À Strasbourg, changez de musique !

La synthèse des arts, de Kandinsky à Aubry

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 688 mots

Les rapports entre la peinture et la musique ne datent pas d’hier et la question de la synthèse des arts n’a cessé de parcourir le XXe siècle jusqu’aux propositions des jeunes artistes d’aujourd’hui. Figure de proue, en son temps, de ces rapprochements, Vassily Kandinsky bénéficie à Strasbourg – à côté d’une présentation des œuvres qu’il a réalisées à son retour en Russie entre 1914 et 1921 – de la reconstitution d’un projet immédiatement postérieur : le salon de réception de la Juryfreie Kunstschau Glaspalast (1922), à Berlin. Parallèlement, le Musée d’art moderne et contemporain de la capitale alsacienne ouvre ses espaces à une dizaine d’artistes contemporains qui manient tout aussi bien l’expression sonore que plastique.

Quelques mois après son arrivée à Berlin et sa nomination en tant que professeur au Bauhaus, Vassily Kandinsky réalise avec ses étudiants de l’atelier de peinture murale un important ensemble pour le salon de réception de la Juryfreie Kunstschau au Glaspalast. Directement inspirée des recherches formelles et des réflexions philosophiques du peintre, cette vaste création octogonale se déploie sur quatre panneaux principaux et quatre panneaux d’angle. Le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg accueille aujourd’hui une reconstitution de cette œuvre réalisée en 1977 par Jean A. Vidal pour l’ouverture du Musée national d’art moderne au Centre Georges-Pompidou. L’art de Kandinsky, non sans un certain lyrisme, prend ici le parti d’une abstraction dynamique, structurée et mélodieuse qui n’est pas sans écho avec la création musicale. L’on parle d’ailleurs ici de “composition” sans qu’elle soit pour autant le fruit de l’imaginaire d’un “compositeur”. Quelques années plus tard, en 1931, Kandinsky réalisera un véritable salon de musique, une commande pour la Deutsche Bau Ausstellung de Berlin. Le Russe conçoit alors trois panneaux de céramique sur lesquels il place des motifs géométriques sur des aplats colorés.

Images fragmentées et déconstruites
Des motifs géométriques sur des aplats colorés : cette description pourrait aujourd’hui correspondre à l’installation qu’a réalisée à Strasbourg Stéphane Dafflon pour l’exposition “Salons de musique”, écho contemporain à la synthèse des arts formulée par Kandinsky. Le projet du Suisse s’articule en effet autour de peintures murales géométriques qu’il conçoit à l’aide d’un ordinateur. L’ensemble est complété par une musique diffusée par des haut-parleurs “boules” au design très années 1970. Tout comme lui, chacun des artistes de l’exposition bénéficie d’un espace propre. Ainsi, Gerwald Rockenschaub diffuse sur des moniteurs une série de nouveaux films abstraits inspirés de l’esthétique des jeux vidéo, des créations également proposées actuellement dans le cadre de “Connivence”, la 6e Biennale de Lyon (lire notre supplément p. VI). L’Autrichien, qui a également été Dj, mixe ici les signes dans des compositions rythmées et colorées. Dans un autre style, Ugo Rondinone a construit un mur intégrant une multitude d’éclats de miroirs qui renvoient de tous les corps qui l’approchent une image fragmentée et déconstruite. Cet univers mélancolique est accentué par une musique lancinante que diffusent des haut-parleurs intégrés à la structure. Cette dernière reflète encore l’image d’un clown allongé dans l’un des coins de l’espace. Écho au Russe Kandinsky, Michel Aubry a réalisé une réplique “musicalisée” du mobilier du club ouvrier conçu par Rodtchenko pour l’Exposition des arts décoratifs à Paris en 1925. Cet ensemble est percé de canaux sonores qui donnent à chaque objet une tonalité spécifique. L’artiste a aussi installé deux chaises et une table pour jouer aux échecs. Sur les murs sont disposés des éléments faisant plus directement encore référence au combat, à la guerre. Des tapis afghans comprenant des motifs tels que des Kalachnikov ou des chars d’assaut, font face à des toiles camouflées dont la première fut réalisée en Italie en 1929.

Après Audiolab, un sas d’écoute, l’exposition se poursuit au café de l’Opéra, sur la place Broglie, par Collective Jukebox 3.1, un juke-box gratuit qui regroupe de multiples créations musicales de près de 400 artistes et compositeurs internationaux. Plus de 1 000 œuvres sonores sont ainsi proposées en libre-service. Alors, changez de musique !

- KANDINSKY – SALONS DE MUSIQUE, jusqu’au 16 septembre, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, 1 place Hans-Jean-Arp, Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, tlj sauf lundi 11h-19h, jeudi 12h-22h, internet : www.musees-strasbourg.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : À Strasbourg, changez de musique !

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