Des Français à New York

Deux galeries parisiennes défendent l’Art déco

Par Nicolas Powell · Le Journal des Arts

Le 23 novembre 2001 - 998 mots

Même si la plus grande partie du mobilier Art déco se trouve en France, les clients de ce secteur spécifique du marché sont installés dans leur majorité aux États-Unis. Deux galeries parisiennes, Vallois et Arc en Seine, ont depuis quelques années tenté l’aventure américaine en ouvrant des espaces à New York.

“New York est une ville qui adore l’époque que nous défendons. C’est naturellement donc là-bas et nulle part ailleurs que nous avons ouvert une seconde galerie.” Passionnée d’Art déco depuis qu’elle a ouvert sa première galerie en 1971 avec son mari Bob, Cheska Vallois connaît comme peu d’autres ce secteur du marché. Secteur qui, puisant ses sources en France où travaillaient la plupart de ses artistes, se vend aujourd’hui, à quatre-vingts pour cent, à des clients nord-américains, des New-Yorkais pour la plupart d’entre eux.

Bob et Cheska Vallois ont pris la décision de s’installer outre-Atlantique un jour de 1999 alors qu’ils déjeunaient à Paris avec Barry Friedman, un vieil ami et l’un des premiers marchands d’Art déco aux États-Unis. Il est aujourd’hui spécialisé dans le mobilier des années 1940 et dans le verre contemporain. Quatre mois plus tard, en association avec Friedman, les Vallois ouvraient une galerie – quelque 150 mètres carrés dans un entresol sur Madison Avenue et la 67e rue. Succès immédiat.
“Nos collectionneurs étaient ravis qu’on ouvre à New York, explique Cheska Vallois. Nous y avions déjà une certaine notoriété et Barry Friedman une réputation indiscutable. La galerie s’est autofinancée presque immédiatement.”

Même si la galerie Vallois de la rue de Seine à Paris reste et restera sans doute la galerie mère, avec un chiffre d‘affaires bien plus important que celui de sa petite sœur américaine, être présent à New York facilite considérablement le travail des marchands.

“En plus de ses objets propres, la galerie de New York possède des documents visuels de tous les objets dans notre galerie de la rue de Seine, continue Cheska Vallois. Cela nous permet d’effectuer un travail quotidien avec les décorateurs et d’établir des contacts avec des clients américains qui ne viennent pas à Paris.”

Les Vallois ne sont pas pour autant de grands voyageurs. Bob Vallois se contente de visiter New York tous les deux mois environ, Cheska tous les quatre mois, la galerie étant dirigée par un Américain, Alex Barlow, et supervisée par Barry Friedman.

Comment les Vallois, qui s’approvisionnent essentiellement en France, choisissent-ils d’expédier telle pièce, plutôt que telle autre pour être exposée à New York ?

“C’est un choix intuitif, pas rationnel, poursuit Cheska Vallois. Ceci étant dit, les Américains ont les mêmes besoins et désirs que nos clients européens – ils veulent des fauteuils, des tables basses. Il y a une trentaine d’années, on pouvait distinguer une différence de goût entre l’Amérique et ici. Mais plus maintenant.”

Et les affaires vont bon train. Depuis le mois de septembre, la galerie Vallois de New York a vendu, entre autres, une paire de fauteuils de Ruhlmann, des chaises de salle à manger et des luminaires d’Albert et Diego Giacometti.

“L’Art déco est devenue une valeur tellement sûre, il ne s’agit plus d’une simple mode qui pourrait un jour s’arrêter. Le point faible – et la force – de ce secteur réside dans la raréfaction des objets. De plus en difficiles à trouver, ils valent de plus en plus cher.”

À quelques portes de la galerie Vallois, presque voisins et souvent concurrents, Rafael Ortiz et Christian Boutonnet, de la galerie Arc en Seine, ont également ouvert une galerie à New York – Rainbow Fine Art Inc., 15 East 82e Street, près de Madison Avenue – en novembre 1997. Comme l’Art déco ne compte guère plus d’une poignée de grands créateurs actifs pendant à peine une génération, il serait vain de vouloir distinguer un style “Arc en Seine” d’un style “Vallois”. Même si Ortiz et Boutonnet ont un penchant pour Pierre Chareau, Paul Dupré-Lafon et Jean-Michel Frank, les Vallois, eux, sont particulièrement connus pour des œuvres d’Armand-Albert Rateau et de Jacques-Émile Ruhlmann.

“Il s’agit d’un showroom, ‘by appointment’, avec un petit jardin, explique Christian Boutonnet. Plutôt qu’une galerie traditionnelle, nous avons voulu créer un espace intime qui permet de voir des meubles comme on les verrait dans un appartement.”

Chaque année depuis son ouverture, Rainbow Fine Art programme une exposition thématique – les dessins du décorateur Christian Bérard, des sculptures d’Alexandre Noll, des œuvres d’Eckart Muthesius, l’architecte du palais du maharaja d’Indore.

Considération éminemment pratique, avoir une galerie à New York évite d’inutiles déplacements d’objets de Paris, ce qui pour une simple glace, par exemple, coûte plus de 1 000 euros.
“Les Américains adorent mettre les meubles en situation chez eux avant d’acheter, continue Rafael Ortiz. Mais ils savent aussi acheter sur photo et par décorateur interposé.”

New York étant une ville du XXe siècle, l’Art déco s’y trouve à l’aise, même si aucun collectionneur – étant donné les prix très élevés d’aujourd’hui – ne meublerait sa demeure en mobilier français des années 1930 de fond en comble.

“Heureusement, le ‘déco’ se mélange très bien avec d’autres styles et avec d’autres époques”, estime Christian Boutonnet qui, depuis la rentrée, a vendu notamment des chaises de Frank, un lampadaire de Diego Giacometti ainsi qu’un banc de Jean Royère.

Selon Boutonnet et Ortiz, être sur place à New York aide à gagner la confiance des clients américains, dont la majorité habite dans une zone huppée et bien délimitée entre la 60e et la 80e rue et, d’ouest en est, entre Park Avenue et la Cinquième Avenue. Exception faite, évidemment, de quelques rares acheteurs qui s’aventurent d’aussi loin que de San Francisco, du Texas, ou de Washington D. C.
Depuis les attentats du 11 septembre, le client américain ne voyage pratiquement plus, même si les décorateurs ont manifestement moins peur que leurs clients de traverser l’Atlantique. Raison de plus de travailler à partir de New York même, où l’Art déco, à l’avis de Christian Boutonnet, constitue plus que jamais “un marché très sain qui repose sur des bases très solides”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°137 du 23 novembre 2001, avec le titre suivant : Des Français à New York

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