povera

Le mouvement italien analysé sur les bords de la Tamise

Par Ossian Ward · Le Journal des Arts

Le 25 mai 2001 - 682 mots

Intitulée « Du zéro à l’infini : Arte Povera 1962-72 », l’exposition conçue conjointement par la Tate Modern de Londres et le Walker Art Center de Minneapolis envisage le mouvement italien dans ses premières années à travers près de cent cinquante œuvres. Réalisée sans le concours du critique Germano Celant, à l’origine du terme d’Arte Povera, la manifestation fournit également l’occasion d’un regard historique indépendant.

LONDRES (de notre correspondant) - Inspiré par le metteur en scène de théâtre polonais Jerzy Grotowski, promoteur d’un style dramatique épuré et provocant, Germano Celant publia en 1967, dans le magazine Flash Art, un article au titre prophétique et engagé : “Arte Povera : notes for a guerilla war”. Désignant alors un groupe d’artistes italiens venus de Turin, Rome, Milan, Bologne et Gênes, le terme est resté pour nommer un des mouvements capitaux de l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle. Pourtant, c’est sans l’aide du père fondateur (pour la petite histoire, l’autorisation lui a toutefois été demandée par échange de courrier), désormais commissaire indépendant pour le Guggenheim Museum de New York et la Fondation Prada de Milan, mais aidé de Francesco Bonami, autre critique italien, que Frances Morris de la Tate Modern et Richard Flood du Walker Art Center ont décidé de s’attaquer à l’Arte Povera. “Du zéro à l’infini” tente d’en proposer une nouvelle interprétation. Intégrant des événements organisés par Michelangelo Pistoletto à Turin et par Pino Pascali à Rome en 1962-1963, l’exposition date le début du mouvement quatre ans avant que Celant ne situe les premières manifestations du groupe. L’entreprise réunit près de 150 œuvres, dont plusieurs sont issues de collections privées et n’ont pas été vues depuis les années 1960.

Toutefois, les membres fondateurs que sont Giovanni Anselmo, Alighiero e Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Piero Gilardi, Jannis Kounellis, Mario et Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Emilio Prini et Gilberto Zorio sont tous présentés. Pour la plupart, ils ont d’ailleurs participé aux premiers événements collectifs marquants de l’Arte Povera, qu’il s’agisse de l’exposition paradigmatique d’Harald Szeemann, “Quand les attitudes deviennent formes”, qui s’est tenue à la Kunsthalle de Berne en 1969, ou à celle organisée par Celant en 1970 à Turin et intitulée “Art conceptuel, Arte Povera et Land Art”. Enfin, au-delà des interrogations sur l’année de naissance du mouvement, tous les artistes conservent incontestablement des procédés communs, comme l’utilisation de matériaux humbles (le marbre utilisé pour Les Pieds de Fabro est celui que l’on retrouve sur tous les trottoirs de Milan) et souvent laissés bruts. Un vocabulaire plastique où se déploient des blocs de glace, des planches de bois, des morceaux de plomb, des feuilles de salade ou des napperons en papier.

Période de flottement
L’exposition, cependant, ne se limite pas à la dénomination des matériaux pour enfin trouver la signification d’un terme qui ne peut que refuser la traduction simplificatrice d’“art pauvre”. Ainsi, les artistes partageaient, tous, les mêmes motivations politiques, ancrées dans le paysage militant de l’Italie des années 1960. Cette période de flottement et de transition s’est accompagnée de manifestations étudiantes et de troubles sociaux que les artistes ne pouvaient ignorer, d’autant que la deuxième galerie de Gian Enzo Sperone, représentant plusieurs d’entre eux, était voisine du siège turinois du Parti communiste. Toutefois, les interprétations politiques viennent souvent bien après l’événement lui-même. Il est aujourd’hui facile d’appliquer une lecture antifasciste à L’Italie dorée de Fabro, découpe d’une carte de l’Italie pendue à l’envers comme Mussolini, ou de voir dans la fausse mitrailleuse de Pino Pascali un appel aux armes. Ce dernier ne pensait-il pas que la Biennale de Venise de 1968 boycottée par ses confrères devait continuer. “Les artistes ont toujours été victimes de la politique”, déclarait-il alors.

- ZERO TO INFINITY : ARTE POVERA 1962-72, du 31 mai au 19 août, Tate Modern, Bankside, Londres, tél. 44 20 7887 8700, tlj 10h-18h, www.tate.org.uk ; Walker Art Center, Minneapolis, du 13 octobre au 13 janvier 2002 ; Museum of Contemporary Art, Los Angeles, du 10 au 11 août 2002 ; Hirshhorn Museum, Washington, du 17 oct. au 12 janvier 2003.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Retour sur l’Arte Povera

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