Architecture

Jean Prouvé, l’homme du faire

Deux expositions honorent ce "contructeurs"

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 974 mots

Jean Prouvé (1901-1984) est-il l’objet d’un culte ? Les nombreux signes d’affection soudaine déclinés crescendo depuis trois ans le laisseraient penser : réinstallation, à l’automne 1999, du pavillon du Centenaire de l’aluminium, à Villepinte (Seine-Saint-Denis) ; remontage cette même année, d’une maison pour les sinistrés lorrains, dans le jardin de l’Institut français d’architecture, à Paris. 2001, année du centenaire de sa naissance, sonne l’apothéose avec deux vastes rétrospectives, l’une à Paris, l’autre à Nancy, consacrées à cet architecte dont on reconnaît, enfin, le caractère authentiquement novateur.

L’an passé, à Venise, lors de la VIIe Biennale d’architecture, un petit pavillon de 6 x 6 m de métal et de bois planté au bord de la lagune recevait l’hommage appuyé rendu à son auteur, “un homme qui a, tout au long de sa vie, contribué à donner corps à une extrême modernité”, selon Massimiliano Fuksas, directeur de la section architecture de la Biennale. Il est vrai que le thème de la manifestation lui allait comme un gant : “Moins d’esthétique, plus d’éthique.” D’abord parce que Jean Prouvé, puisqu’il s’agit de lui, a toujours refusé l’esthétisme comme facteur de beauté (“Pour moi, l’architecture vient de l’intérieur, l’extérieur n’est qu’un aboutissement, qu’une découverte”). Ensuite, parce qu’il a toujours été d’une sincère probité. À preuve lorsque, en 1953, il flaire que son principal actionnaire – l’Aluminium français – veut lui imposer une autre manière de travailler, il n’hésite pas à démissionner de son poste de P-DG de ses propres ateliers, perdant d’un coup brevets, matériel et collaborateurs. Mais pas la foi. Car Jean Prouvé est un personnage inclassable. Ni artiste, ni créateur, ni ingénieur, ni architecte, ou peut-être tous à la fois, il préfère, de loin, le terme de “constructeur”. “J’ai horreur de dessiner sans construire”, répétait-il. C’est là toute sa singularité. Prouvé a de qui tenir : Victor, son père, est, avec Émile Gallé, l’un des animateurs de l’École de Nancy, laquelle prône une collaboration étroite entre artistes, artisans et industriels. “Il faut une harmonie de pensée entre l’exécutant et le concepteur, que ce soit pour une chaise ou un immeuble de 300 mètres de haut”, estime Prouvé. D’où sa profonde conviction en ces allers-retours immédiats entre l’esquisse et la fabrication. “C’est par l’atelier que les bonnes idées arrivent”, par l’expérimentation même du matériau que Prouvé aboutit à l’idée constructive. Dès l’ouverture, en 1923, de son premier atelier de ferronnerie, à Nancy, il n’aura de cesse de tirer des matières les plus nouvelles tous les avantages de leurs propriétés techniques. L’aluminium et la tôle pliée deviennent ses matériaux fétiches.

Jean Prouvé milite alors en faveur d’une architecture simple et lisible : “Une architecture qui révèle sa constitution révèle en même temps ses buts, et cela sans camouflage et surtout sans artifices.” Dès 1938, il invente une architecture “nomade”, parce que démontable (logements pour bases aériennes, maison de vacances, refuge pour skieur...), sur des principes qu’il reprendra juste après-guerre pour édifier des abris pour les sinistrés lorrains, ou, en 1956, un logement d’urgence destiné à l’association de l’abbé Pierre, “La Maison des jours meilleurs”, aussitôt saluée par le maître Le Corbusier comme “la plus étincelante chose construite”. Son œuvre majeure reste néanmoins sa propre maison à Nancy (1954), d’ailleurs classée, depuis 1990, Monument historique.

Côté mobilier, même credo : “Un meuble ne se compose pas sur une planche à dessin.” Dès le premier croquis, Prouvé demande un prototype et aussitôt le corrige. Le tube d’acier des chaises du Bauhaus l’agace, il sublime la tôle pliée. De 1926 à 1953, il dessine quantité de meubles, dont certains avec Charlotte Perriand. Nombre deviendront de véritables icônes : le fauteuil Cité (1933), la chaise démontable (1947), la table Compas (1950), la chaise Antony (1954)...

Fabuleux dessinateur, à en voir les dessins qui inondent, de 1957 à 1970, ses cours du Conservatoire national des arts et métiers à Paris, Prouvé est aussi un touche-à-tout de génie qui esquisse les projets presque comme il respire : feux de croisement, éclairages publics, cabines téléphoniques, tramway, métro (la station Franklin-Roosevelt, à Paris, c’est lui), voiture et même avion. Avant de devenir un expert constamment sollicité (façades du CNIT et de la tour Nobel à La Défense, bâtiment V de l’Unesco et siège du PCF à Paris...) et de présider, en 1971, le jury qui désignera Renzo Piano et Richards Rogers pour l’édification du Centre Georges-Pompidou.

Que ce soit un meuble, un élément de salle de bains, une maison individuelle ou un abri saharien démontable, Prouvé n’en démord pas : il faut toujours éprouver l’idée par le faire. Une méthode qui lui aura permis les innovations les plus remarquables. En ce sens, Prouvé est, à son époque déjà, résolument moderne. D’ailleurs Mallet-Stevens et Le Corbusier ne s’y trompent pas, en faisant appel à ses services dès la fin des années 1920. Même Frank Lloyd Wright viendra à Clichy (Hauts-de-Seine) visiter la Maison du peuple (1939) et son enveloppe métallique conçue avec la technique révolutionnaire du “mur-rideau” (la façade n’est plus porteuse, mais simplement accrochée aux dalles de plancher) : “Il était soufflé”, assure Prouvé, pour qui la modernité fut presque une obsession, en tout cas une attitude. En 1958, dans un texte pour le mensuel L’Œil, Françoise Choay avait joliment défini son œuvre : “Prouvé a infirmé la conception selon laquelle industrialisation est synonyme de laideur.”

- JEAN PROUVÉ ET PARIS, jusqu’au 31 août, pavillon de l’Arsenal, 21 bd Morland, 75004 Paris, tél. 01 42 76 33 97.
- JEAN PROUVÉ À NANCY, du 13 juillet au 15 octobre, Musée des beaux-arts, 3 place Stanislas, tél. 03 83 85 33 25 ; galeries Poirel (jusqu’au 1er octobre), 3 rue Victor-Poirel, tél. 03 83 32 31 25 ; et parc de la Pépinière, tél. 03 83 85 31 00, 54000 Nancy.
Sont montrées, à Paris et à Nancy, photographies, dessins, maquettes, films, mobilier, prototypes et éléments de structures.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Jean Prouvé, l’homme du faire

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